Saxophoniste surdoué de la sphère musicale dijonnaise, Aymeric Descharrières s’impose comme l’un des musiciens les plus intéressants et créatifs de la scène bourguignonne. Il présentait aux 23ème Rencontres Internationales de Jazz de Nevers son quartet très énergique, aux confluences du jazz et du rock.

> Armel Bloch : Pouvez-vous brièvement évoquer votre parcours ?

> Aymeric Descharrières : Comme beaucoup de musiciens, la musique est une histoire de famille : mon père était saxophoniste. Tout s’est fait naturellement. J’ai arrêté les études obligatoires pour me consacrer exclusivement au saxophone dès que c’était possible. Après l’école de musique de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), j’ai intégré le conservatoire de Dijon, pour perfectionner mon niveau en musique classique. à l’âge de 15 ans, j’ai participé à un big band qui m’a fait découvrir le jazz. J’ai rapidement préféré jouer des blues plutôt que les concertos de la fin du siècle dernier (sourires).

Mes influences musicales sont assez vastes ; classique, rock, jazz : John Coltrane, Les Pixies, Fela Kuti, Radiohead, Nirvana, The Ex, John Zorn, Marc Ribot, quelques préludes de Chopin... Je me sers de toute cette matière pour concevoir mes projets. Je ne pense pas qu’il y ait grand chose de neuf dans mon écriture, dans le sens où j’ai toujours été inspiré par des choses que j’ai écoutées. Je ne fais que les retranscrire à ma façon.

Point Zér0
Point Zér0
Photo © Louise Vaissier

Certaines rencontres ont été décisives. J’ai travaillé avec les musiciens du Collectif Mu, notamment le saxophoniste Eric Prost. J’ai participé à la création du programme Slavonic Tones de l’orchestre Diagonal de Jean-Christophe Cholet, dans lequel j’ai croisé Jon Sass, ancien tubiste du Vienna Art Orchestra. Dans la musique, on évolue toujours avec des rencontres, puisqu’on joue rarement seul... Elles sont indispensables pour progresser et j’espère en faire beaucoup d’autres.

> Vous semblez vous intéresser à d’autres musiques que le jazz...

> Effectivement, j’appartiens à une génération de musiciens qui refusent de s’enfermer dans un seul style, mais cette position n’est pas toujours perçue comme telle par les programmateurs. A Dijon, lorsque l’on joue des standards de jazz pendant un an et que l’on souhaite évoluer vers une autre musique comme le rock ou les musiques électroniques, l’étiquette « jazz » reste. On observe ce même problème au niveau national. J’ai toujours du mal à définir le terme jazz. Où commence-t-il et où se termine-t-il ? Il y a forcément un moment où ce courant s’arrête ou se transforme. On peut parler de musique improvisée, libre, expérimentale, actuelle, influencée par tel ou tel courant...

Aymeric Descharrières
Aymeric Descharrières
© DR

Je participe au groupe de rock Point Zér0 [1], dans lequel je chante en polonais et joue du clavier. C’est un groupe entièrement régional. J’aime aussi travailler sur le rapport entre la musique et l’image, par exemple dans le trio partagé avec Philippe Poisse (piano, composition) et Julien Vuillaume (batterie), sur l’accompagnement du film muet « L’Aurore » (Murnau, 1927) ou dans Japanese Kiss avec Mickaël, autour d’un film muet japonais. Je prépare avec ce duo un ciné concert sur la finale de football France-Allemagne de 1982 intitulé Drame à Séville, pour le festival Why Note 2010 de Dijon. Il y a dans ce groupe de musiques électroniques une logique de création où prime l’instantanéité. Nos influences musicales sont Radigue, Daft Punk, Matmos, Aphex Twin ou Nine Inch Nails. Nous aimons créer à chaque concert une esthétique singulière, et nous nous adaptons aux tendances musicales de la soirée (ambient, experimental, electro rock). Chaque représentation est unique.

Je participe aussi au spectacle Idéal club, de la compagnie dijonnaise de théâtre 26000 couverts, dans lequel je suis musicien et acteur passif. Je prépare une nouvelle création du réalisateur Guillaume Malvoisin avec le projet Le nerf et l’élégance, relecture lointaine de la pièce de théâtre The Connection avec le comédien François Chattot et le contrebassiste dijonnais Sébastien Bacquias.

