Le jour-même de la sortie de son nouvel album "From Scratch", l’altiste Guillaume Roy donnait un concert à l’Atelier du Plateau, en solo.
Quand il a terminé de placer son violon alto entre sa mâchoire et son épaule gauches, Guillaume ROY laisse descendre ses deux longues jambes jusqu’au sol (ce qui n’est pas sans rappeler l’alunissage d’Apollo 11) dans ce triangle qui lui est dédié ce soir, à l’Atelier du Plateau, entre l’angle des murs et le premier rang de spectateurs : une espèce de Mer de l’Intranquillité.
Juste avant le premier son, une grande inspiration nasale fait descendre dans son hara devil une dizaine de litres d’air. Car Guillaume ROY est vivant. Et nous savons maintenant qu’il joue de l’alto à cordes à vent. Il n’est pas sot, à entendre cette grande inspiration itérative, de se demander si, à un moment de son parcours, il n’a pas vécu quelques années dans un hasch-ram tibétain pour y apprendre à maîtriser le ki, le pneuma et le souffle. Avec, en option dans l’hébergement, la carafe de Côte Rôtie à coté du porte-encens pour une ascèse tibéto-rhodanienne.
Il inspire un grand coup, ses yeux s’orientent vers un dedans ailleurs qui nous échappe. Il fait silence le temps de laisser jaillir cette petite phrase musicale qui va, en servant d’incipit, lui donner la matière à pétrir ( plaf et plaf et plaf), retourner ( et tchak !! ), explorer (ouououououhhh : y’a quelqu’un ? ), renverser ( et vlan ), proloooooonnnnger, abandonner ( bouhhh personne ne m’aime...), reprendre ( ahh, te r’voilà toi !! ) jusqu’à épuisement des possibles.
On n’y pense pas tout de suite mais ce solo marie solitude du coureur de fond et intense entraînement commando. Qui se soucie de tous ces petits muscles des doigts, du poignet, de l’avant bras, de l’épaule, du torse, du dos, des fesses, des cuisses, des mollets et puis aussi des tendons, des nerfs, bref de tout ce bazar invisible qui se mobilise sans une seconde de répit avec cet acide lactique qui n’a pas le temps de s’égoutter au bout des doigts ? Sans personne sur qui compter pour prendre le relais, occuper le terrain, détourner l’attention ?
Un seul incipit suffirait pour jouer une heure sans interruption mais Guillaume ROY inventera sept ou huit moments musicaux avec, histoire d’explorer ses degrés de liberté et de rendre la chose plus excitante, des contraintes : registre medium, tempo moyen et tenues longues ; registre aigu, pianissimo ; frottis de l’archer incessant, tempo vif, sans faire sonner une seule corde ; pizzicato et ostinato ; mouvement furieux et répété sur les quatre cordes en montant et en descendant ; tout cela en usant du silence comme d’un élément majeur de la musique et sans aucune obligation de devoir faire durer l’improvisation selon le principe « quand c’est fini, c’est fini ».
Est-il passé, après sa quête du souffle primordial, par le monde des bruitistes radicaux, ceux qui s’achètent un instrument pour n’en jamais tirer les sons attendus ?
Ne s’est-il pas donné une méta contrainte genre "ne pas jouer deux fois la même chose de manière à ce que l’ensemble du concert ressemble, vu du plafond de la salle, à un puzzle enfin achevé composé de pièces toutes uniques ?"
Y pense-t-il en se rasant le matin ?
Tant de questions sans réponses... pour le public, intensément silencieux ( un non-bruit radical ), quasiment suspendu ( on aurait pu enlever les chaises, ça sentait la lévitation ) et pas mécontent d’en reprendre une petite louche avec, au rappel, Corinne FRIMAS, comédienne avec laquelle ROY travaille depuis deux ans, qui viendra ajouter sa voix et ses paroles à une dernière improvisation.
Mardi 22 janvier 2013 / 20h - Atelier du Plateau - 5 Rue du Plateau (au fond de l’impasse) - 75019 PARIS
Guillaume Roy : alto solo / Corinne Frimas : voix
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