JAZZ À JUAN, NICE JAZZ FESTIVAL, JAZZ AU FORT NAPOLÉON.

Septembre est le mois de la rentrée, des vacances sans touristes, et... du bilan des festivals de jazz.

Une première cet été, pas un enfant de Miles à l’horizon.

Wayne Shorter, Herbie Hancock ( sauf pour un coucou inaperçu à Lyon), Chick Corea (ou si peu), Kenny Garrett, John McLaughlin, où étiez-vous ? Et pourtant, on aurait tant aimé avoir notre propre version du formidable double CD live « Five Peace Band » où John et Kenny rivalisent d’invention et de furia. Kenny Garrett se pose sans conteste comme le plus grand saxophoniste actuel dans la tradition - le digne fils de Cannonball - tous binious confondus.

Wayne est à part, sur une autre planète.


  JAZZ À JUAN

Olivier Franc
Photo © Jean-Louis Neveu

De la soirée d’ouverture en hommage à l’enfant du pays SIDNEY BECHET, on retiendra la belle prestation du MEMORY ALL STARS français, en particulier d’OLIVIER FRANC qui restitue admirablement la sonorité et le phrasé du Maître. On oubliera les clarinettes chevrotantes et aigrelettes de nos amis d’Outre Atlantique.

ROY HARGROVE fit un tabac, prévisible, aussi bien en concert qu’aux boeufs du Méridien.

Les révélations révélèrent la jeune saxophoniste hollandaise TINEKE POSTMA, qui sera là l’an prochain. CELINE BONACINA, qui venait tout juste de remporter la victoire à Vienne, fit seconde
seulement, répertoire sans concession, manque de cohésion avoué. Notre splendide VIRGINIE TEYCHENE confirma qu’elle est bien LA chanteuse gauloise number one, parfaite d’aisance et de simplicité dans tous les aspects du jazz vocal. Indéfectible soutien du contrebassiste Gérard Maurin.
Si les responsables de tout crin (tout craint) avaient des oreilles, Anne Ducros, Diana Krall et bien d’autres devraient pointer au chômage.

Céline Bonacina
Photo © Jean-Louis Neveu

Le concert phare du 15 juillet tint ses promesses populaires. Le triumvirat S.M.V. j’ai nommé STANLEY Clarke, MARCUS Miller, VICTOR Wooten, livra une prestation/démonstration qui me fit d’autant plus apprécier le moment de sérénité où Marcus rendit hommage à Miles sur sa moelleuse clarinette basse. LE guitar hero JEFF BECK, qui avait jadis tourné avec Stanley en quartet ( mama mia, le concert des arènes de Fréjus !), joua merveilleusement « Good bye pork pie hat » et ce thème/joyau de Stevie Wonder : « Cause we’ve ended as lovers ». Pourquoi personne ne joue ou ne chante-t-il cette merveille ? Même Stéphane Belmondo l’omit dans son hommage.

Grande soirée donc, sauf que ceux qui se plaignaient déjà du volume sonore des trois bassistes en entendirent (?) bien d’autres avec Beck.

S.M.V. : STANLEY Clarke, MARCUS Miller, VICTOR Wooten
Photo © Jean-Louis Neveu

Lors d’une incursion backstage, merci Béa, je me suis trouvé face au All Stars du siècle : Jeff, Marcus, Stanley, Victor, Vinnie ( Colaiuta, à qui j’ai remis des inédits de son idole Tony Williams ) et John McLaughlin venu faire la bises à ses potes !

Comme à son habitude, JAMIE CULLUM se livra à un gymkhana musical d’ où émergèrent ses excellents solos de piano.

Je n’ai pu assister à la clôture en apothéose de KEITH JARRETT suite à un empêchement : Monsieur Brad Mehldau à Cimiez. Quelle honte d’avoir ainsi eu à trancher.

À noter le miracle accompli chaque soir par Renaud Dumenil, qui nous remet son petit journal de Jazz à Juan à la mi-temps,


  NICE JAZZ FESTIVAL

BRAD MEHLDAU donc, l’homme aux deux mains droites. Époustouflant, comme d’ hab. Comme j’aimerais qu’un de ces jours il nous tricote un petit « Your song » d’Elton John. Je lui ai demandé mais ça ne le branche pas des masses, bien qu’il adore l’Englishman.

