Ce qu’il fallait relater dans le confort de la réflexion...

La vingt septième édition du festival A Vaulx Jazz (Vaulx-en-Velin, 69) nous aura porté dans la flexibilité des soirées variantes de sensations non ordinaires, qu’il fallait relater dans le confort de la réflexion. Cela valait le coup de s’arrêter, de faire une pause, de digérer, puis de regarder en arrière pour profiter au mieux de tous ces temps vécus. La précipitation des soirées construites de tant d’opulence nous transportait vers d’innombrables feux de joies. Avec le recul nécessaire sur cet évènementiel, nous nous devions de retracer ce qu’il en restait. Certains moments sauront garder en nous une traçabilité ineffable, d’autres se seront dispersés dans la filante désuétude, entre l’évaporation et le souvenir lointain en perte de mémoire. Nous en faisons la traduction emblématique à la lueur de l’estime que nous portons à ce festival.


Jeudi 20 mars

  MILES SMILES

Larry Coryell - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Wallace Roney - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Ce soir-là ce fut la réactualisation des lignes de force d’un jazz qui a su faire ses preuves et qui savait encore bouger les esprits.
On sortait des routines musicales, sachant nous remémorer cette puissante évasion. Ils assumaient l’efficacité de Miles, en nous montrant qu’il était toujours un volcan en activité entre leurs mains. Le fumet de délectation y jaillissait avec ces éminents didacticiens à la logique expressive. Larry Coryell sortait du sillon tracé par ses paires pour se frayer sa propre voie enjouée, subjuguée. D’une certaine façon il les dépassait tous. Wallace Roney (trompette) et Rick Margitza (saxophone ténor) campaient sur des relations flatteuses en compagnie de leurs instruments, perçant de longues lamentations ultimes, stoïques et incorruptibles dans cet exercice précis. Ralphe Armstrong à la basse électrique et Alphonse Mouzon à la batterie avaient à eux deux ce pouvoir de structurer et répandre une rythmique idyllique de contextualisation, pour le ressort impulsif nécessaire à la démonstration
Tout finissait en Tutu, puis en Time After Time. Bel acquêt de l’univers hérité de Miles Davis.


Vendredi 21 mars

  LA VELLE GOSPEL PROJECT

LaVelle - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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En juillet de l’année dernière lors de Jazz à Vienne, ce spectacle bien que captivant du fait de la présence de Don Byron, nous était apparu encore un peu en friche. Aujourd’hui nous notons que l’ensemble vocal de Tarare "Entre Terre et Ciel" ainsi que ceux qui les accompagnent, ont atteint leur complète maturité. À vrai dire ses voix éveillaient une communion de destins s’entrainant mutuellement en direction du passionnel partagé. La structure du chœur de chauffe était maintenue en haleine, poussée pour cela par la houle instrumentale portée par Sangoma Everett (batterie) Emil Spanyi (piano), Tony Lakatos (saxophone ténor) et Darryl Hall (contrebasse).
L’intelligibilité de cet ensemble mettait entre parenthèse toute possibilité d’hésitation. Une cohérence groupale se construisait sous la vigilance attentionnée d’Alexandre Girin.. Mais le sens commun des hommes et des femmes qui composaient l’architecture vocale, se soudait particulièrement dans une proximité sincèrement affective. Chacun des acteurs s’y préparaient pour tenir sa place, sans oublier en s’unissant le fondement substantiel de la troupe partageant cette combinaison pleinement éclairée sur son niveau de divinisation.
Et puis vous rajouter à tout cela La Velle venant pratiquement psalmodier au cœur de cette musique qu’elle affectionne pour ce qu’elle représente de façon indéniable dans l’histoire du Jazz. La chanteuse savait être à la fois malicieusement goguenarde et piquante. Les pétales de ses nuances vocales venaient s’élaborer aussi au bord du piano. Elle le manipulait avec une humeur primesautière des plus délicieuses. Elle devenait rapidement très contagieuse pour tous les musiciens qui l’entouraient.


Samedi 22 mars

  MAGNETIC ENSEMBLE

Magnetic ensemble - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Le groupe « Magnetic Ensemble » envahissait l’espace et l’esprit de prime abord, au moyen d’un principe de curiosité qui vous assaillait sans relâche, jusqu’à la fin de cette traversée de broussailles en pleine savane rythmique aux allures décalées.
Même si notre capsule mentale s’adaptait à tout ce vrombissement, il en ressortait une sensation d’aspiration à l’intérieur d’un univers parallèle dans lequel le public se baignait au spiritueux en se trémoussant. Des rejetons électroniques émergeaient et s’incorporaient sur les imprécations spasmodiques des ruades percussives. Dans cet enclos la parole se versait dans l’obscurité mystique. Thomas de Pourquery agitait des propos par intervalles répétés sur un mode monomaniaque ne disposant pas d’un préalable prévisible.
L’abandon du pur réalisme planait au confort des suspensions rythmiques livrées aux diverses accélérations pulsatives. Cet élan était la matière première propulsée par Antonin Leymarie (batterie) Benjamin Flament & Sylvain Lemêtre (percussions, vibraphone) Sans entrave pour l’esprit Adrien Spirli conditionnait son synthétiseur d’épisodes aux rondeurs impavides dans le train-train d’une lave coulante. Tandis qu’Eve Risser venait ajouter sur son Bösendorfer de la matérialisation propre à entrechoquer l’aspect déroutant, compte tenu d’une vision accorte bien décisive, d’administrer des claquages d’accords dans une démarche manœuvrière subreptice.
Ce moment passé en leur compagnie ne nous aura pas laissé indifférent.


