Le festival "Jazz sous les Pommiers" a toujours accueilli des "régionaux". C’était le cas aussi en 2010. Nous les avons repérés dans un programme pantagruélique !
Le Basse-Normandie est un terroir fertile pour le jazz. Le succès impressionnant de l’édition 2010 du festival Jazz sous les Pommiers (une année record !) en témoigne doublement. Voilà une région où l’on sait faire vivre un événement qui s’adresse prioritairement aux gens du cru (à la différence de bien des festivals d’été !). Voilà encore une région où les musiciens cultivent leur art et le font prospérer jusqu’à l’exporter dans d’autres contrées... Le festival coutançais l’a mis en évidence de belle manière même si les "locaux" ne sont que quelques touches d’un programme pantagruélique.
Parmi eux, il y a ceux qui ont choisi de vivre et travailler au pays, en priorité, et se sont structurés pour cela avec une ferveur militante qui leur permet de contourner astucieusement bien des difficultés. C’est comme cela qu’on résiste ici ! Le projet du Petit Label [1] est une illustration exemplaire de ce dynamisme. En parvenant à produire des disques de musiciens bas-normands (et d’ailleurs), en s’inscrivant dans les principes généraux de l’économie solidaire , ils placent au premier plan le respect des artistes, la diffusion de musiques non-commerciales et très créatives et réduisent l’empreinte écologique de la production en s’associant à des coopératives locales. Un modèle d’économie intelligente de la culture. Le Petit Label bénéficiait d’un coup de projecteur sur ce festival avec un concert du trio de Gaël Horellou et une exposition au Café Solidaire, lieu alternatif où l’on propose aussi une autre manière de vivre les relations économiques entre producteurs et consommateurs (lire l’article). On pouvait y voir aussi la galerie de portraits des musiciens du label réalisée par Christian Ducasse, notre fidèle reporter-photographe.
> Gaël Horellou (sax alto), Yoni Zelnik (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie).
Le saxophoniste Gaël Horellou a fait ses premières impros à Caen, en suivant les baguettes de Jean-Benoît Culot avant de jouer les nomades avec une escale importante en Bourgogne, autour de Mâcon et des incursions régulières dans la sphère électro. C’est aujourd’hui une des voix les plus inspirées du saxophone alto (même par-delà nos frontières !). Bopper dans l’âme et aventurier de cœur, il a proposé autour de midi (et demi) une savoureuse approche du trio. S’il reste attaché à l’esprit du be-bop (il excelle dans le phrasé tortueux au flux intarissable), il se permet d’en ébranler les structures. Pour preuve, une relecture du Segment [2] de Charlie Parker que ne renierait pas Antony Braxton, une décomposition méthodique et géométrique en cellules rythmiques et mélodiques juxtaposées qui se reconstituent soudain pour faire émerger le thème parkerien, improviser avec fougue et mieux le décomposer ensuite. Un grand moment de musique authentiquement vivante composée de standards agrémentés de quelques compositions originale avec la solide complicité de l’excellent Yoni Zelnik à la contrebasse et Philippe Soirat, gardien du swing à la batterie. Une prestation chaleureuse qui a largement surclassé celle de la saxophoniste hollandaise Tineke Postma pourtant très attendue avec son american-team à la sophistication un peu froide.
> Thomas Savy (clarinette basse), Chritophe LeLoil (trompette) et Raphaël Imbert (sax alto).
Il y a aussi les musiciens qui ont trouvé leur bonheur ailleurs mais ne renient pas leurs origines normandes. Christophe LeLoil est de ceux-là. On le croirait marseillais mais il a grandi sur les rives de l’Orne où se trouvent ses racines jazzistiques avant de se laisser descendre vers le pays du soleil et des cigales. Ce jeudi 13 mai, une spectatrice ne manquait pas une note de ce savoureux et superbe concert. Appareil photo en main, madame Loilier fixait en images la musique que jouait avec un grand talent son fils Christophe et ses amis. Et Loil sait les choisir, ses amis : Thomas Savy, clarinettiste basse qui joue si bien du saxophone baryton, Raphaël Imbert musicien-ethnologue-chercheur et magistral saxophoniste sur diverses tessitures de l’instrument, Carine Bonnefoy, pianiste au jeu subtil et inspiré et la paire rythmique inséparable et efficace composée de Cédric Bec (batterie) et Simon Tailleu (contrebasse).
Nous avions "étoilé" le disque après quelques écoutes éblouies tellement il était brillant. Cette suite qui vante le swing évolutif en laissant perler un hommage sensible aux grands trompettistes du jazz est pilotée avec maestria par Christophe Loilier, alias LeLoil, qui possède un phrasé parfaitement maîtrisé et impressionne par la palette de couleurs qu’apporte à son instrument une panoplie de sourdines en tous genres. Évitons les redites : toutes les qualités de ce sextet étaient évoquées dans la chronique du disque. Après ce concert, nous maintenons notre avis et signons des deux mains !
