De Coutances pour la 32ème édition du festival (4 au 11 mai).

Jazz Sous Les Pommiers, le festival qui se croque à ne plus savoir où mettre les dents a débuté le samedi 4 mai pour s’achever le 11 mai.
Un découpage en quartiers s’impose, au jour le jour.

samedi 4 maidimanche 5 maimardi 7 maimercredi 8 maijeudi 9 maivendredi 10 maisamedi 11 mai

Lire "Jazz Sous Les Pommiers : quartiers de pommes 2013 #2..."

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  Samedi 4 mai 2013.

21h55. Cave des Unelles, fin de concert. Edward Perraud, batteur, percussionniste, agitateur s’empresse au démontage... "Savez-vous que le plus grand rythmicien vivant est là et va jouer dans 20 minutes ?". Il ne veut surtout pas manquer Zakir Hussain, le maître des tablas présent sur la scène de la Salle Marcel Hélie dans le trio Sangam de Charles Lloyd, associé à un formidable batteur du jazz d’aujourd’hui, Eric Harland.
Harland, Hussain, Perraud : notre choix de concerts tourne autour de la percussion pour ce jour inaugural. Il y aura d’ailleurs beaucoup de grands batteurs à écouter à Coutances cette année mais on aura l’occasion d’en parler, sans doute.

Eric Harland & Voyager

Eric Harland "Voyager" - Coutances - 4 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
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Eric Harland, musicien texan né en 1978, était l’homme du jour puisqu’il présentait son propre quintet à 16h15 au théâtre avant de rejoindre son complice de longue date, Charles Lloyd (22h15, Salle Marcel Hélie).
Son quintet, son groupe plus certainement, s’intitule Voyager (c’est écrit sur la grosse caisse, parmi les logos de ses sponsors).
Effectivement, c’est un vol long courrier sur une suite de compositions en fondu enchaîné sur un flux (flow, dira le leader) sans heurts et sans anicroches car ces cinq là sont de remarquables exécutants et de bons lecteurs... vu les pupitres qui leur servent d’écran de vol. Pas d’ironie dans ce propos, juste l’observation du comportement assez neutre de musiciens qui servent une fort belle musique à la mesure de leur grand talent.

Eric Harland - Coutances - 4 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
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Tout est travaillé, les premiers plans comme les arrière-plans (Nir Felder, habile guitariste "paysager"), le piano assez romantique de Taylor Eigsti étire des draperies raffinées que le saxophone de Walter Smith III ("The Third") escalade comme une araignée, sans jamais les déchirer (dommage peut-être ?). Eric Harland pilote son vaisseau en capitaine virtuose, tissant un maillage rythmique précis et foisonnant avec l’aisance d’un musicien qui maîtrise et assume son art. On peut y être sensible ou non mais l’évidence est là, cette musique est brillante, lyrique, séduisante à l’oreille... mais parfois soporifique. Toute la question du son, du sens et de la vitalité transmise dans un jazz aujourd’hui qui puise au sources de son temps (comme le final hip-hop soft sur un thème du répertoire d’Ice-T, rappeur d’élite).

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Dans le concert follement improvisé et joyeusement inventif qu’il a donné avec Elise Caron (sans pupitres ni partitions), Edward Perraud avait glissé une allusion au Tâla, ces séquences rythmiques énoncées à la voix dans la musique indienne. Un clin d’œil à la présence de Zakir Hussain dans un curieux assemblage puisque sa cymbale frottée sur la caisse claire évoquait le son grave et bourdonnant d’un chant tibétain. Le choc des cultures...

Charles Lloyd "Sangam"

Zakir Hussain, Charles Lloyd & Eric Harland "Sangam" - Coutances - 4 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
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Un choc qui se produit dans la douceur au cours du concert donné par le saxophoniste Charles Lloyd avec le trio Sangam qu’il continue de réunir épisodiquement depuis plusieurs années (lire ici : Jazz à Vannes 2008). Le concert se construit sur le schéma des musiques orientales, une phase d’errance pour atteindre un haut degré de connexion où la musique prend son envol. Finalement, le rappel fut extraordinaire et valait à lui seul la totalité d’un concert. Mais aurait-on atteint ce niveau sans le préambule ? On ressent une vraie connivence entre Charles Lloyd (piano, tarogato, flûte, saxophone ténor, voix et... batterie) et Eric Harland (batterie, voix, piano) autour de ce pivot essentiel qu’est Zakir Hussain, divin virtuose des tablas, section rythmique à lui seul, assurant la base percussive et créant des lignes mélodiques qui évoquent parfois une basse. L’échange échevelé (?) entre Eric Harland et Hussain fut l’apothéose du concert. Assis au piano sans jouer aucune note, Charles Lloyd jubilait. Sa musique du bonheur, son nirvana ?