Mercredi 26 mars

  GIOVANNI MIRABASSI CAP VERT PROJECT

Giovanni Mirabassi - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Gianluca Renzi - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Il régnait une atmosphère exquise dans le filet de la voix capiteuse dont se pâmait la chanteuse Jenifer Solidade. Elle pouvait nous faire presque oublier instantanément toutes les fastidieuses horreurs de la vie. On y respirait une béatitude ombragée analogue à celle que l’on doit éprouver quand on débarque sur l’île enchantée du Cap Vert, éclairée à la lueur de son chant d’une sonorité assoupissante. Depuis ces cascades mélodieuses on désirait ne jamais rejoindre nos pénates pour mieux ressentir les lames musicales qui vous emportaient en miroir avec celle de la mer.

Giovanni Mirabassi jouait toujours de manière sublimement libre en poussant son piano sur les hauteurs. Pour cela cette musique dispose d’un siège anatomique empli d’une force insulaire aux colorations transpirantes. Le jazz lui venait ainsi de cet endroit secret pour soulever le voile des retenues mélodiques. Comme à son habitude il était entouré de son redoutable doublon rythmique Gianluca Renzi (contrebasse) et Lukmil Perez (batterie). Deux guitaristes complétaient l’armada d’une succulente permissivité guitaristique. Manuel De Candinho attisait les cordes métalliques de son Ovation et Kim Alves délayait ses cordes nylon pour les rendre sensuellement soyeuses.
La somptuosité planait au-dessus de leurs arpèges et des rythmes qui s’y déployaient.


Jeudi 27 mars

  MEDESKI MARTIN & WOOD + NELS CLINE

John Medeski - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Billy Martin - A Vaulx Jazz, mars 2014
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Chris Wood - A Vaulx Jazz, mars 2014
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Cette partie du festival sera marquée par la venue très attendue de Medeski Martin & Wood. Ce véritable Jazz moderne dont ils sont les transcendantalistes, opère une interprétation majeure du jazz urbain.
S’il devait subsister un doute sur la nature de leurs échanges avec le guitariste Nels Cline venu du rock alternatif. La morsure de sa guitare ravageuse ne penchait ni du côté de la banalité et encore moins vers la neutralité tranquille sans perspective. Nous resterons stupéfaits du résultat de ce mariage d’une cooccurrence profondément révélée. Ces quatre aventuriers à la marge du jazz copie-conforme, se livraient là, à la lisière du vivant et du désir, sous la bannière de l’arrogance transgressive se vouant à un véritable braquage musical. Sous cette armure caractéristique inimitable remplie de cavalcades apprivoisées.

Nels Cline - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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John Medeski y contrôlait ses créatures électroniques avec la plus pure des parcimonies harmonieuses. Billy Martin demeurait d’instinct la locomotive du groupe. Son rôle de rabatteur poussait à faire culminer la meute dans des états extrêmes. La carapace morphologique sonore tenait sous ses impacts. Au bout de ses doigts tendus tout résonnait et se révélait en lui, procurant le ressort immédiat. Sur ses basses Chris Wood y était volubile sans ambages juste avec ce besoin d’en découdre au sommet de sa crête galvanisante, en jouant de tous les artifices et d’en ravir l’aspect grave inattendu.
Ils furent en quête d’un nirvana depuis l’ivresse qui s’emparait d’eux. Pour mieux nous happer par surprise de leurs inadvertances répétées.
Il s’agissait d’un jazz irrévérencieux sans complaisance. Nous le verrons lorsqu’ils se retrouveront sans le guitariste en troisième partie. Ils accompliront des compositions de John Zorn que visiblement ils vénèrent. Ils s’y pareront de toutes les frasques laudatives, dictées d’anticonformisme et guidé par cet alliage rigoureusement protéiforme. Sans s’accommoder de facilités déclinantes telles que le sont des feuilles mortes à la suite du passage d’un cyclone qui pourrait bien leur ressembler.


