...Lequel n’est pas "On the sunny side of the street".

«  La salle est petite, on optimise !! » déclare l’accorte créature qui fait office de placeuse-barmaid à mes deux voisins. Qui ont subrepticement déplacé leurs chaises, histoire de récupérer un peu d’espace.... et malmené le bel ordonnancement ( efficient ? ) des places. Optimiser, rentabiliser, faire plus avec moins, etc : «  le XXI è siècle sera économique ou ne sera pas » comme ne l’a jamais déclaré Malraux. On se croirait en pleine RGPP ( Régression Générale des Politiques publiques ) quand bien même on est dans le petit commerce.

Si ton joli derrière a le format percheron ou boulonnais et/ou si ton torse puissamment bodybuildé dépasse le volume global de ta chaise, t’es mal. Il te reste à te mettre en biais ou en quinconce. C’est comme dans le RER D aux heures de pointe. « De pointe »... enfin, tu fais au mieux pour ne pas ressembler à une pointe dans les côtes de ton voisin justement. Et c’est tout un art de respirer tous ensemble, de conspirer. Pendant que ton voisin inspire du ventre, toi, tu te retiens en apnée haute. Et t’attends ton tour. C’est juste un coup à prendre et un rythme à attraper. Parfait dans un temple du jazz. Bon, d’accord , j’exagère, on n’en est pas encore là ce soir.

Pour les spectateurs arrivés dès 20.30 pour un concert annoncé à 21h, c’est chaud !! La ventilation en tête de salle, est en panne. Ici, c’est pas le Tricastin, t’es informé en temps réel : «  le technicien viendra demain » redéclare la toujours accorte créature.
Entre l’optimisation et la chaleur qui monte.... c’est ( encore ) comme dans le RER D, une fin d’après-midi quand la rame où tu t’installes a passé un temps certain au dépôt, en plein soleil : le sauna est compris dans le prix du billet. Ta chemise devient autocollante. Tu transpires donc t’as soif. Et quand t’as soif ? Tu bois !!!

Vu le temps qui passe, passe et dépasse largement l’heure de début du concert, tu te fais des scénarii.

T’es pas complètement débranché du boulot et tu te dis : «  Putain, fortiche le plan marketing ! Pas de ventil’, un peu de retard et tu crées le besoin de boire. La chaleur comme teasing, ouahhouououhhh !!! ». Ou bien tu cotises à l’association de la théorie du complot et, sans blague, tu doutes de la rencontre improbable entre la panne du ventilateur, le retard des musiciens et la surface individuelle optimisée : ça te semble chelou grave...Encore un coup des anarcho-autonomes.

Le maître de céans finit par annoncer le concert : il est 21.40. Ce soir, c’est le Rick Margitza quartet qui s’y colle avec : Rick Margitza au sax ténor, Pierre de Bethmann au piano, Jeff Boudreaux à la batterie et Thomas Bramerie à la contrebasse. Trois sets de 50 mn entrecoupés d’une petite pause.

La présentation du concert sur le site du Sunset.

Autant le dire tout de suite : c’est un concert magnifique. Jeff Bourdeaux installe une assise puissante, stable et empreinte de nuances qui donne à ses compères toute latitude pour se lâcher. Ils sont inventifs ( va repérer des phrases entendues mille fois, hein ??! ), généreux ( bonjour les histoires qu’ils racontent sans se montrer avares du nombre de grilles qu’ils font défiler ), débridés ( ahh !! les longs soli de de Bethmann et de Margitza seuls avec eux-mêmes, sans rythmique), les tourneries en quatre-quatre où tous se retrouvent... Les écouter suppose une grande disponibilité à se laisser emmener quelque part, à se laisser surprendre. Une citation par ci, une citation par là ( « Jean-Pierre », « Pink Panther »... ).

Cette bande de furieux nous offre un premier set de 1.15mn. Ils ont bien mérité d’aller faire un tour en terrasse.

Le second set se déroule à l’identique. Enlevé, majestueux, tonique, inspiré.
Vers 0.20, à la faveur des applaudissements entre deux morceaux, nombre de spectateurs s’esquivent discrètement. Il se fait tard pour ceux qui, demain matin, ont prévu un agenda de touriste parisien goulu. Et le second set n’est pas terminé. Il s’achèvera à 0.45.

La salle se vide et nous ne serons qu’une quinzaine pour jouir du dernier set franchement déjanté et passionnant. Stéphane Belmondo (et son bugle) rejoint le quartet et, pendant le dernier morceau, « Turn around », c’est Glenn Ferris qui fera l’oiseleur depuis la salle.

Ce « Turn around » génère des chorus somptueux : on est dans une histoire entre musiciens. Respect.

Mon côté suisse-allemand me susurre que ce retard de 40 mn en début de concert, est navrant pour les spectateurs. Déjà, il y a une quinzaine d’années, devant la désaffection du public pour les concerts de 22h en semaine, l’idée avait été d’avancer l’heure de début à 21h.

Qu’est-ce que ça change ? Tout simplement, le 3ème set débute aux environs de 23.30. C’est tout bénéfice pour le public qui, d’une part, a droit au « boeuf » avec d’autres musiciens et d’autre part, peut attraper le dernier métro.

À 2.00, la rue des Lombards est encore bien achalandée, la nuit n’est pas finie pour tout le monde.


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