Quelques éclairages sur des projets récents de formations et de disques autour de Michel Godard (tuba, serpent, basse), pour la plupart initiés ou édités en 2012.
Michel Godard #3 : une actualité foisonnante
Si l’actualité de Michel Godard dans nos pays voisins démontre une ouverture indiscutable aux rencontres et une fidélité de longue date partagée avec des musiciens européens (Rabih Abou Khalil, Patrick Bebelaar, Ernst Reijseger...), le tubiste reste attentif à l’idée de proposer régulièrement ses propres créations, de collaborer à des projets à l’initiative plus collective et de figurer dans des disques qui témoignent de cette activité riche. Quelques éclairages sur des projets récents de formations et de disques, pour la plupart initiés ou édités en 2012.
Un intérêt continuel pour les musiques anciennes...
On trouve de multiples et troublantes similitudes entre le langage musical de la Renaissance et celui du jazz d’aujourd’hui. La liberté mélodique, le rapport entre écriture et improvisation, la polyvalence instrumentale, le phrasé au service du rythme, l’utilisation de "standards" harmoniques connus de tous... autant de points communs nous faisant penser qu’un jazzman est, d’une certaine manière, l’alter ego d’un musicien du 16ème ou 17ème siècle.
"Le miroir du temps" initié à l’occasion de la résidence de Michel Godard à l’Opéra de Lyon démontre toutes ces similarités. Il associe deux musiciens "baroques" : Bruno Helstroffer (théorbe) et Katharina Baülm (chalémie, instrument à anche double, de la famille du hautbois, très répandu au Moyen Âge et à la Renaissance)) ; à deux "jazzmen" très ouverts aux autres musiques : Michel Godard (tuba, serpent, basse électrique) et Patrice Héral (batterie, percussions électroniques). Des instruments anciens se mêlent à d’autres résolument plus modernes. Cette création permet de retrouver ce langage commun, on ne sait plus où est l’ancien, qui est le moderne. Le tubiste apporte ses compositions qui laissent large place à l’improvisation : "Le sonnet oublié", "In Splendoribus", "Le miroir du temps", "Le zèbre bleu", "Rêve de poisson"... _ Les musiques anciennes sont interprétées avec une grande liberté. On y retrouve quelques emprunts à des compositeurs prestigieux de l’époque baroque comme Andrea Falconieri ("La suave melodia", "Aria sopra la ciaccona"), Diego Ortiz ("Passamezzo antico") ou un auteur anonyme ("Tres morillas m’enamoran"). Quelques standards de jazz : "Beautiful Love" (Victor Young), "Blue Monk" (Thelonious Monk) et des improvisations libres jouées sur les instruments d’époque nous font comprendre qu’il existe belle et bien une proximité surprenante entre ces deux mondes, encore ignorée par beaucoup d’auditeurs.
Un trio européen au parcours sans frontière...
Michel Godard nous expliquait dans un entretien récemment publié (lire, sur Culturejazz.fr) qu’il trouvait idéale la formule du trio pour occuper une place de soliste.
Il démontre une fois de plus cet attachement aux petites formations en réunissant dans ce nouveau trio deux amis très chers avec lesquels il partage de nombreuses expériences musicales à travers l’Europe : Gavino Murgia, présent dans les projets "Monteverdi - A trace Of Grace", "Le concert des parfums", avec Rabih Abou Khalil, Megalittico quartet, le duo "Deap". Ce chanteur et saxophoniste sarde a développé un jeu vocal d’une grande originalité à partir de la tradition des "Tenores" de sa terre natale. Son chant devient ligne de basse, sa voix au timbre inimitable, atteint des profondeurs inaccessibles au commun des chanteurs. Son jeu de saxophone, ancré dans la tradition du jazz "européen", est puissant, lyrique et dynamique. Quant à Patrice Heral, il est certainement l’un des batteurs français les plus présents sur les scènes internationales. On le retrouve souvent avec Michel Godard dans divers projets de musiciens européens : trio "Ivresses" avec Franck Tortiller, "Le concert des parfums", trio de Christof Lauer, quintet d’Herbert Joos, Kudsi Erguner. Il se distingue par son jeu puissant sur batterie minimaliste, son esprit chahuteur de sons "live", son aptitude à générer des boucles électroniques atypiques.
Ces trois musiciens ont développé ensemble un type de section rythmique hors du commun dans leurs compositions originales. Leur jazz est à la lumière de leur parcours, sans frontière, faisant la part belle à la mélodie, au groove, à l’improvisation, et à une douce folie qui transmet une émotion forte.
Lorsque le baroque et le rock sont réunis dans un même projet...
Si Michel Godard a prouvé incontestablement depuis plusieurs années,au gré de ses projets, qu’il existait un langage commun et une conception de la musique proche entre l’univers du jazz et celui de la musique baroque, nous connaissions sans doute moins les ponts possibles entre les musiques anciennes et le rock.
Dominique Visse, chanteur contreténor et haute-contre passionné de musiques médiévales et de la Renaissance, connu notamment pour avoir créé en 1978 l’Ensemble Clément Janequin avec lequel il collabore toujours, invite à découvrir de la musique baroque réinventée, devenue « barock ». Surprenant mais véritablement poignant et énergique, il revisite, électrifie et dynamite la musique du 17ème siècle avec son nouveau groupe Electrocento. Pour garantir la perméabilité des dites « frontières musicales » (bien que l’activité de nombreux musiciens nous montre qu’il en existe de moins en moins), il fait appel à des solistes déjà bien expérimentés dans des projets qui mêlent les musiques anciennes à d’autres courants plus récents.
