Dans le dernier disque de Christophe Monniot (et consorts) et dans celui de Rudresh Mahanthappa (& C°), on se demande quelle pulsion vitale fait vibrer ces musiques...
Au fil de l’histoire du jazz, disons depuis Louis Armstrong, on a essayé de le qualifier, de le théoriser sans jamais vraiment parvenir à le définir.
Musicalement il résiste à toute notification, comme quelque chose qui se vit ou physiquement ou de l’intérieur que l’on soit exécutant ou auditeur. Il est même arrivé à se transformer et s’exprimer de manière différente donnant aux plus grands leur identité. Par exemple on a pu dire de celui de Coleman Hawkins qu’il est vertical, de celui de Lester Young qu’il est horizontal.
Irréductible aux classifications il a collé aux différents courants qui ont jalonné le jazz, imprimé dans le geste, il a fini généreux et irrésistible par s’internationaliser.
On l’a suggéré ou alors surjoué, histoire de bien nous l’enfoncer dans les tripes.
Avec un peu d’imagination on peut même dire que Stanley Kubrick a réussi à l’exprimer dans le balancement valsé d’une station orbitale internationale faisant danser les corps, les masses dans l’apesanteur.
On l’a nourri d’éléments folkloriques pour le meilleur (Sketch of Spain) ou pour le pire (espagnolade qui colle aux doigts et dégouline comme la confiture).
Et puis certains ont réussi cette alchimie l’exprimant à leur façon y mêlant leur propre folklore, partageant cet idiome qui fait le caractère du jazz au delà des frontières et des océans.
C’est ce qui fait l’extraordinaire vitalité de cet art que l’on croit moribond, rebondissant ailleurs de façon inattendue là où on ne l’attendait plus. Ils le partagent cet élément fondateur dans Station MIR (pour Monniot, Ithursarry, Roy) et Gamak de Rudresh MAHANTHAPPA pourvus d’une énergie qui semble insatiable.
Dès Waiting Is Forbidden la première plage de Gamak, tétanisé par le son acéré et le phrasé rythmique du saxophone alto nous voilà pris dans les rets de cette musique mêlant joyeusement le jazz, le raga, le blues, le funk, surpris par la guitare iconoclaste de David Fiuczynski, embarqué par la rythmique de fer et de feu de François Moutin et de Dan Weiss.
À peine a-t-on un Ballad For Troubled Times pour reprendre un peu son souffle.
Et nous voilà là haut embarqué dans le ciel par Christophe Monniot et ses acolytes.
Et ça commence très fort là aussi par une phrase tranchante, rageuse de saxophone alto. Ainsi parle Christophe rejoint bientôt par des ostinatos organiques où bat le cœur de cette musique. Plus loin nous aurons droit à quelques mélismes (Le sommeil de l’ange, Lettre à Marie W) rappelant étrangement ceux de Rudresh et voici Valse pour Alex qui ferait danser le soleil avec la lune et où brille de tous ses feux l’accordéon de Didier Ithursarry, de toutes les façons omniprésent dans tout le disque…
Et finit par retomber sur un banc public où il fait bon s’asseoir pour écouter un beau solo de Guillaume Roy fidèle à ses principes. Sans oublier sur quelques pages le violoncelle d’Atsushi Sakaï qui vient épaissir le tissu orchestral alors proche du quatuor à cordes classique. Il prend dans Heureux une solide improvisation.
On sent ici l’urgence de ces deux orchestres à dire les choses que l’on éprouve, partageant l’épreuve d’un monde mondialisé auquel n’échappe pas la musique.
Force est de constater que ces musiciens sont quelque part dans la résistance à la mièvrerie, à la facilité, à l’émotionnel bidon.
Alors qu’on l’appelle swing, be-bop, groove, mon archiduchesse, ou beat peu importe, du moment que cette pulsion vitale continue, comme ici dans ces deux disques, à vivre, s’enflammant pour peu qu’on la saisisse et la respecte en la laissant ouverte.
Pour les deux : "oui, on aime !".
> MONNIOT – ITHURSARRY – ROY & SAKAI : "Station Mir" - Label Le Triton / Musea
Christophe Monniot : saxophones alto, baryton et sopranino / Didier Ithursarry : accordéon / Guillaume Roy : alto / Atsushi Sakaï : violoncelle sur 1, 3, 5, 9, 10.
01. Amazing Grace (trad.- arr. CM) / 02. Spanish, Quiz & Money Hot (CM) / 03. Heureux (CM) / 04. L’épingle du jeu (Ithursarry) / 05. Mecanique Samovar (CM)/ 06. Le sommeil de l’ange (CM) / 07. Lettre à Marie W (CM) / 08. Valse pour Alex (CM) / 09. Avant Back (Roy/Sakaï) / 10. Back Train (CM) / 11. Les bancs publics (Brassens - arr. CM)
> Rudresh MAHANTHAPPA : "Gamak" - ACT 9537-2 / Harmonia Mundi
Rudresh Mahanthappa : saxophone alto / David Fiuczynski : guitare électrique / François Moutin : contrebasse / Dan Weiss : batterie
01. Waiting Is Forbidden (Rudresh Mahanthappa) / 02. Abhogi (Rudresh Mahanthappa) / 03. Stay I (Rudresh Mahanthappa) / 04. We’ll Make More (Rudresh Mahanthappa) / 05. Are There Clouds In India ? (Rudresh Mahanthappa) / 06. Lots Of Interest (Rudresh Mahanthappa) / 07. F (Rudresh Mahanthappa) / 08. Copernicus-19 (Rudresh Mahanthappa) / 09. Wrathful Wisdom (Rudresh Mahanthappa) / 10. Ballad For Troubled Times (Rudresh Mahanthappa) / 11. Majesty Of The Blues (Rudresh Mahanthappa) // enregistré les 2 et 3 avril 2012 par Mike Marciano - Studios Systems Two (Brooklyn, New York)
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