Un voyage dans le temps.

Au milieu du concert, Ornette ( voix, clavier ) et Denis COLIN ( clarinettes basse et contralto ) nous offrent un moment suspendu par les oreilles : un duo ( une créature un créateur ), une musique qui colle à la bouche et au coeur, anime les hanches et les reins d’une houle de mer étale, des paroles tendres, nostalgiques, emplies du bonheur saisi à deux et des possibles qui ne sortiront jamais de cet avion qui n’est jamais arrivé : La Rua Madureira. Juste sublime.

Voilà, nous sommes immergés dans cette atmosphère douce-amère qu’on doit à Nino FERRER. Qui n’est ni le frère de David ni celui d’Ibrahim. Ce mec si connu pour des petites choses légères, des rengaines entrées ancrées dans le patrimoine delachansonfrançaise. Et aussi surtout ce poète en mode mineur avec des harmonies et des textes à nous foutre un blues indécollable et récurrent que même une bouteille de côteaux-de-l’Aubance ne peut noyer. C’est dire...
Donc Univers NINO. Avec, outre les deux cités ci-dessus, François MERVILLE à la batterie, Sylvain DANIEL à la guitare basse, Julien OMÉ à la guitare, Antoine BERJEAUT aux trompette et bugle, Diane SOREL, voix.
Une machine sérieuse qui ne fait pas dans l’amateurisme de radio-crochet et l’animation des troisièmes mi-temps.

MERVILLE, en bout de scène, perpendiculaire à ses petits camarades, vigie alerte, envoie du rythme genre allez-y les mecs et les mequesses, je tiens la baraque, lâchez-vous. Une frappe nanométrique, des manières de forgeron élégant qui pousse au cul de l’enclume. S’échapper du tempo ? Oublie !
COLIN, avec son faux air de Bacri, fait le show : des images sur le mur, il raconte, narre et déroule une espèce d’histoire qui réunit Nino, Corto Maltese, le grand-père Colin, la Russie en 1919, bref, un génogramme européen aux branches emmêlées. Ça sent la fagot.
Une courte pièce à la flûte à bec, cet instrument qui a dégoûté de la pratique musicale tant et tant de gamins puis Mirza revisité en gros son funky, les Cornichons et des gros bouts d’arrangement plus jazz on fait pas : magnifique orchestre qui rugit et qui ronronne, qui secoue et qui caresse.


Arrive Moby Dick (Dans l’océan de ma vie je te suis/Je te poursuis sans répit) puis le show-qui-must-go-on continue avec l’inoxydable Téléfon, invite le public à exhiber ses petites musiques de portable, à taper dans les mains. OSKOUR !! Ça sent la grosse télé divertissante, le chauffeur de salle et les fins de noce avinées, mais non, ce public-là, on ne la lui fait pas/plus et même qu’il ne se laisse pas aller à chanter Gaston. Ouffff !!!
Et puis on raccroche ( le téléphone qu’on n’a pas sorti ), en route pour Le Sud. Magnifique arrangement avec l’enchaînement casse-gueules de deux séquences aux rythmes différents. Et Denis COLIN y va de l’arbre noir :

Ce grand arbre noir
Ce ciel plein de fumée
Devant ma fenêtre
Aux vitres embuées
Ce feu qui brûle et craque
Ces reflets sur ces murs
Le parfum de ces fleurs
Sur ces meubles obscurs
Et le bruit
De ces gouttes de pluie
Qui claquent sur les toits
La nuit

Inutile de faire le malin et de refuser de se laisser emporter à l’intérieur de soi. Des sensations, des émotions, des souvenirs. Tiens, relire La vie sur Terre, de Baudouin de Bodinat, histoire d’user la corde jusqu’à l’âme.
La Désabusion nous garde sous pression, ils reprennent le refrain en choeur, les gars et les filles :
On est tous là,
comme des cons, sous leurs balcons,
empêtrés dans les remords et la désabusion.

Le karaoké prévu pour Je vends des robes montre encore une fois que ce public ne se trompe pas : il est venu au studio de l’Ermitage, d’accord mais pas dans un studio de la Plaine Saint Denis. Pas prêt au décervelage télévisuel.
Le rappel nous vaut le blues des rues désertes, claquements de doigts bienvenus ( ils insistent, ils insistent, ils ne connaissent pas l’adage d’Einstein : la folie, c’est de continuer de faire la même chose en pensant que le résultat va changer ) et nous aussi, on résiste… :

Je ne peux plus supporter ces petits matins froids
Dans toutes ces rues désertes où résonnent mes pas
Quand les bars sont fermés, qu’il n’y a plus rien à faire
Dans cette ville humide, que s’en aller dormir.

Et, Le Sud, one more time et autrement.
Nino doit regretter de ne pas chanter avec et devant cet orchestre.

Mardi 29 octobre 2013, 20h30 - Studio de l’Ermitage - 8, rue de l’ermitage - 75020 Paris


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