Rencontre avec le saxophoniste allemand avant son concert en sortie de résidence au Périscope, à lyon.
Mercredi 28 mai 2025, Périscope, Lyon
Es-tu issu d’une famille de musicien ?
Je ne suis pas du tout issu d’une famille de musicien. Mon père, retraité, était chercheur en microbiologie et ma mère psychothérapeute. Par contre, ils avaient des amis musiciens et j’ai été assez jeune au concert, plutôt jazz rock, où j’aidais à monter les micros, des trucs comme ça. Et mon père, chercheur et bricoleur, achetait avec ma mère dans les brocantes, bien qu’ils aient peu d’argent, tous les instruments qu’ils pouvaient trouver, des instruments très bizarres, des cithares, des flûtes, des percussions, que l’on essayait ensuite. Vers mes 9 ans, un jour, j’ai rendu visite à mon oncle, le plus jeune frère de ma mère. Il débutait le saxophone alto et il n’arrivait pas vraiment à en jouer. Je l’ai pris et ai joué une note. Il l’a alors rangé dans sa housse et me l’a donné… Ça a commencé comme ça et très vite j’ai pris un cours avec un saxophoniste qui s’appelait Peter Engel. Dès le premier cours, il ne m’a pas montré les gammes ou la technique, mais il m’a appris à jouer Summertime de Gershwin. C’était un bon début ! Quand j’ai eu 12 ans, mon père a eu un poste de chercheur aux États-Unis du côté de Washington. Il y avait dans mon école une sorte de big band mais il n’y avait pas de place pour le saxophone alto. Par contre, une place était disponible pour le ténor. J’ai dit d’accord et ils m’ont prêté un ténor. C’est là que j’ai commencé à jouer des mélodies américaines très simples d’Irving Berlin, de Broadway. Du coup je suis resté au ténor. Puis j’appris à lire la musique car il y avait des concours de big bands pendant lesquels on jouait ; mais il fallait aussi déchiffrer la musique devant un jury. C’est là que j’ai appris à faire un nœud de cravate !
Tu as un son qui rappelle les saxophonistes américains de années soixante. L’as-tu développé là-bas ?
Non, c’est venu plus tard je pense. Mais cette influence américaine des débuts est assez importante bien que je ne sois resté que deux ans et demi. Quand on est rentré, je n’ai pas fait le conservatoire mais je jouais avec des groupes qui en étaient issus. Puis j’ai eu un très bon professeur américain, George Bishop, quand j’habitais à Braunschweig dans le nord de l’Allemagne, qui était pour le moins « sérieux ». Il ne laissait rien passer et ne pensait pas que du bien de l’école américaine… Je suis devenu son élève et le chemin de musicien m’a semblé naturel.
Si tu avais dû avoir un autre métier, quel aurait-il été ?
Hormis musicien, je n’ai jamais eu d’autres idées sérieuses. Franchement, c’était une évidence pour moi. Donc si demain cela ne marche plus, je ne sais pas ce que je pourrais bien faire... Peut-être mes enfants me soutiendront-ils !
Pourquoi t’es-tu installé en France ?
À l’époque, j’étais déjà avec ma copine qui habitait Berlin et il se trouve qu’elle est partie à Paris. Du coup, j’ai essayé de trouver une bourse afin de la rejoindre quelques mois et ça a marché. Cela m’a aidé pour vivre en attendant d’avoir un peu de boulot et comme j’ai découvert des trucs supers et des musiciens incroyables avec lesquels j’ai pu jouer, je suis resté.
Ce n’était donc pas un choix de carrière ?
