Dans le cadre du Festival de Chaillol 2010.

Si on s’écarte un peu des axes autoroutiers sur-fréquentés qui relient les "grands" festivals d’été, on découvre des manifestations qui cultivent des saveurs originales. Ainsi, après Millau en Jazz et Jazz à Junas, nous avons profité d’une escale estivale dans les Hautes-Alpes pour aller écouter le saxophoniste Jean-Charles Richard dans le cadre du Festival de Chaillol, manifestation qui en est à sa quatorzième édition [1].

Jean-Charles Richard à Tallard - 28 juillet 2010
Photo © CultureJazz

Piloté depuis la commune de Chaillol, ce festival nomade irrigue une douzaine de communes entre le Champsaur (la haute-vallée du Drac) et la vallée de la Durance avec un programme original et exigeant à dominante musicale pendant presque un mois (18 juillet au 12 août 2010). Ici, les musiciens sont rarement de passage : ils s’installent souvent pour trois concerts complétés par des rencontres avec le public ("une heure avec...") dans un esprit de transmission et de partage, en mettant en avant la proximité et la convivialité dans de petits lieux chaleureux. Un beau travail de fond effectué par une équipe engagée dans une action culturelle qui vise à fertiliser un territoire. Une conception de la diffusion musicale que le directeur du festival, Michaël Dian, définit ainsi : "Loin de l’agitation frénétique de la ville, (la musique) résonne, désencombrée de tout ce qui fait obstacle à sa vérité, puissante mais toujours fragile. Il me semble même qu’elle retrouve, là plus qu’ailleurs, un peu de sa fonction première, priitive et presque rituelle : celle de réunir au-delà de ce qui sépare" [2].

Un engagement qui porte ses fruits au regard de la fréquentation !

Jean-Charles Richard, Peter Herbert et Wolfgang Reisinger à Tallard - 28 juillet 2010
Photo © CultureJazz

Jean-Charles Richard a un défaut : il ne se soucie pas assez de son plan de carrière et de sa promotion. Il joue de la musique, des musiques, tout simplement, parce que c’est ce qu’il aime et qu’il le fait brillamment. Un artiste totalement investi dans son œuvre et une collaboration toujours remarquable aux projets de ses nombreux amis. Et s’il n’est pas nommé, primé, couronné dans le grandes messes annuelles d’auto-glorification du microcosme du jazz, c’est un des saxophonistes les plus captivants du moment. Brillant technicien et professeur formé dans les écoles les plus réputées, il est prêt pour bien des aventures sans œillères entre classique et jazz, musiques populaires ou création spontanée, le cirque et les fanfares... Pour le Festival de Chaillol, il a repris son solo (Faces - 26 juillet), une formule qu’il travaille depuis quelques temps, et créé par la force des choses un nouveau trio (quelle aubaine !). L’indisponibilité de son pianiste complice, Christopher Culpo, a amené Jean-Charles Richard à se lancer dans une nouvelle aventure triangulaire en totale connivence avec deux fameux musiciens autrichiens. À la contrebasse, Peter Herbert sait maintenir l’équilibre entre efficacité rythmique et audace mélodique. À la batterie, la réputation de Wolfgang Reisinger va bien au-delà de son statut de batteur historique du Vienna Art Orchestra [3] des débuts. Sa collaboration à nombre de formations avec des musiciens européens et américains prouve que cet habile technicien fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’un et sens de l’écoute remarquables.

Peter Herbert - Tallard - 28 juillet 2010
Photo © CultureJazz

Nous avons donc assisté au second concert de ce trio, le 28 juillet, dans une petite salle voutée du Château médiéval qui domine le bourg de Tallard. Sans sonorisation, avec la proximité complice d’un public éclectique, curieux de découvrir des formes d’expression diverses (comme y invite ce festival), le trio a pu donner le meilleur sur des compositions nouvelles ou réarrangées de/par J-C. Richard. Le programme a été conçu comme une invitation au voyage dans un monde musical où les lignes mélodiques subtiles s’ouvrent sur des phases plus abstraites qui permettent à chacun des protagonistes de laisser libre cours à son imagination dans des séquences improvisées jamais arides. Une démarche très pédagogique qui permet de ne pas perdre les oreilles les moins familières à cette forme d’expression. Qu’il donne toute sa profondeur à la sonorité du saxophone baryton en début ou en fin de concert, qu’il développe un discours limpide au soprano, Jean-Charles Richard possède un phrasé qui met en valeur la dimension expressive de sa musique. Une diversité de climats se dessine, y compris avec l’utilisation de la flûte en bambou qui souligne agréablement l’inspiration orientale de Nader. Le Reliquaire du Bonheur invite ensuite à une rêverie méditative riche en couleurs avant le final solidement charpenté et presque funky de Tumulte. L’enthousiasme de ce public, conquis et visiblement transporté par la musique du trio permet d’espérer que cette rencontre de deux soirs ne restera pas sans suite.

Wolfgang Reisinger à Tallard - 28 juillet 2010
Photo © CultureJazz

Dans une période où le saxophone baryton revient en force (François Corneloup, Céline Bonacina ou encore l’improvisatrice Maguelone Vidal...), souvent dans le contexte du trio avec avec cordes graves et tambours (encore Corneloup et Bonacina !), cette nouvelle formule au catalogue de Jean-Charles Richard s’avère passionnante et prometteuse et l’idée d’un enregistrement émerge. Tant mieux, cela permettra de faciliter la promotion de cette belle musique vivante, sensible, créative sans être hermétique. Tout ce qu’il faut pour satisfaire l’attente d’un public qui mérite le meilleur sur les scènes de France et d’ailleurs !

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> Liens :

[1Non loin de là, dans le département de l’Isère se déroulait le festival "Mens Alors !" (1er au 8 août), à Mens, dans le Trièves. Dans un même esprit d’ouverture, de convivialité, de brassage des cultures, ces manifestations sont des espaces de création indispensables, à préserver !

[2Extrait de l’éditorial du livret-programme du festival 2010

[3Une formation mythique et remarquable du jazz européen qui vient de cesser ses activités au début du mois de juillet 2010. Regrets...