C’était une de ces soirées chaudes de l’été parisien, la ville baignant aussi bien dans les couleurs vives du soleil couchant que dans l’obscurité poignait déjà deci-delà en suivant mes pas alors que j’avançais rue de Rivoli. Pourtant, nous étions seulement en avril, et, ne mettant pas découvert d’un seul fil, j’exécrais le ciel pour la torture qu’il m’infligeait. Il n’y avait alors que ces ombres naissantes pour soulager mes souffrances, et je marchais en sautillant d’ombre en ombre, plongeant dans ces tâches obscures, ravissant le peu de fraîcheur que je pouvais y trouver. Je bénissais ces masses profondes et épaisses et j’avançais, camouflé, infiltré dans ce paradis des ombres.

Quel ne fut pas mon plaisir lorsque je pénétrais dans l’enceinte du 38Riv et que je m’enfonçais dans la pénombre qui m’amenais jusqu’à la salle de concert où se produisait ce soir-là le quartet mené par Sandro Zerafa accompagné du batteur italien Francesco Ciniglio. Pour fêter la sortie ce 24 avril de leur nouvel album intitulé Limestone , inspiré des couleurs, de l’esprit des montagnes brésiliennes et des îles maltaises, les musiciens jouaient Carte Blanche et soufflaient un véritable vent de fraîcheur dans la chaleur parisienne.

Dès le premier morceau Minas , je fus surpris par l’acoustique toute particulière de cette petite salle du 38Riv et de ces murs de pierre brut, laissant siffler les cordes de la guitare d’un Sandro Zerafa funambule, mêlant le jeu virtuose du style manouche et la langueur de la Bossa Nova. Les oreilles pleines d’une musique superbe, j’admirai la session de Jam proposée par les artistes, faisant éclater les partitions, en y ajoutant ce fabuleux mélange des couleurs, ce mélange des sentiments, dans une communion des instruments, des souffles et des espaces.

Dans ce voyage en eaux légères, je fus accompagné par ce jazz de la mer, ce jazz insulaire, frappant sur le calcaire, sur la Limestone. Je me laissai envahir par les échos, par les résonnances de la guitare, du piano, de la contrebasse, des cordes pincés amoureusement, et par la batterie fracassante, retentissante, cassante sur la falaise. Ce jazz d’orfèvres qui casse, qui explore, qui expérimente, prenait son envol vers des horizons magiques et imaginaires.

Pendant le morceau The Weight of Shadows, je retrouvai mes ombres et je me laissai bercer par cette escapade maritime, dans la fraîcheur du littoral brésilien. Dans le creux de la falaise, plongé dans mon obscurité, je me mis à rêver, alors que nos artistes se lançaient dans un hommage au chanteur Edu Lobo. Je sentis glisser sur moi un jeu plus lyrique à la manière du grand maître. Le piano à trois voix de Noé Huchard, laissait couler sur mon visage quelques gouttes d’un chant subtil, d’un jeu chromatique, d’un jazz bouillonnant.

Cette harmonie dans la liberté, ce jeu avec les extrêmes, la douceur et la vigueur, le chant et le cri, la piqure et la complainte, propulsaient toute la salle du 38Riv dans les étoiles et me laissa encore béat lorsque je retrouvai mes ruelles parisiennes, maintenant plongée dans la pénombre et la fraicheur, comme si la ville, elle aussi, s’était transportée dans le monde de nos artistes et dans la langueur brésilienne. C’est avec la tête pleine de rêves que je me perdai ce soir-là avec amour dans mon cher Paris et respirai cet air nouveau, dont le sifflement ressemblait à s’y méprendre à la magie de Sandro Zerafa, Noé Huchard, Francesco Ciniglio, et Yoni Zelnik.