...En milieu rural essonnien.

Au Sud du Nord : le défi réussi de défendre la diffusion du jazz et d’autres formes d’arts en milieu rural essonnien.

Si le jazz trouve encore sa place à Paris ou en périphérie, il est nettement moins courant de le retrouver en milieu rural dans la région parisienne, à l’exception de l’Essonne, au sud de la moitié nord de la France, où le contrebassiste Philippe Laccarrière, musicien et enseignant au Conservatoire à Rayonnement Départemental d’Evry, a engagé depuis dix-huit ans un important travail de diffusion à travers l’association Au Sud du Nord, dont il est le fondateur et directeur artistique.
Il nous semble important de noter qu’au delà de son travail de musicien, qui pour beaucoup d’entre-eux se résume à devoir et vouloir faire des concerts, voir pour certains enseigner, Philippe Laccarrière a fait le choix militant et méritant de consacrer une partie de son travail à la lourde tâche délicate que nécessite la diffusion du jazz en milieu rural, dans une région où l’offre peut sembler très concurrentielle au sein même d’une musique et d’une musique à l’autre, du fait de la proximité de la capitale, dans un contexte économique où les subventions tendent à baisser. Il faut noter que la dernière édition du festival a subi une diminution de ses subventions et que son bilan a été équilibré grâce à la générosité de son public fidèle. Peu de musiciens français ont fait preuve de telles initiatives, en faisant le pari d’être un peu moins musicien et un peu plus autre chose...

L’histoire a donc commencé en 1994, à Boissy-le-Cutté, dans un village du Sud de l’Essonne, assez dépourvu culturellement. Plusieurs artistes se sont réunis avec l’envie de faire vivre le lieu et de mettre au grand jour leur démarche artistique. L’association est née avec pour objectif de « décloisonner la musique et ses structures, d’aller plus loin en décloisonnant les arts, de recréer un dynamisme en venant vers le public, en aidant les forces vives locales mais en apportant bien sûr le talent et le savoir faire de professionnels. »

Dix-huit ans après sa création, les bénévoles et artistes qui ont accompagné l’histoire de l’association lui sont toujours fidèles (citons comme musiciens réguliers Emmanuel Bex, Sébastien et Henri Texier, Franck Tortiller, François Corneloup, Laurent Hestin, Francis Bourrec, Bernard Lubat, Jean-Rémy Guédon, Bojan Zulfikarpasic, Hubert Colau, Isabelle Olivier, Guillaume Roy, Simon Goubert, Sophia Domancich, Stéphane Guillaume...).
Le festival est itinérant pendant trois semaines dans vingt-cinq communes et structures de différentes natures (salles des fêtes, bars, médiathèques, bibliothèques, gymnases...) ou pendant la saison de concerts et café doc, une résidence d’artistes et structure de diffusion sans lieu fixe pendant laquelle on peut apprécier « des jeunes talents en devenir, des projets d’expériences de scène, des musiciens dont on ne met plus le génie en doute, des concepts pluri-disciplinaires, des rencontres inédites et parfois uniques... dans un esprit de création et de recherche. »

Au Sud du Nord : plus qu’un festival de jazz

Outre le Festival itinérant Au Sud du Nord qui se déroule en septembre, l’équipe propose une programmation tout au long de l’année. Les Dimanches Jazz sont des concerts mensuels, en alternance à Bouray-sur-Juine, Cerny et La Ferté Alais : « Ils ont pour vocation de présenter une musique autour de l’improvisation : groove, jazz, world, expériences associant musique et arts plastiques, chansons… Les maîtres mots sont l’ouverture, les mélanges stylistiques, les échanges et la qualité. »

Au programme de la saison 2013 :

  • le trio Noir Lumière de François Corneloup, formation très complice qui privilégie les contrastes et mêle des mélodies sensibles à des improvisations évolutives en laissant de côté toutes étiquettes stylistiques.
  • La création inédite Dieci Voce de Bruno Régnier, compositeur et chef d’orchestre trop peu présent sur les scènes des festivals français et pourtant très actif, qui associe des musiciens de son ensemble X’tet, réduit pour l’occasion à un sextet acoustique, au quatuor vocal Méliades.
  • Le groupe Ursus Minor avec son équipe « all stars » de la scène R&B hip-hop américaine et de la scène jazz européenne (citons François Corneloup et l’inclassable Tony Hymas) pour présenter un monument de groove clairement orienté vers les musiques urbaines et actuelles avec en invitée la rappeuse américaine Desdamona.
  • Le saxophoniste et clarinettiste Sébastien Texier présentera le répertoire de son nouveau quintette, à l’occasion de la sortie de son disque « Toxic Parasites’ », dans lequel l’imagination, la créativité et l’improvisation ont une place prépondérante.
  • La musique rencontrera le texte dans Le théâtre du menteur & ses bouches à oreilles, duo formé par la comédienne Valérie Dassonville (lecture) et Philippe Laccarrière, friand de rencontres l’associant à d’autres disciplines artistiques (peinture avec Didier Wurtz, sculpture avec Guillaume Roche, slam avec la Compagnie Uppercut pour le spectacle Dans les cordes...). Il interprètera également un programme jazz inspiré du large répertoire de la chanson française avec sa formation Lacca’s dream’n’bass 6.
Jacques DDonato et Philippe Lacarrière

Les Vendredis Café-doc’, une fois par mois à Cerny, sont des projections vidéo de films documentaires suivis d’un débat convivial sur des sujets variés qui touchent chacun d’entre nous : société, écologie, service public, immigration…

L’association propose également un atelier hebdomadaire de sculpture à Cerny, animé par Guillaume Roche, sculpteur diplômé et pilier de l’association.

On notera également le match musical Bordeaux contre Bourgogne. Née autour d’une table, cette mise en scène est issue des disputes vignobl’amicales entre Franck Tortiller, bourguignon d’origine et Philippe Laccarrière, bordelais. Pour ponctuer leurs querelles A.O.C, ils ont convié la comédienne Dominique Devals à lire des textes vinifiés, autour d’une dégustation : « Un spectacle grand cru, à consommer... sans modération ! »

Pour la saison 2013, l’association propose les samedis matins précédant les concerts du dimanche des Conf’écoute, en rapport avec les concerts qui ont lieu dans le même lieu le lendemain, animées par Philippe Laccarrière avec comme thématique « Les courants du jazz », « Des voix dans le jazz », « L’utilisation de l’électronique dans le jazz »... illustrées par l’écoute de disques spécialement sélectionnés pour l’occasion.

La démarche militante de l’association Au Sud du Nord est donc salutaire, de part les alliances artistiques qu’elle défend dans un paysage culturel français où les différentes formes d’art se mélangent finalement assez peu, les nombreux rendez-vous qu’elle propose, la fidélité qu’elle accorde à de nombreux artistes, l’accessibilité des musiques proposées, les tarifs modestes loin de ceux pratiqués dans certains clubs et la diversité des lieux qu’elle occupe dans une région où la diffusion du jazz est souvent réduite aux salles de la capitale ou des banlieues proches. Pour les parisiens et banlieusards souvent plus intéressés à fréquenter les scènes intra-muros, on ne peut que vous conseiller d’aller prendre une bouffée d’air pur dans les campagnes vertes de l’Essonne lors d’une des nombreuses manifestations organisées par cette belle association.


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