Sortie du 3ème album de l’Émile Parisien Quartet : une occasion d’un retour sur le parcours du batteur de cette formation, Sylvain Darrifourcq.
À l’occasion de la sortie du troisième album de l’Émile Parisien Quartet, sa formation la plus visible à ce jour, retour sur le parcours du batteur Sylvain Darrifourcq, dont les préoccupations dépassent le simple champ de l’homogénéité et les frontières du jazz.
Ceux qui ont eu l’occasion d’écouter sur les scènes estampillées jazz un trio sauvage répondant au doux nom de Q se sont déjà confrontés, peut-être même sans le savoir, à l’éclectisme de Sylvain Darrifourcq. Assimilé principalement à l’idiome jazz, le batteur n’en demeure pas moins constamment concerné par toutes les formes de la création musicale. « J’ai envie que les groupes dans lesquels je joue soient à la fois des propositions fortes et me placent dans une frontière de ma pratique instrumentale. C’est ceux-là que je trouve les plus excitants, quelle que soit l’esthétique proposée. »
Son parcours est à l’image de cette préoccupation. Découvrant la pratique musicale par l’apprentissage de la percussion classique, puis batteur ado dans un groupe de rock, c’est tardivement qu’il se met au jazz. Il s’inscrit alors au conservatoire de Toulouse et en sort diplômé du DEM jazz. Mais surtout, il y fait la rencontre d’Émile Parisien, de Julien Touéry et de Ivan Gélugne avec qui il fonde l’Émile Parisien Quartet.
Le Prix Frank Ténot, une Victoire du jazz et trois albums plus tard, l’aventure continue. Mais entre temps, Sylvain Darrifourcq a multiplié les rencontres, à la recherche de voies nouvelles.
Capitale
C’est en 2009 qu’il s’installe à Paris et s’associe à la nouvelle garde de la capitale (avec essentiellement de jeunes musiciens issus du CNSM et du collectif COAX). Il collabore à plusieurs projets qui nourrissent ses envies de différentes manières :
« J’ai toujours été très attaché à la fois à la mélodie et au bruit, à la masse de son. Il existe ce que j’appelle une musique de la brèche qui mêle ces deux aspects, une espèce de cohabitation rapide et mouvante de la note et de la tonalité avec le bruit et l’énergie. C’est un endroit de la musique qui me fascine. »
C’est la raison pour laquelle il met pour le moment de côté sa formation Nux, sorte de free-rock furieux tout improvisé : « c’était une espèce d’attentat sonore hyper jouissif, de l’enthousiasme à l’état pur, mais sans souci de la forme. C’est quelque chose dont je ne peux plus me satisfaire aujourd’hui. » Car pour Sylvain Darrifourcq, la question de la composition est ce qui garantit la réussite de la création : « La forme en musique, c’est comme la forme d’un discours, c’est ce qui va te rendre intelligible. » C’est en cela qu’il trouve son compte dans le quartet d’Émile Parisien ou dans Q – son trio à l’énergie rock fondé avec le guitariste Julien Desprez (DDJ, Radiation 10) et la bassiste Fanny Lasfargues (Rétroviseur) – deux formations dans lesquelles on retrouve les mêmes interrogations quant au rapport de la forme à l’improvisation.
« Dans ces projets, même si le son est différent, la musique reste très composée mais n’empêche jamais la possibilité d’aller très loin. Elle permet également un éternel questionnement de la pratique. »
C’est pour répondre à ce même questionnement que Sylvain Darrifourcq va également flirter avec la sphère de la musique contemporaine, dans une approche plus abstraite de l’instrument, avec des projets comme Karoshi (duo avec le compositeur Yoann Sanson) ou son actuelle collaboration avec Guillaume Hermen, compositeur électroacoustique qui, lui écrivant des pièces sur mesure, fait de Sylvain Darrifourcq son interprète. « Cette approche, c’est pour moi une manière différente de dépasser les paradoxes de mon instrument, de me questionner par exemple sur comment générer de la percussion d’autres sons que le simple impact. »
C’est essentiellement en ce sens que Sylvain Darrifourcq se veut être un batteur hétéroclite, désireux d’investir des musiques diverses.
Des influences à l’EPQ
D’ailleurs, quand on l’interroge sur ses influences, il répond en avoir autant que de musiques qu’il joue, mais cite spontanément Tony Williams qui le fascine toujours plus qu’à la première écoute. Et si il ne fallait parler que des batteurs, il évoque autant les maîtres de l’histoire de l’instrument (Elvin Jones, Roy Haynes) que des contemporains, tant américains (Brian Blade, Jim Black, Joey Baron) que français (Éric Échampard, Edward Perraud). Influences multiples qu’il conjugue admirablement au sein du quartet d’Émile Parisien. Au-delà de l’aspect narratif de la musique qu’il contient, le nouvel opus du groupe, "Chien Guêpe", à la pochette aussi dadaïste que le nom, raconte lui-aussi toute une histoire. Après une pause du groupe, une courte résidence et une tournée en Scandinavie et dans les pays baltes, les quatre complices entrent en studio avec un répertoire bien rodé sur scène mais extrêmement réduit. C’est donc dans l’urgence que s’est produit cet album. « Il est moins composé, en effet... mais beaucoup mieux joué ! Avec des moments de climax qu’il n’y a dans aucun des autres disques. »
Concernant le contenu musical, le disque révèle les ouvertures du groupe sur le travail à venir : « un travail sur la superposition des espaces et des vitesses. Avec l’idée peut-être d’aller moins dans la narration que dans la fragmentation du discours. » De quoi nous faire apprécier plus encore leur musique. Cette musique qui place Sylvain Darrifourcq et ses comparses au cœur d’une même voix collective. Celle-là même qui leur a redonné l’envie de jouer, pour notre plus grand plaisir.
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