Élise Caron & Edward Perraud

Élise Caron & Edward Perraud - Coutances - 4 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
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Pour nous, le point culminant de cette journée (vécue très partiellement, vu le programme et le désir de préserver nos facultés d’écoute) fut atteint par le duo Élise Caron (voix, flûte, danse, comédie, présence...) et Edward Perraud (batterie en perpétuelle mutation, percussions, électronique, sampler...). C’est amusant de lister les instruments a posteriori car dans le concert, il y a avant tout les deux et la musique. Le matériel n’est que le vecteur de leur inspiration instantanée et débordante d’inventivité et d’humour. Pas de temps mort mais un vrai spectacle qui vous scotche avec le beau ruban de bonheur partagé. Il existe un excellent disque de ce duo enregistré en 2009 (déjà) sur le label Quark du très polyvalent Edward P. mais ce qui est formidable avec cette musique en perpétuel mouvement c’est que ce que vous (ré)écouterez chez vous, vous ne l’aurez pas sur scène : c’est ça la grande richesse de l’improvisation.
Une quinte de toux et voilà une mélopée dingo-synthétique sur le sirop, une note d’accordéon et Elise C. nous réinvente la chanson réaliste chavirante et fêlée, elle prend la flûte et on arrive dans le baroque (bas-rock ?). Tout y passe mais ce n’est pas un fourre-tout : la différence est dans le dosage et les limites implicites que dessine l’expérience. Toute petite salle, public captivé, c’est ça aussi un festival : le luxe de l’intimité.

Bibendum Jazz Orchestra

Bibendum Jazz Orchestra - Coutances - 4 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
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Terminons par le début puisque le Bibendum Jazz Orchestra avait l’honneur d’ouvrir le festival dans le Magic Mirrors. Nous suivons cette grande formation bas-normande depuis ses débuts (lire :janvier 2012). Le pari audacieux (gonflé ?) du contrebassiste Thibault Renou prend de l’ampleur, gagne en volume, et brille d’un éclat de plus en plus vif en ce printemps 2013. C’est de l’expression latine "Nunc est bibendum" que vient leur intitulé... "C’est maintenant qu’il faut boire"... À consommer sans modération !
Ils étaient tous parfaitement lucides mais avaient juste oublié de mentionner la demande de pupitres sur la fiche technique... Il y a des cas, tout de même où ces accessoires sont des plus utiles... Tout s’est arrangé.
Nous reviendrons prochainement sur ce projet dans un entretien avec Thibault Renou, le contrebassiste-directeur artistique et leader-fondateur de ce Bibendum.

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  Dimanche 5 mai :

"Un dimanche en fanfares"

La formule est désormais bien ancrée dans le programme du festival. De 14h30 à 19h, les spectateurs munis d’un bracelet d’accès peuvent se déplacer dans la ville entre quatre lieux où se succèdent des concerts de fanfares au sens large, disons plutôt de grandes formations.

Thomas de Pourquery, Orchestres de Coutances, Chorale du collège d’Agon-Coutainville : "Crooner"

Thomas de Pourquery "Crooner" - Coutances - 5 mai2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
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Encore une fois, nous avons opéré une sélection en allant écouter l’incontournable Thomas de Pourquery, coutançais d’adoption pour trois ans dans le cadre de sa résidence. On sait que le saxophoniste se double d’un chanteur d’excellence. Il a fait le crooner (et de quelle manière) en alliant différentes composantes de l’École de musique de Coutances et la chorale du collège d’Agon-Coutainville.
"Crooner" : un concert et un spectacle haut en couleurs et fort en émotions, la belle rencontre de plusieurs générations autour de chansons devenues éternelles évoquant une vision populaire du jazz qui colle parfaitement au contexte de cette journée. Bravo !

The Soul Rebels

The Soul Rebels - Coutances - 5 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
© T. Giard - CultureJazz.fr

Fanfare, Brass-Band, cela renvoie historiquement dans le jazz à la Nouvelle-Orléans. Pour cette édition, The Soul Rebels incarnent la nouvelle génération des fanfares qui ont mis beaucoup de funk, de soul et une touche de hip-hop dans le jazz des rues, du Mardi-Gras et des enterrements. Formés "dans la tradition", ils restituent toute la puissance et cette irrésistible énergie qui caractérise la musique de NOLA. Avec le soutien d’une section rythmique tricéphale on ne peut plus authentique (soubassophone, caisse claire, grosse caisse...), les cuivres sonnent avec une belle autorité. Ce groupe a un son et une présence qui ne laisse personne de marbre, d’autant plus quand il se livre à une interprétation inspirée du Billy Jean de Michael Jackson. Succès garanti et mérité.