Non pas forcément, mais je ne l’aurais pas fait si je n’avais pas été intéressé par la scène parisienne. Et j’ai rencontré dès le début quelques américains, John Betsch, Steve Potts, entre autres. C’est là aussi que j’ai rencontré Edward Perraud. J’ai également participé à la scène improvisée, notamment aux Instants Chavirés. En fait, j’avais deux contacts en arrivant à paris, François Théberge avec qui j’ai un peu joué et Thierry Madiot qui évoluait dans un autre monde fait d’improvisation et d’installations sonores. J’ai donc découvert des mondes différents ; c’était un peu une période de flottement et je l’ai appréciée. Mais j’ai aussi gardé un pied dans la scène berlinoise. D’ailleurs en ce moment, j’y suis souvent et je joue beaucoup avec Aki Takase.
Qu’est-ce qui donne selon toi à l’improvisation une dimension aussi importante dans le jazz et les musiques improvisées ?
C’est la base du jazz pour moi. C’est une musique en mouvement qui se réinvente tout le temps. La musique strictement improvisée, sans composition, il m’arrive de la pratiquer en concert et j’aime bien le faire. Quant à mes projets, il y a toujours des morceaux qui donnent des couleurs, des idées de jeu, qui amène ensuite à l’improvisation. Les compositions sont là pour donner des nuances et des directions différentes ; j’ai d’ailleurs beaucoup de projets différents. Ce que je fais en duo avec Aki Takase est éloigné de ce que je fais avec le Velvet Revolution. Ce soir, avec l’apport d’une chanteuse et la reprise de quelques titres de Velvet Underground, ce sera une autre chose encore. Mais là encore, ce qui m’intéresse vraiment, c’est le mélange entre composition et improvisation.
Y a-t-il un type de formation que tu préfères ?
Jusqu’à présent, j’ai essentiellement joué dans de petites formations, duo et trio, mais depuis deux ans j’ai aussi un sextet. Et avec Aki Takase, nous allons faire un grand ensemble. On va commencer à travailler à Berlin, composer quelques morceaux avec une classe de jazz, sous la forme de master class. On sera onze. Les choses évoluent et je n’ai pas vraiment de formations préférées.
Est-ce que ta musique change d’un groupe à l’autre de manière inconsciente ou volontaire ?
Ce qui est très important pour moi, ce sont les personnes qui participent à mes groupes ; J’écris pour eux et je suis en demande à leur égard, je souhahite qu’ils acceptent mes propositions comme étant les leurs. Il est très rare que je mette un morceau devant les musiciens en leur disant : il faut jouer ça de cette manière-là. Et comme moi je déteste qu’on me dise ce que je dois faire, je ne l’impose pas aux autres ! Je crois qu’on peut donner le meilleur qui si l’on a une certaine liberté dans l’interprétation. Après, ce ne sont que des musiciens qui pensent au son global, qui ne se mettent pas en avant, tout en ayant de l’espace pour s’exprimer, et on se met au service du son. Le son, c’est le plus important pour moi.
Le mélange des timbres est-il instinctif ou réfléchi ?
C’est très réfléchi, ce n’est pas un hasard. Le Velvet, quand je l’ai conçu, je ne savais pas avec qui je jouerai, je savais par contre quelle instrumentation je voulais. C’est le son qui est au centre de tout. Quand le son est bon, on peut tout jouer. Cela sonnera toujours. Pour moi, c’est la règle numéro un. Quand je joue une note, si elle remplie l’espace et qu’elle est connectée, cela suffit.
Prends-tu ton inspiration dans d’autres formes d’art ?
Oui, absolument, beaucoup. J’ai longtemps été influencé par le cinéma, puis par la peinture. Je travaille aussi avec des danseurs, des comédiennes, mais l’inspiration peut aussi venir de la littérature ou simplement de ma vie. En ce moment je pratique le Qi gong et nous allons jouer ce soir un morceau qui s’intitule comme un exercice de Qi gong, « le phénix rouge se retourne vers le soleil ».
Un mouvement artistique t’a-t-il marqué plus particulièrement ?