Le même soir officiait JOSHUA REDMAN. Vous savez ce que j’en ai pensé si vous avez lu mon
compte rendu des Victoires du Jazz sur ce même site.

Par contre, j’ai beaucoup aimé DEAD JAZZ, aka THE BELMONDOS, dans leur GREATFUL tribute au DEAD du même nom. Quelles belles compositions et tellement bien mises en valeur.
Vous savez, c’est comme les titres de Dylan chantés par Joe Cocker !

MR SONNY ROLLINS déclencha le feu d’artifice de clôture. Restreint à une performance, comme on dit aux States, de quatre vingt minutes, il joua la quintessence. Guère de solos de ses acolytes
et guère de calypsos. Mais une tornade autour de « More than you know » par exemple. Il joua même un petit supplément pour mon confrère et ami Robert Yvon de Nice Matin à la fin de son interview.
Quelle résurrection que la scène pour ce colosse maintenant aux pieds d’argile, il y oublie les souffrances physiques de ses bientôt 80 bougies. Je passe la parole à mon épouse Arlette :
« arrive un vieil homme courbé, la démarche improbable, et miracle, le sax pointe vers le ciel et le redresse en colosse inaltérable ».

Charles Lloyd
Photo © Jean-Louis Neveu

Mais c’est ce même soir le set de CHARLES LLOYD qui fut pour moi le summum du Nice Jazz Festival 2009, et de tous les festivals tout court. Du moins de tout ce que j’ai vu et entendu.
Il a plané pendant ce set sur la scène Matisse une atmosphère hypnotique, majestueuse, spirituelle.
La béatitude éternelle, la beauté à l’état pur, comme au premier jour du jardin d’Eden.
Avec l’impressionnant Jason Moran au piano, Ruben Rogers, un bassiste hors pair, et Eric Harland que l’on ne présente plus.

Autant j’avais été surpris, pour ne pas dire déçu, en septembre 2008 à La Villette ( Lloyd avait joué de tout, sauf presque du sax et de la flute), autant là j’ai partagé la joie que le grand Charles avait à
jouer. Il fallait le voir ponctuer les interventions de ses musicien et les encourager.

Entre temps, s’étaient produits ALDO ROMANO et son quartet, avec Géraldine Laurent et Henri Texier, MADELEINE PEYROUX, CHRISTIAN VANDER,notre père qui êtes Coltrane, McCOY
TYNER avec le compagnon de Miles des années 70 Gary Bartz, GONZALO RUBALCABA chez
Richard Galliano, CHICK COREA/GARY BURTON, gentille dentelle, et la starisée MELODY
GARDOT, un triomphe mérité au vu, à l’ouie plutôt, des quelques perles qui ornent son album.

Aldo Romano
Photo © Jean-Louis Neveu

Pour moi, ce fut le festival à la programmation globale la plus aboutie. Avec le retour confirmé du jazz, et du meilleur. Pour un partage de 50%, qui dit mieux ? Merci Gérard Drouot.

Et le reste des artistes n’émargeait pas à la « soupe » populaire. Raul Midon, Tracy Chapman, Keziah Jones, Joe Jackson, Magma, James Taylor, Youssou N’Dour.
Personne n’oblige les grincheux professionnels à aller écouter... même Julien Doré.

Sûr qu’avec deux scènes seulement il y a moins de choix. Par contre, il faut souligner la discipline rigoureuse qui nous permit de ne pas subir deux groupes se chevauchant.
La scène Mathis a vu le retour des chaises, miracle, mais le Jardin en est toujours dépourvu. Quelle galère, debout pendant des heures, pour en plus ne rien voir. Autant regarder un DVD chez soi.
Si le son est parfait, des écrans géants seraient nécessaires.

C’est là que la nostalgie nous étreint, « il était une fois un festival où l’on pouvait savourer les prestations des artistes, bien assis, avec vue sur leurs chaussettes, les journalistes ayant même droit à la fosse. Où l’on pouvait aborder les musiciens, leur parler, dîner avec eux ».

Las, c’est même le seul festival où les journalistes sont maintenant interdits de balances, où tout le monde est dans un « enclos », y compris les musiciens. Certains s’en plaignent du reste en déplorant
de devoir subir des musiques qu’ils n’aiment pas forcément. Pro, c’est bien, mais pas trop.

