Entre musique improvisée acoustique et post-rock électrique…

On évoquait dernièrement l’activité de Vincent Courtois avec un trio acoustique improvisé. On découvre une autre facette du violoncelliste qui manquait à son parcours hétérogène, avec son projet électrique WAT, récemment créé au Triton.

Depuis plusieurs années, les différents projets de Vincent Courtois démontrent une ouverture musicale salutaire. Son talent d’improvisateur et sa maîtrise redoutable du violoncelle l’amènent à partager de nombreuses rencontres avec des musiciens majeurs de la scène européenne : Didier Levallet, Martial Solal, Louis Sclavis, Rabih Abou Khalil, Joachim Kühn, Franck Tortiller, Stefano Battaglia... Il collabore aux trios improvisés des pianistes Marylin Cristpell [1] et Sylvie Courvoisier [2]... Son phrasé lyrique met en valeur les chansons de John Greaves [3], la chanteuse italienne Lucella Galleazzi [4] et le tromboniste charmeur Yves Robert dans ses trios La tendresse et Inspirine. Il fonde en 2002 avec Olivier Sens, Hasse Poulsen et Benoît Delbecq la ZAM (Zone d’Activité Musicale), avec laquelle il expérimente les musiques électroniques, électroacoustiques et propose une alternative aux musiques improvisées en faisant participer le public.

Vincent Courtois
Photo © Edouard Caupeil /violoncelle.free.fr

Il explore de nouveaux horizons musicaux avec le slameur André Ze Jam Afane dans deux enregistrements : Les contes de Rose Manivelle [5] et L’homme avion [6]. Il s’inspire des textes de Legs McNeil et Gillian McCain dans le duo Ecrits Rocks partagé avec le comédien Pierre Baux. Il créé en 2004 le quartet What Do You Mean By Silence ? qui connaît un franc succès et partage en 2008 la scène du Triton avec des solistes de l’Ensemble Intercontemporain pour la série de concerts Improvisations contemporaines. Une de ces dernières inventions est celle du trio électro expérimental EGO avec Edward Perraud (batterie) et Maxime Delpierre (guitare).

Toujours soucieux de renouveler ses inspirations et son discours personnel pour lui donner des portées plus lointaines, le violoncelliste se consacre maintenant à une expérience qui mêle une ambiance électrique avec des tournures rythmiques binaires et répétitives. Pour se donner toutes les chances de réussir dans l’exploration de cet univers sonore inédit à son parcours, Vincent Courtois s’entoure de la fine fleur de la nébuleuse expérimentale du label Chief Inspector. On retrouve le guitariste Maxime Delpierre et le batteur David Aknin [7], le clavieriste Matthieu Jérôme [8] et Olivier Lété, [9]. Courtois développe une orientation radicalement post-rock, qui confère à la musique un résultat différent de ce que pourraient jouer de nombreux groupes de rock actuels, car exempt de guitare héros et de démonstration excessive du batteur. Une exigence appréciable est apportée sur le son collectif qui évolue dans des compositions longues.

Des lignes mélodiques simples tracées par le violoncelliste (qui se consacre exclusivement à l’archet) surplombent les harmonies et dissonances qui s’entremêlent et rendent la musique plus touchante. Les structures complexes des thèmes alternent des rythmiques énergiques et des moments plus calmes. Chacun apporte sa touche personnelle : effets électriques tourbillonnants des claviers de l’inventif Matthieu Jérôme, accords généreux du surprenant Maxime Delpierre, intrusions ternaires corpulentes de David Aknin et lignes de basse massives d’Olivier Lété. WAT ne discerne pas les frontières entre les styles et ouvre de nouveaux horizons à des invités occasionnels. Le chanteur John Greaves [également ex bassiste de la veine progressive des années 70 avec les groupes Henry Cow et National Health]] y mêle sa poésie craquante, subtile et frileuse. Thomas de Pourquery apporte une dimension comique avec ses chansons teintées d’humour aux couleurs pop. Son phrasé puissant au saxophone alto est mis en retrait au profit de ses qualités de chanteurs, appréciées des auditeurs du Triton le 18 décembre dernier, après ses prestations marquantes au sein du MegaOctet d’Andy Emler et de son groupe inclassable Rigolus.

On sort réchauffé de cette soirée inoubliable, au point de ne pas ressentir le froid glacial à la sortie. La dépendance de WAT, pilule magique et miraculeuse, nous guette et devrait faire des ravages dans les soirées non jazz. Elle nous met dans un état de transe critique qui incite le public à danser et à re-consommer pour connaître des sensations identiques. On se moque des effets secondaires possibles laissés par ce magma sonore qui bouillonne dans nos oreilles et excite nos neurones ! Est-ce bien raisonnable de reprendre une dose ? Difficile de dire non quand on y a goutté une fois. Pour les jeunes accros qui souhaitent déguster ce cocktail explosif et ébouriffant, il faudra attendre le festival Les Enchanteuses au moi d’avril où WAT invitera la chanteuse Jeanne Added [habituée à accompagner le violoncelliste en duo ou dans le quartet What Do You Mean About Silence ?].

Avec une telle prestation, WAT devrait éveiller l’intérêt des programmateurs soucieux de mélanger les styles et les publics. Sa musique a tout pour satisfaire leurs exigences, remplir les salles et donner le maximum de plaisir aux auditeurs !


> Liens :

[1album Shifting Grace paru en 2006 chez Cam Jazz

[2disque As Soon As Possible édité en 2008 chez Cam Jazz

[3accompagnées de la pianiste Sophia Domancich sur le disque The Trouble With Happiness sorti en 2003 chez le label Le Chant du Monde

[4dans un répertoire traditionnel partagé avec le tubiste Michel Godard sur l’album Trio Rouge sorti en 2004 chez le label Intuition

[5paru en 2004 chez le label Le Triton

[6sorti en 2008 chez le label Chief Inspector

[7tous deux membres du groupe Limousine et du quintet explosif DPZ, dirigé par Thomas de Pourquery et Daniel Zimmermann

[8l’un des trois piliers fondamentaux des trios de free jazz électrique Gleize/Delpierre/Jérôme et ANK

[9ex bassiste du Collectif Slang dans lequel il côtoyait Delpierre et Aknin, fondateur du quintet 500mg où il partage la rythmique avec son frère et membre des récentes formations de Louis Sclavis (Lost On The Way) et Dominique Pifarély (Après la révolution)