En cinéma, Aki Kaurismäki, Jim Jarmusch, la nouvelle vague, Truffaut, plutôt des formes d’art dans lesquelles je me retrouve. Je suis quelquefois touché par quelque chose, de temps à autre sans savoir pourquoi, c’est même mieux de ne pas savoir pourquoi. C’est plutôt quand on déteste qu’il faut savoir pourquoi.
As-tu un processus de composition caractéristique ?
Je n’ai pas vraiment de processus fixe. Par contre, il me faut du temps. Il faut que je sois tranquille, se lever le matin et n’avoir rien d’autre à faire et laisser venir. J’ai plein de cahiers où je note tout le temps des idées, quelquefois ce sont des morceaux entiers, d’autres fois des idées sur lesquelles je reviens. Essayer, bricoler. J’aime bien le terme bricoler. Et puis compositeur, c’est un métier. Cela s’apprend et cela se pratique tous les jours. J’ai un peu étudié l’orchestration et je continue à essayer d’apprendre, mais je suis plus un inventeur de couleurs musicales qu’un compositeur. Ce serait prétentieux de ma part de croire le contraire.
Quelle est la collaboration qui t’a le plus marqué ?
C’est toujours un moment plus qu’une personne. Ceci dit, depuis cinq ans, je travaille beaucoup avec Aki Takase et c’est une grande pianiste, très expérimentée, qui a joué avec nombre de musiciens, Joe Henderson, Scofield, etc, et elle est constamment intéressée par de nouvelles choses, toujours a un très haut niveau et à fond ! Même en répétition elle ne joue pas à moitié... Elle m’a beaucoup influencé dans ma façon d’assumer mes choix et sa liberté naturelle, sa façon de se libérer des dogmes, a changé quelque chose en moi.
Un musicien avec qui tu voudrais jouer ?
Franchement, je ne suis pas posé cette question.
Das Kapital a-t-il un projet en cours ?
J’ai déjà le projet avec le Velvet qu’on enregistre la semaine prochaine, l’Organic Soulfood qui vient d’être publié, le sextet qui va sortir. Il n’y a pas trop de place pour autre chose. Mais qui sait, cela peut aller très vite.
Les prix, les récompenses, que tu as gagnés ont-ils une importance pour toi ou pas ?
A un moment donné, c’est quand même chouette. Cela signifie que des gens aiment ce que je fais. Je ne les recherche pas mais comme je me donne du mal pour faire exister mes projets, quand cela arrive, c’est assez satisfaisant.
La question rituelle : te considères-tu comme un jazzman ou comme un musicien ?
Bonne question… Je pense véritablement qu’il n’y a pas de différence. Honnêtement, la musique que je fais, c’est du jazz. Donc je suis un musicien et un jazzman. Pour moi, les deux fonctionnent bien ensemble.
Quelle est la question à laquelle tu aimerais répondre qu’on ne t’a pas posée ?
(Ndlr : après un temps de réflexion) Ça peut aller très loin ! En ce moment, c’est plus une réflexion, mais je dirai « comment vois-tu ta relation avec le public ? » Je ne crois pas qu’on me l’ait posée, ou rarement. Pendant longtemps, j’ai essayé de donner, de faire sortir de l’énergie. Mais depuis que je pratique le Qi gong, je sens plus l’échange d’énergie. Quelque chose d’intense se passe et c’est plus fort avec le retour du public dont le rôle est grand. Le public et le musicien se nourrissent mutuellement et tentent d’englober la musique dans un tout, je crois. Il existe une forme de communion et c’est pour cela que les gens viennent écouter de la musique. Il arrive là quelque chose qui n’arrive pas ailleurs et c’est la chance de la musique. On va toujours exister, malgré Netflix et le streaming. Être dans une salle de concert, grande ou toute petite, fait la différence. C’est une énergie indescriptible et il s’y passe des choses magiques. On devrait en parler plus souvent. Quand je parlais du son, c’était dans ce sens-là aussi. Le son, c’est aussi de l’énergie qui connecte. Et on a besoin de cette connexion, peut-être plus encore en ce moment.