Enfin bon, ce n’est pas grave et nos attachées de presse Corinne et Marion sont parfaites, qui font tout ce qu’elles peuvent pour nous rendre le « travail » plus facile, et même au delà.
Mais nul ne sait encore si le festival 2010 aura lieu et où - croisons les doigts.


  JAZZ AU FORT NAPOLEON

C’est à La Seyne sur Mer que j’ai eu l’autre grand choc de l’été, en écoutant le trio de la pianiste PERRINE MANSUY. Trio au sein duquel j’ai découvert un bassiste que je n’avais pas la chance de connaître : Eric Surménian.

PERRINE MANSUY possède un toucher très pur et un sens inouï de l’improvisation mélodique. Ses compositions en sont aussi la preuve. Comme me l’a dit un jour Wayne Shorter, composer c’est encore improviser. Même si c’est un peu à la mode, Perrine joue merveilleusement bien les diamants que sont les titres de Rickie Lee Jones et surtout Joni Mitchell. Elle nous gratifia également d’un recréation très inattendue du « Vesoul » de Brel. Je vous parlerai bientôt de son album [1].

Perrine Mansuy Trio - "Mandragore et noyau de pêche"
AJMIseries - distr. Intégral et Les Allumés du Jazz

Le son d’ERIC SURMENIAN est pur, éclatant, et ses notes sont bien détachées. Il me fait penser à Gary Peacock. Il joue aussi dans le CD d’ Edwin Berg que je chroniquerai également. Les percussions et envolées vocales étaient dues à l’étonnant Jean-Luc Di Fraya.

Sinon, fidèle à l’idée que se fait Robert Bonaccorsi d’une programmation intelligente et audacieuse,
low cost par nécessité, nous avons encore eu beaucoup de créations d’exclusivités. Ceci vaut également pour Jean-Paul Ricard.

PHILIPPE LE BARAILLEC trio, CHRISTOPHE LELOIL sextet, avec Raphaël Imbert et Thomas Savy, pour une suite où un thème récurrent sonnait la charge.

SONNY FORTUNE, ex compagnon de Miles et d’Elvin, avec le protéiforme Kirk Lightsey.
Rien à jeter.

À FRANCESCO BEARZATTI le triomphe du festival. Un Quartet TINISSIMA brandissant le poing de la révolution face à l’injustice. Le cri et la fureur, renversant ! Tout l’arsenal du Free,
Trane, Ayler et Zorn à l’assaut des barricades. Le trompettiste Giovanni Falzone, se fait l’émule de Dave Douglas jusqu’à en cloner l’attitude physique. On retrouva un instant le quintet mythique de
Don Cherry. [2]

Le JERRY BERGONZY/MARCEL SABIANI Quartet divisa un chouia l’assistance. Le choix de ne jouer que des standards, si tant est que l’on puisse mettre « Caravan » et « Giant steps » dans le même sac , ne fit pas l’unanimité. Rares furent ceux qui pouvaient les transcender, comme Bird ou Django. Bergonzy ensuite, qui remplit d’aise les saxophonistes présents, Alain Venditti et Alexis
Avakian en tête, mais fut le grand incompris du vulgum péquin, fut-il chinois. Peut-être aussi le fait que tout le monde s’adjoint ces temps-ci le concours de SON sax made in USA.

Il y a comme ça un certain nombre de saxophonistes qui peuplent la catégorie « musicien pour musicien ». Manque apparent d’émotion ?

Enfin, le RED ROUTE QUARTET D’ HENRI TEXIER, avec Manu Codjia, Sébastien Texier et Christophe Marguet. Du solide, ce que nous avons de mieux avec Aldo Romano et Andy Emler.
Des mélodies chantantes, un son et un phrasé de basse à faire pleurer un menhir, un swing dévastateur. Un café, l’addition !

Zut, j’ai raté les deux premiers jours, DANIEL HUMAIR, qui exposait également de très belles peintures, et ANDRE JAUME, pour cause de Rollins jazz festival.

Messieurs les organisateurs, vous êtes donc priés de faire en sorte que l’on puisse aller saluer tout le monde, avec un jour de repos et/ou transport entre chaque festival. Na !!!


> Liens :

[1Lire la chronique de "Mandragore et Noyau de pêche", en trio (CultureJazz - février 2008)

[2Lire la chronique du disque "Suite for Tina Modotti" / CultureJazz, avril 2008