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  Mardi 7 mai 2013.

La soirée au théâtre présentait les formations de deux saxophonistes de la même génération, le français Sylvain Beuf (né à Paris en 1964) et l’américain Ravi Coltrane (né en 1965 à Huntington dans l’état de New-York). L’un comme l’autre sont engagés dans une démarche d’évolution et d’affirmation de soi : franchir le pas vers des musiques "électriques" pour le premier, marquer sa singularité malgré son héritage patronymique pour le second.

Sylvain Beuf "Electric Excentric"

Sylvain Beuf a eu envie d’exprimer son goût pour les musiques des temps "électriques" après avoir creusé son sillon dans le champ du jazz venu du swing et du be-bop. Compositeur inspiré, il a toujours réussi à marquer sa différence de manière mesurée même dans un cadre régi par les conventions des genres.

Avec Electric Excentric, il opère un changement d’esthétique dans la formule "serrée" d’un quartet avec basse et guitare. Julien Charlet assure un soubassement rythmique à forte densité et même assez bétonné. Jean-Luc Bussonnet a le potentiel et l’expérience pour suivre la cadence à la basse. Lui qui officie par ailleurs chez Christian Vander (Magma) et Guillaume Perret (Electric Epic) est un expert des watts bien domptés.

La force et la touche singulière de cette formation réside dans la complémentarité entre le saxophone (surtout ténor) du leader qui taille la route en faisant chanter des compositions aux qualités indéniables et Manu Codjia, magicien de la guitare, qui le suit, le devance, le contourne en dessinant des paysages sonores toujours inventifs et riches de multiples trouvailles harmoniques et mélodiques.
Sur une thématique sobre et assez captivante, le groupe libère son énergie et la souplesse du cadre fixé laisse des espaces de liberté qui rattachent indiscutablement cette musique à l’âme du jazz.
Souriant et rayonnant, Sylvain Beuf a pu mesurer que le public avait adhéré à ce projet. Un beau coup de pouce pour un nouveau départ ?

Ravi Coltrane Quintet

Bien qu’on lui rabâche qu’il est le fils de son père, Ravi Coltrane a gardé une sérénité qui lui permet de suivre sa propre voix. Brillant saxophoniste, il est surtout très à l’écoute des autres et se pose plus en rassembleur qu’en leader. Il sait s’entourer et ses compagnons de route lui rendent bien la confiance qu’il leur accorde, surtout quand il s’agit de Drew Gress (contrebasse) et de Ralph Alessi (trompette, cornet), deux des maîtres à penser de nombre d’acteurs et d’observateurs du jazz d’aujourd’hui en tant que compositeurs autant qu’instrumentistes.
Ce concert fut d’une intensité remarquable. Posé et mesuré, capable toutefois de propos brûlants dans son jeu, Ravi Coltrane semble serein et généreux. Il contribue au répertoire du quintet en apportant quelques compositions (dont un magnifique hommage à Paul Motian) mais laisse aussi une place à l’écriture de Raph Alessi (un modèle d’intelligence musicale) avant de conclure par une version étourdissante d’inventivité du Skippy de Thelonious Monk.
Nous avons beaucoup échangé sur l’interprétation de la musique de Monk dans nos pages (lire ici). Cette formation aura donné un magnifique exemple de réinvention respectueuse en jouant avec des séquences rythmiques qui créent un déhanchement permanent, formidable hommage au génie de Thelonious Monk. La paire Drew Gress / Eric McPherson est exceptionnelle de connivence. Le bassiste ne quitte guère du regard ce batteur à l’aisance confondante qui fait vivre le rythme intensément, tout en ruptures et en contrastes dynamiques.

Ravi Coltrane
© T. Giard - CultureJazz.fr / Coutances - 7 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
Ralph Alessi - Coutances - 7 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
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Drew Gress - Coutances - 7 mai 2013
© T. Giard - CultureJazz.fr
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Ce quintet met aussi en lumière le pianiste David Virelles, cubain d’origine installé à New-York depuis quelques années. Encore peu connu sur la scène du jazz, son talent a été repéré par des musiciens comme le trompettiste Tomasz Stanko ou le saxophoniste Chris Potter qui l’ont intégré à leurs formations (disques récents chez ECM). Un pianiste qui fait juste ce qu’il faut, évite tout remplissage et s’exprime de manière très personnelle, y compris dans le silence. Un positionnement rare qui n’est pas sans rappeler le jeune prodige italien, Giovanni Guidi.
Le rappel permit une escapade dans le répertoire d’Ornette Coleman avec une interprétation de "Check Out Time" enjouée, débridée, à la croisée des genres. Un vrai bonheur.
Ravi !

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