Le trompettiste et joueur de bugle Yoann Loustalot était à Avranches (Manche) avec son trio joliment baptisé "Aérophone". Jean-Pierre Poirier parle d’un concert qui est aussi, un peu, le sien !
Jean-Pierre Poirier est la cheville ouvrière de l’association "Jazz Club de la Baie" qui organise des concerts à Avranches et dans le Sud-Manche, contre vents et marées (une expression qui prend tout son sens dans la baie du Mont-Saint-Michel) !
Mais Jean-Pierre Poirier contribue aussi à CultureJazz... C’est pour cela qu’il nous livre ici son point de vue sur ce concert. Un organisateur qui prend la plume, ce n’est pas si fréquent même si cela peut surprendre... (NDLR)
Yoann Loustalot : trompette et bugle, Blaise Chevalier : contrebasse, Emile Saubole : batterie.
C’est à un concert de haute volée qu’a assisté la poignée de spectateurs qui se sont déplacés ce samedi soir au théâtre d’Avranches.
Si la formule du trio sans instrument harmonique est assez couramment pratiquée par les saxophonistes, elle est beaucoup plus rare chez les trompettistes. Sans doute les contraintes physiques propres à l’instrument n’incitent elles pas à se lancer dans cette aventure. C’est pourtant le défi qu’a relevé Yoann Loustalot mais il ne faut y voir aucune recherche de prouesse technique. La musique du trio Aérophone découle d’une authentique démarche créative dont la composition instrumentale de la formation est un des éléments essentiels.
Les compositions du leader et du contrebassiste Blaise Chevalier sont conçues expressément pour ce trio. L’élément harmonique y est la plupart du temps minimisé au profit de cellules mélodiques non dénuées de lyrisme et de constructions rythmiques parfois complexes (7+6 dans "Effrol", , 9+4 et superposition binaire/ternaire dans "Chevalier Blues") mais toujours naturellement inspirées et stimulantes pour l’auditeur. Une démarche esthétique qu’on peut situer dans un courant dont le grand musicien new-yorkais Dave Douglas (lui aussi trompettiste) est un des plus éminents représentants.
Le résultat est une musique qui sans cesse maintient l’intérêt de l’auditeur en éveil. Les éléments rythmiques et mélodiques s’enchainent, se croisent, dialoguent, évoquant un peu les personnages d’un film ou des éléments d’un scénario, générant des ambiances et des couleurs variées. Une composition du leader s’intitule d’ailleurs "Five characters".
On est sous le charme de la qualité remarquable du jeu de chacun des trois instrumentistes qui chacun apporte sa pierre à l’édifice. Ainsi la contrebasse joue-t-elle souvent un rôle aussi prépondérant que la trompette dans l’exposé des thèmes. Le contrebassiste, qui compose également une bonne part du répertoire, fait d’ailleurs preuve d’une maîtrise de l’instrument qui retient particulièrement l’attention : précision, justesse irréprochables alliées à une magnifique sonorité et à une inspiration sans faille (dans la lignée d’un Gary Peacock...) font que ce trio ne serait pas ce qu’il est sans Blaise Chevalier. Un nom à retenir.
Le trompettiste, lui aussi doté d’une très agréable sonorité, un velouté constant dans tous les registres, manie avec beaucoup d’habileté lyrisme et virtuosité, une virtuosité toujours au service de l’expression. Le batteur Emile Saubole se montre parfaitement à l’aise dans les méandres rythmiques proposés par les deux compositeurs, inspiré et inventif dans ses interventions.
Un moment très agréable donc, que les membres du "Jazz Club de la Baie" auraient bien aimé partager avec un plus grand nombre d’auditeurs. Le public avranchinais se montre décidément bien frileux...
La soirée s’est comme de coutume prolongée au bar du théâtre où un groupe de locaux réunis pour la circonstance ouvrit la partie "jam-session" à laquelle les musiciens d’Aérophone eurent la gentillesse de participer pour le plus grand bonheur de tous. Qu’ils en soient remerciés.
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