À l’occasion d’un retour sur le concert de la chanteuse Behia lors du festival de La Gaude (06), Michel Delorme fait le point sur les lieux de jazz de la Côte d’Azur.
Comme dans toutes les régions de France, les endroits où l’on peut entendre du jazz dans les Alpes Maritimes sont relativement nombreux.
Il en va tout autrement avec les bistrots et les restaurants où l’on peut, éventuellement , entendre du jazz. Éventuellement est le mot car les clients se soucient bien plus de dîner entre amis que d’écouter. Ils parlent d’autant plus fort que la musique les y oblige, s’esclaffent, éructent, j’en passe et des meilleures. Le tout dans un cliquetis de vaisselle, parfois en provenance même de la cuisine.
Je citerai pour exemple la Fontaine aux Vins de Valbonne où trois pauvres musiciens sont coincés dans deux mètres carrés, où le bassiste ne peut jouer de la contrebasse ordinaire mais utilise un engin qui ressemble à une arête de poisson et où le trompettiste est obligé d’esquiver quand passe le plat du jour. Le plus ridicule de l’histoire, c’est que les gens applaudissent à la fin des morceaux !
Ne croyez cependant pas que cette situation est une spécialité régionale. J’ai pesté dans les clubs de New York contre des agglutinations de japonais piailleurs et j’ai vu Mingus arrêter son orchestre au Village Gate en disant : « Cela ne vous dérange pas si je joue pendant que vous mangez ? ».
C’est dans un tel contexte que se présentait la chanteuse Behia à la Séguinière, commune de la Gaude. Concert organisé dans le cadre du festival annuel du So What.
Quand au moment d’attaquer une chanson particulièrement émotionnelle au milieu de son répertoire, elle dut demander le silence, j’ai eu honte. Honte pour elle, pour Billie, pour l’organisateur ( le doux Alex Benvenuto ), honte pour l’établissement. Dans ce genre d’endroit, on ne devrait programmer que des orchestres de cuivres, et encore. Cela n’enlevant rien à la qualité de l’accueil, je dois le préciser. À un moment, il a fallu employer les gros mots pour faire taire une espèce de pétasse vulgaire et tapageuse qui interpellait bruyamment ses connaissances d’un bout de la salle à l’autre.
Quel dommage car Behia a conçu un magnifique projet autour de Billie Holiday, qu’elle vénère comme tous les gens de goût. Billie et Nina Simone ont été les deux plus grandes interprètes de l’ histoire du jazz vocal, leur émotion et leur sincérité ont atteint des sommets.
Le répertoire est extrêmement bien choisi. De petits miracles comme Good morning heartache ou Don’t explain alternent avec des blues qui collent à la peau, Fine and mellow, Billie’s blues, et des chansons enjouées comme What a little moonlight can do, Them there eyes ou Miss Brown to you.
Mais il faut surtout du cran pour s’attaquer à Strange fruit, la ballade des pendus du lynchage. Et elle s’en tire à merveille. Voix parfaite, pleine d’une émotion distillée avec une diction et une prononciation de l’anglais sans faille, la dramaturgie du texte est palpable. Bien loin des insupportables simagrées d’une Mina Agossi.
Et surtout, Behia ne se risque pas à imiter la voix de Billie, qui le pourrait du reste, elle se contente d’être elle-même et le fait magnifiquement bien. Tout juste de temps en temps une petite inflexion, un clin de voix.
Un disque est en préparation avec le concours du trio de Francis Lockwood et la présence lumineuse de François Chassagnite sur quelques titres.
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PS : j’ai mentionné le Jazzup à Opio et je me dois de dire que j’y ai entendu la nouvelle mouture du groupe marseillais Yades, excellent quartet contemporain qui qui a le mérite de jouer ses compositions. Belle prestation dans une très agréable salle ( de concert ! ) de ces quatre garçons dont un vent qui viennent encore de remporter le Trophée du Jazz de la côte d’Azur. Accueil plus que chaleureux des organisateurs.
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