A Marciac, le 10 août 2009.

Jazz in Marciac, un festival où s’est forgé le talent désormais reconnu et primé (Victoire du Jazz) du saxophoniste et leader Émile Parisien ou plus exactement de l’Émile Parisien Quartet. Un intitulé désormais générique pour une formation très soudée. Un vrai groupe.

Autour du micro : Émile Parisien (saxophone soprano), Julien Touéry (piano), Yvan Gélugne (contrebasse) et Sylvain Darrifourcq (batterie). Entretien à quatre voix (+ 1), le lundi 10 août 2009, quelques heures avant leur entrée sur la scène du festival... de Marciac.


>>Édouard Hubert : Dans votre dernier album, Original Pimpant, vous utilisez des éléments musicaux préexistants pour créer une musique qu’on pourrait dire novatrice. Est-ce en toute conscience ? Était-ce une envie pour vous de créer quelque chose de nouveau dans ce monde du jazz ?

> Sylvain Darrifourcq  : Non. Je pense qu’on fait la musique qu’on aime avec ce que chacun de nous apporte, avec les influences des musiques qu’on écoute. Il n’y a pas d’objectif particulier, on veut juste faire de la belle musique.

Julien Touéry (piano) et Emile Parisien (sax soprano)
A Coutances, le 22 mai 2009 / Photo © CultureJazz/TG

> Emile Parisien : Ça n’est pas une envie, c’est plus un besoin d’exprimer le truc le plus personnel possible. On n’a pas envie de faire quelque chose de nouveau particulièrement. On n’en a pas forcément la prétention.

> Julien Touéry : Mais on n’a pas envie de faire quelque chose d’ancien, par contre.

>> E.H. : Il y a dans votre musique une place importante destinée à des espaces qu’on pourrait qualifier de narratifs. C’est plus une musique du discours abstrait que de la couleur, trouvant ses points forts dans les dynamiques et les climax. Comment travaillez-vous cela ?

> Ivan Gélugne : C’est vrai, on essaie le plus possible de faire une histoire, de prendre les gens à un endroit et de la amener si possible à un autre endroit à la fin du morceau, et ça passe forcément par des dynamiques, des climax ou d’autres choses.

> Emile Parisien : Mais on joue aussi sur des émotions. Au départ, quand on crée un morceau, on n’a pas une image dans la tête tout de suite, ou une narration prédéfinie. En fait, on compose, on écrit la musique ensemble, c’est-à-dire qu’on amène tous de la matière, que ce soit de la matière sonore, thématique, mélodiques, des climax, etc. Et ensuite on essaie d’assembler les choses pour tenter de leur donner un sens, pour amener l’auditeur dans différents endroits, en passant par plusieurs étapes dans une composition. Effectivement, ce qu’on fait dans la plupart de nos morceaux, c’est de la musique narrative, vraiment.

>> E.H. : Quelle place donnez-vous à l’improvisation par rapport à l’écriture ? Comment placez-vous l’improvisation dans votre musique ?

Julien Touéry (piano) et Sylvain Darrifourcq.
à Coutances, le 22 mai 2009. Photo CultureJazz

> Ivan Gélugne : Je pense que c’est quelque chose qui se fait relativement naturellement, en fonction des matières écrites qu’on a : il y a des matières écrites qui vont se suffire à elles-mêmes, où l’on n’a pas besoin d’en rajouter, et d’autres dont on va sentir tout de suite que ça va être un point de départ pour une ambiance qu’on développera en improvisant, qui vont être plus un tremplin ou un prétexte pour des modes de jeu.

> Émile Parisien  : Ça dépend aussi de nos concerts, de nos périodes. Ça fait maintenant cinq ans qu’on joue ensemble et on est passé par des périodes où l’on avait besoin de s’essayer à plus d’espaces d’improvisation, et parfois à plus d’écriture. En ce moment on fait pas mal de choses écrites et quand on se sent à l’aise, on peut développer des choses plus improvisées. Après, ça dépend vraiment de l’état du moment. Mais on se laisse le plus possible de moments de liberté.

> Ivan Gélugne : Peut-être que notre idéal, ce serait d’arriver à ce qu’il n’y ait plus de places vraiment prédéfinies pour l’improvisation où pour un truc écrit. Mais c’est quelque chose qu’on n’arrive pas encore à faire à cent pour cent, donc on se garde encore des points fixes, des repères. Mais dans l’idéal, ce qu’on aimerait faire, c’est de pouvoir jouer avec la matière qu’on a de façon totalement libre.

>> E.H. :On entend parfois dans votre musique des moments d’improvisation quasiment sans repères, où il n’y a pas de rythmique, pas de mélodie, etc., qu’on pourrait presque qualifier d’improvisation libre (je pense à l’introduction de "Darwin à la Montagne"). Expliquez-nous comment vous abordez cette « impro libre » dans votre quartet ?

> Julien Touéry  : C’est une forme d’improvisation comme on en a plusieurs. Pour celle-là, on s’est dit que ça devait être déstructuré. C’est la consigne en quelque sorte : déstructuré, bruitiste… On dira plutôt « porto free jazz » ici, plus qu’improvisation libre. On est libre quand on fait de l’improvisation à d’autres moments, mais on n’aura pas les mêmes consignes.

> Émile Parisien : L’improvisation libre, c’est un terme assez large et assez difficile à définir. Nous, on travaille plusieurs types d’improvisation libre, avec différentes consignes comme l’a dit Julien. Encore une fois, tout est permis dans ce passage, à partir du moment où on se sent bien, quand il y a bonne osmose entre nous. Il y a une consigne de départ, mais elle peut évoluer si on sent que ça marche vers autre chose.