Je viens d’intégrer le groupe de musiques improvisées Pug Nass de Benoît Kilian (batterie), sorte de mélange entre jazz, punk et rock. Je collabore toujours au Big Band Chalon Bourgogne. Nous avons récemment enregistré la création A l’arbre par la fenêtre de Jean-François Michel et un double CD live en hommage à Count Basie et Duke Ellington. Nous travaillons actuellement sur un répertoire latino et nous préparons pour 2010 un nouveau programme écrit par Mickaël.

J’ai écrit pour l’une des dernières éditions du festival Jazz à Couches un nouveau répertoire pour Les sourdines à l’huile, groupe de New Orleans implanté à Chalon sur Saône. Ce n’est pas vraiment un projet personnel puisque j’ai rejoint cette formation quelques années après sa naissance. Il a fallu respecter son style, le moderniser avec du groove. Je joue parallèlement dans le groupe funk Organ Funky Project [2] et dans le quintet Yu [3].

> Vous présentez cette année à Nevers la création « De Zelazowa Wola à Warracknabeal ». Quelques mots sur ce projet ?

> J’avais depuis longtemps envie de m’affirmer dans un projet plus personnel, pour être visible et concevoir d’avantage la musique qui m’intéresse aujourd’hui. J’ai choisi des personnalités musicales qui me touchent. Je travaille depuis dix ans avec Mickaël Sévrain, dans des projets aux esthétiques très différentes. Nous nous sommes rapidement intéressés aux mêmes choses. Il était assez logique de l’intégrer dans ce nouveau groupe, où je cherche le plus d’ouverture possible. Son phrasé intense aux couleurs bop enrichie la palette sonore voulue.

Aymeric Descharrières
Aymeric Descharrières

Photo © Djil - www.djil.fr

Je ne voulais pas d’un quartet estampillé jazz. Je suis un peu dans ma période rock : je recherche à la fois un son fort de batterie, avec une frappe franche, un batteur attentif à tout ce qui se passe, qui suggère des idées de développement. Philippe Gleize coïncide parfaitement à cet esprit, sans être catégorisé rock. Un batteur de rock n’aurait peut-être pas toutes les facultés d’écoute et de conception musicale recherchées. Il connait bien notre univers : il joue avec Mickaël dans le groupe free rock Call the Mexicans, dont la dynamique sonore coïncide avec ce que je recherche.

Je voulais aussi ramener un nouveau compère, plus orienté jazz et m’ouvrir d’avantage à la scène nationale, voir européenne. J’ai rencontré le tromboniste australien Adrian Mears à Vienne il y a trois ans. Il a tout de suite adhérer à ma proposition. Il joue aussi du clavier et prend une position opposée à Philippe et Mickaël, aux jeux plus violents. Cette contradiction apporte des tensions musicales intéressantes. L’association du trombone et du clavier permet de jouer les lignes de basse sans bassiste et remplir alternativement d’autres fonctions. Adrian a suggéré beaucoup d’idées pour enrichir le répertoire.

J’apporte des bases assez écrites, qui servent de support aux improvisations. Avant d’écrire les thèmes, je pensais apporter des influences latines et des évocations lointaines à Chopin et Nick Cave par exemple. Finalement, je n’ai pas recherché de style particulier mais juste une énergie aussi bien par la rythmique que par les couleurs harmoniques du fender rhodes. Je ne pense pas qu’on puisse caractériser tout ce programme en un seul terme. Je l’ai écrit pour prendre plaisir à le jouer. Le thème général est assez vague. Il évoque un long voyage de la Pologne à l’Australie, sorte de rappel à mes origines polonaises et à celles d’Adrian. J’aimerai enregistrer courant 2010 pour éditer un disque. Pour le moment, je démarche les scènes régionales.

Propos recueillis par Armel Bloch.


> Liens internet :


> Discographie :

  • Avec Des embouts et des becs : Le merveilleux petit monde de Bela
  • Avec le Big Band Chalon Bourgogne : Live, 20ème anniversaire (2008), Al’arbre par la fenêtre (2008).

> Dates à venir :

  • 11/06/10 : Théâtre de Semur-en-Auxois
  • 11/09/10 : Théâtre de Beaune dans le cadre du festival Jazz à Beaune

> Prochainement :

  • Le jazz en Bourgogne # 5 : entretien avec Sébastien Bacquias, contrebassiste de Dijon.

-Egalement disponible sur Culture Jazz :

[1Denis Desbrièrres (batterie), Olivier Dumont (basse électrique) et Mickaël Sévrain (claviers)

[2Aymeric Descharrières (sax), Olivier Truchot (orgue), Julien Vuillaume (batterie)

[3Denis Desbrières (batterie), Florian Raimondi (basse), William Rollin (guitare), Simon Girard (trombone), Aymeric Descharrières (saxophones)