On y retrouve Michel Godard, (basse électrique, tuba), Bruno Helstroffer (guitare électrique, violon), Fanny Paccoud (violon), tous trois présents dans le projet Monteverdi - A Trace Of Grace et l’accordéoniste Jean-Louis Matinier, un ancien compagnon de route du tubiste avec lequel il partagea la scène dans l’ONJ de Claude Barthélémy 89/91, le quintet de Jean-Luc Ponthieux dans les années 90... L’accordéoniste a prouvé son aptitude à se fondre dans l’esprit baroque dans la première version de Castel Del Monte et dans le nonette Autour du songe de Gianluigi Trovesi, un autre musicien européen très influencé par ce courant.
Cette nouvelle création sera en concert à la Péniche Opéra du 26 au 31 décembre 2012. Une découverte musicale de haut vol à ne surtout pas manquer pour finir cette année dans une ambiance décoiffante et festive.
Un intérêt de longue date pour les musiques du monde aux couleurs orientales...
Doit-on encore présenter Rabih Abou Khalil ? Admirable joueur d’oud d’origine libanaise particulièrement actif sur la scène européenne, il dispose d’une discographie d’une vingtaine d’albums sur le label allemand Enja (et désormais sur le label World Village/Harmonia Mundi - NDLR). Assez démarqué des styles défendus par d’autres représentants de l’instrument parfois entendus dans des contextes « jazz », assez éloignés des fondements mêmes de cette musique (Dhafer Youssef, Anouar Brahem), Rabih Abou Kalil a su depuis plusieurs années imposer sa façon personnelle de concevoir la musique arabe et orientale, en la confrontant à l’improvisation, bien que restant relativement écrite notamment dans l’exécution des mélodies très dansantes, chantantes et des lignes rythmiques complexes avec leurs mesures composées très typées (appréciables sur Shrilling Chicken, When the Dog Bites, Bankers’ Banquet, Fish and Chips and Mushy Peas, Shaving is Boring, Waxing is Painful...). Il garde les principes traditionnels de cette musique, souvent classée dans le large registre des musiques du monde, pour la partager avec des grands solistes des musiques jazz et improvisées : Steve Swallow, Joachim Khün, Charlie Mariano, Kenny Wheeler, Vincent Courtois, Ellery Eskelin... et bien sûr le tubiste Michel Godard, qui l’accompagne sur scène et disques depuis près de vingt ans. Il est en effet rare de voir le joueur d’oud sans le tubiste. Ce dernier a su au gré des différents projets adapter son jeu de basse profonde et énergique, au phrasé très détaché, pour d’avantage le rapprocher de la voix humaine avec le serpent, et plus récemment la basse électrique pour les morceaux qui nécessitent un accompagnement avec un volume sonore moins important que celui du tuba comme dans les thèmes Shrilling Chicken, Dreams of a Dying City, Hats and Cravats.
Entouré de ses comparses habituels (le chanteur et saxophoniste Gavino Murgia, l’accordéoniste Luciano Biondini et le batteur et percussioniste Jarrod Gagwin), la sortie récente du disque Hungry People témoigne une fois de plus d’une collaboration fructueuse entre ces deux grands musiciens européens. (Lire une chronique sur CultureJazz.fr).
Une attache apportée aux musiques traditionnelles et instruments anciens...
Au fur et à mesures des rencontres, des liens tissés entres musiques anciennes, jazz et musiques improvisées, Michel Godard a souvent prouver sa volonté de faire jouer ses compositions à d’excellents représentants d’instruments anciens. Certains de ces projets l’ont associés au violon baroque, cornet à bouquin, théorbe, flûte à bec, serpent, clavecin, orgue de barbarie, trompette marine, viole de gambe, chalemie... Son nouveau duo avec Jean-Luc Thomas (flûtes traversières en bois), représentant connu dans le réseau des musiques traditionnelles, nous convie à un rendez-vous où les instruments des registres sonores de l’extrême se côtoient.
Ils échangent tantôt le rôle de soliste, tantôt celui d’accompagnateur, pour parfois occuper les deux fonctions simultanément (dans l’introduction de Deap), ou jouer plusieurs voix grâce à la magie du recording pratiqué par les deux instruments sur la base de boucles rythmiques répétitives, ponctuées par quelques bruitages, effets électroniques et voix humaines enregistrées. Les deux solistes conversent sur des mélodies traditionnelles d’origine crétoise (Karsilamas), irlandaise (Irish Set, The Wounded Hussard), brésilienne (Congada) arrangées par le flûtiste, ou des thèmes d’inspiration bretonne (Gavotte, Plinn du Tuba) et des compositions phares du tubiste, parfois mélancoliques, qui suscitent l’attention de l’auditeur par la beauté des mélodies et l’émotion qu’elles véhiculent (Vila Erba, Deap, Dour Joaus ’n he Daoulagad traduction bretonne de La belle femme qui pleure, Ferma l’Ali, In Paradisum).
Ce duo magnifique et unique découvert récemment lors d’un concert de sortie très intime à l’Atelier du Plateau - lieu qui défend une relation de fidélité avec des musiciens au parcours éclectique comme celui de Michel Godard - est un véritable melting pot musical traditionnel à découvrir sur le « label des musiciens voyageurs » Hirustica.
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