>> E.H. : Est-ce que vous avez des influences collectives sur ce point de l’improvisation ?

Emile Parisien aux Victoires du Jazz 2009.
Photo @ Christian Ducasse

> Émile Parisien : C’est difficile. Notre histoire, depuis cinq ans, fait qu’on a eu plein d’influences. On a commencé peut-être par l’influence de Coltrane, puis on est allé plus vers Wayne Shorter. Mais j’ai l’impression qu’on en sort aussi avec d’autres choses, parce que les influences évoluent. En fait, on se fait écouter des choses, chacun va fouiller, découvrir quelque chose, on se le fait écouter et ça va créer des choses entre nous, nouvelles ou non.

>> E.H. : Parlons de votre son de groupe qui atteint aujourd’hui une singularité, notamment par des particularités dans l’utilisation des unissons (soprano / piano ou soprano / contrebasse), et même parfois par de « faux » unissons (ce que j’appellerais des « grappes de sons ») qui créent une illusion sonore dans certaines bribes de vos thématiques.

> Emile Parisien : Les unissons, c’est vrai que c’est un procédé qu’on utilise pas mal et qui crée peut-être une couleur…

> Julien Touéry : Mais cela vient surtout du fait qu’il n’y a pas toute une harmonisation complexe, par exemple au piano. On a privilégié plutôt le fait de faire un thème simple, c’est-à-dire à l’unisson, et sans harmonisation. Un groupe comme Kartet par exemple le fait également, mais ça n’est pas énormément répandu aujourd’hui dans le jazz où on à tendance à harmoniser tout, à fournir pas mal, et nous on a envie de s’écarter de ça.

>> E.H. : Concernant toujours le son de groupe, pourquoi utiliser exclusivement le saxophone soprano ?

> Émile Parisien : C’est avant tout par souci d’être le plus à l’aise possible par rapport à une musique qui demande finalement pas mal de difficulté sur l’instrument. Et je suis plus à l’aise avec le soprano, et de plus en plus d’ailleurs, parce qu’on a beaucoup travaillé avec cet instrument. A l’alto, il y a plein de choses que j’ai beaucoup plus de mal à faire techniquement et instrumentalement parce que je connais moins bien l’instrument. Il y a plus de palettes sonores sur le soprano, c’est pour ça aussi que j’utilise celui là, mais j’aimerais bien que ça évolue.

>> E.H. : Abordons l’univers extra-musical du groupe, avec notamment le nom du disque (Original Pimpant), les noms de certains de vos morceaux (Sanchator de Profundis, Darwin à la Montagne, Sopalynx), la pochette de l’album, tout cela parait en adéquation avec la musique qu’il y a à l’intérieur : peut-on parler d’un univers qui se situerait entre l’humour, l’absurde, et des influences dadaïste lointaines ?

> Ivan Gélugne : Pour l’univers, je pense qu’il y a un côté Dada, on a lu quelque trucs Dada, et puis Dada, c’est marrant, c’est un humour qui nous va bien, on aime bien faire des jeux de mots pas chères. Pour la pochette, on a travaillé avec un ami d’Émile et de Julien qui s’appelle Nicolas Lagarde, et ça nous a permis de faire une vraie collaboration : c’est-à-dire que lui nous a proposé des trucs, mais on a pu aussi lui faire écouter la musique bien avant aussi, ça pouvait lui donner des idées et on pouvait également lui faire des retours. Au final, cela fait qu’on obtient clairement un truc d’assez cohérent, effectivement, avec de l’humour, mais pas uniquement.

> Sylvain Darrifourcq : Peut-être que les titres c’est aussi une façon de dédramatiser la musique qu’on fait qui est, en partie, finalement très sombre et très sérieuse, et donc de mettre un peu de distance. C’est aussi une façon de dire qu’on ne se prend pas trop au sérieux. Il faut savoir que le titre de l’album, Original Pimpant, n’est pas de nous, il est tiré des Simpsons et c’est signé Mr Burns.

> Émile Parisien : Les titres vont bien avec le côté narratif de la musique. Pour les gens, on balance un titre comme ça, mais ça crée une liberté d’imagination sur ce qu’on peut faire. Ça peut à la fois aider l’auditeur à identifier quelque chose…

> Julien Touéry  : Ou pas, je dirais. La plupart du temps, le titre c’est ce qui se passe en dernier, c’est-à-dire qu’on ne va pas faire un morceau à partir d’un titre, a priori. Parfois, ça a un sens et parfois non.

> Émile Parisien : Mais c’est surtout matière à rigoler quand même. En fait, ce sont des mots tirés de notre langage, parce qu’on se connaît bien et qu’on a beaucoup d’intimité. Il y a des gens qui peuvent arriver dans une de nos conversation sans la saisir, alors que nous, on se comprend.

> Julien Touéry : Mais effectivement, après, de mettre des mots comme ça sur la musique, ça peut permettre à l’auditeur de s’imaginer des choses qui n’ont surement absolument rien à voir avec ce qu’on a imaginé. C’est encore une fois dans un souci de liberté, pour ne pas orienter complètement l’écoute.

>> E.H. : Le seul morceau du disque qui ne soit pas une de vos compositions, "Le Bel à l’Agonie", vient du répertoire de Wagner, et garde là-encore une cohérence avec votre univers, à la fois sombre et ouvert, autant musicalement qu’extra-musicalement. Ça sort d’où ce Wagner ?

> Émile Parisien  : Ça sort de Sylvain Darrifourcq.

> Sylvain Darrifourcq : Simplement parce que c’était beau.


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