> Francesco Bearzatti (sax), Simon Goubert (batterie) et Emmanuel Bex (orgue) : "Open Gate Trio"
La soirée du 13 mai au théâtre de Coutances mettait à l’honneur un deuxième gars "du coin". Emmanuel Bex a grandi à Caen, lui aussi, et il était présent avec l’Open Gate Trio où il échange des idées lumineuses avec le saxophoniste Francesco Bearzatti et le batteur Simon Goubert. Nous avons déjà beaucoup écrit sur ce trio et tous les avis convergent pour mettre en évidence la générosité, la chaleur qui se dégage d’une formation portée par une formidable envie de jouer. S’il y a quelques longueurs parfois (les vocalises transfigurées au vocoder s’étirent un peu en boucles diffuses...), elles sont bien vite pardonnées tant on se laisse séduire par le jeu fougueux, bouillonnant et lumineux de Francesco Bearzatti, l’efficacité (poly)rythmique de Simon Goubert et le l’orgue velouté, sirupeux (parfois), diabolique et véloce (souvent) d’Emmanuel Bex . Un concert chaleureux et poignant car dédié à un ami qui vient de disparaître subitement, le guitariste caennais Dominique Voquer, sans qui le jeune Bex ne serait sans peut-être jamais venu au jazz... Dominique aurait dû se produire le dimanche 9 mai avec le quartet Djangobim. Julien Hay (guitare), François Rondel (clarinette) et Nicolas Talbot (contrebasse) ont joué sans lui, une musique gaie, l’âme en peine...
Depuis les origines du festival, les musiciens bas-normands animent fréquemment les nuits de la cave des Unelles. Ils trouvent ainsi un moyen de se produire dans le cadre d’un festival désormais prestigieux en espérant des rencontres inattendues au cours de bœufs hypothétiques. Ils se produiront un jour peut-être sur les grandes scènes comme le batteur Antoine Banville, originaire du Calvados, lui aussi, et depuis longtemps déjà, batteur de formations renommées comme le quartet du saxophoniste Stéphane Guillaume qui se produisait le 14 mai avec son Brass Project, à savoir ledit quartet et un septuor de cuivres. Compositions rythmées et impeccablement mises en place, solistes de tout premier plan : cet ensemble reflète une sophistication moderne à l’énergie totalement maîtrisée, sans désordre apparent. On aimerait pourtant que ce bel ordonnancement se fissure un peu, s’échauffe pour laisser poindre un peu de folie... Une belle machine, trop huilée ? À moins que ce ne soit la tension importante de l’enjeu "festival" ?
> Matthew Herbert (claviers, machines, mix), Peter Wraight (direction), Eska Mtungwazi (vocal) : "Matthew Herbert Big Band".
Jadis, Guillaume le Conquérant embarqua des côtes normandes à le conquête de l’Angleterre. Depuis les débuts du festival, le mouvement s’est inversé : les anglais débarquent régulièrement à Coutances. On se souvient encore du Mike Westbrook Brass Band ouvrant la première édition en 1982. Cette année encore, les anglais sont venus en nombre. Pour éviter la surcharge jazzistique, nous n’en aurons (malheureusement ?) écouté que quelques-uns qui n’avaient vraiment rien de renversant. Entre la production décorative et soporiphique du jeune Portico Quartet (un son joliment travaillé mais... pas de musique !) et la prestation décevante (voire désolante sur un rapport qualité/prix !) de l’electroDJmixer Matthew Herbert. Son somptueux Big-Band (de casino !) joue une musique banale sans saveur et sans soli qui sert de matière première aux bidouillages-cafouillages du leader qui joue le savant fou en passant tout cela à travers sa moulinette sophistiquée sans en dégager aucune saveur nouvelle. Un rôle de composition vaguement empreint de militantisme de pacotille [3] qui pallie l’absence de musique malgré un chef en queue de pie et une chanteuse stéréotypée dans la veine soul-electro, en vogue Outre-Manche. Un concert totalement aux antipodes de la prestation magistrale et intelligemment débridée du grand musicien qu’est Django Bates, à la tête de son big-band autrement décoiffant, StoRMChaser ! C’était sur cette même scène, en mai 2009.
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Quelques images commentées...
Cette chronique de sous les Pommiers est évidemment très parcellaire puisque nous n’avons pas suivi le week-end d’ouverture des 8 et 9 mai (en raison du final de l’Europa Jazz Festival !). Le diaporama ci-dessous donnera quelques éclairages complémentaires à travers une série d’images qui ne sont rien d’autre qu’un modeste regard sur l’événement.
Et n’hésitez pas à ajouter vous commentaires et à réagir ! On imagine aisément que certains de nos points de vue ne seront pas partagés : exprimez-vous !
> Liens :
[1] ... tout comme le Collectif Jazz de Basse-Normandie ou le Camion Jazz de l’association "Jazz à Roulettes" etc.
[2] Titre de son dernier album paru sur le Petit Label.
[3] Nous aurons eu le droit à la séquence des journaux déchirés qu’il perpétue depuis des années... La bande-son (sans parler de musique) était la copie presque conforme, un peu relookée, de son premier disque paru il y a 7 ans !