Vendredi 28 mars

  LEYLA McCALLA - GUY DAVIS - HARRISSON KENNEDY

Leyla McCalla - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Guy Davis - A Vaulx Jazz, mars 2014
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Quitte à passer pour un béotien en remuant d’évidentes sensations ressenties, on s’obligera malgré tout à dire qu’on s’accrochait à cette justesse idéale que représentait Leyla McCalla.
Ce qui se déroulait devant nous était propre à provoquer un certain chamboulement émotionnel. Un mouvement gracieux guidait son archet sur son violoncelle, alors que son visage traduisait une radieuse expressivité. Son chant prégnant nous entrainait sur la douceur de velours de son instrument. Savait-elle qu’elle attirait les regards, qu’on pouvait rester ainsi à l’écouter pendant de longues heures ? Pétrification du public qui ne bougeait plus en s’asseyant spontanément à même le sol. Il n’y manquait plus qu’un feu crépitant pour compléter ce décor.
Pour s’endormir éternellement loin des oppressions collectives ce blues restait le complice naturel pour s’oublier et se fondre dans son chant libérateur.
Raffinement véritable à l’usage d’un blues acoustique traçant sa vision à la racine première. Exploitant d’une grande intelligence la véritable sensitivité de la balade qui délivrait les stigmates de la différence du peuple afro-américain.

Harrison Kennedy à la voix d’orée, captivant musicalement, nous promenait inlassablement sur son chant de bourlingueur. Pas la moindre petite imperfection lorsque Guy Davis arrivait lui aussi épaulé de sa guitare de sa voix et de son harmonica. Tous deux miroitaient dans des reflets d’ardeur.
Ils furent au cœur du mythe fondateur où le jazz se créa avec ce chatoiement qui résiste à tout en propulsant le coup d’état musical.
Il faudrait être pourvu d’un cœur inébranlable et s’en vanter âprement, pour ne pas se laisser percer d’autant de profusions. Du cousu main de la part de ces trois instrumentistes. Après avoir évolué seul chacun sur la scène, ils se réunissaient pour venir flirter avec les incontestables et les incontournables sources du Jazz.

  C.J.CHENIER & THE RED HOT LOUISIANA BAND

CJ Chénier - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Ce n’est pas un public algide que l’on retrouvait face à cette deuxième partie. Malgré la bonne volonté de l’accordéoniste & chanteur C.J. Chenier soutenu par toute son équipée, dont Clifford Alexander grattant sur sa plaque métallique. Ils s’agitaient à officialiser un blues duquel surgissait une domination à la fois country et rock. Cette ébauche prenait l’apparence de contours uniformes qui finissaient à dispenser la monotonie à force de ramer sur le même tempo.
Cela était certainement superbement exécuté et d’une efficacité sans faille. Mais pour l’exégète du jazz à l’affut d’une matière renouvelée sans cesse, cela finissait par devenir trop limitatif.






Samedi 29 mars

  DORANTES Y GARCIA FONS « INTERACCION »

Dorantes - A Vaulx Jazz, mars 2014
© Marceau Brayard
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Renaud Garcia-Fons - A Vaulx Jazz, mars 2014
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Ursula Lopez - A Vaulx Jazz, mars 2014
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Pris par une séguedille enflammée le pianiste Dorantes régnait en matador au-dessus de son clavier. Une frappe incisive et ferme où la mélodie en ressortait telle une croix venue de l’enfer des tohubohus de ce monde. Il n’empêchait nullement à la profondeur d’y conserver un rôle prééminent sans résignation, mais s’ensevelissait sous une masse mystérieuse touchée par la grâce de la raison supérieure avec sa glorification interne. Il ne limitait pas son regard au processus purement flamenco.
L’adjonction du jazz venait s’y lotir pour donner une valeur absolument enrichie à son récit. À partir de là, cette dramaturgie implicite ne pouvait être vue par un spectateur désintéressé. Dans la claire lumière du projecteur la danseuse Ursula Lopez s’élevait dans l’élan du geste titanesque construit sur d’immenses échappements démonstratifs.
Depuis les vibrations de sa contrebasse Renaud Garcia-Fons rugissait sur une allure impériale. Il s’écoulait à cette trame dans la senteur rêveuse, apportant au passage une courte éclosion solitaire vigoureuse. Le batteur percussionniste Javi Ruibal se joignait à ces développements, avec des écartements rythmiques d’une éclatante saveur.
Cette sauvagerie enflammée d’ensemble venait traduire sous nos yeux une implication pensante dans sa consistance définitive.


Samedi 1er Mars

  THÉO CECCALDI TRIO invite JOËLLE LÉANDRE

On va vous faire le film à l’envers ! Pourquoi ? Parce qu’on adore ça la remontée dans le temps. Alors histoire de ne pas dérouler une orthodoxie copie conforme de la parodie musicale courante, nous soulignerons les lignes énoncées par Joëlle Léandre au tout début de ce festival dans sa version Hors les Murs avec son option « entrée libre » au planétarium de Vaulx-en-Velin.

Joëlle Léandre - A Vaulx Jazz, mars 2014
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Nous avions rendez-vous avec la grande militante du Meeting presque aérien, puisque avec elle, ça plane souvent dans des sphères qui jouxtent sur des registres mêlant les zones intemporelles imprévisibles et les hallucinantes improvisations.
Elle était aux côtés de ces trois jeunes loups Théo Ceccaldi (violon alto), Guillaume Aknine (guitare électrique) et Valentin Ceccaldi (violoncelle). Ils lui permettaient de jouer à la pelle des conclusions au réquisitoire endiablé. Mais au-devant de celles-ci il y avait toute cette nature vitaminée du caractère de la jeunesse, bouleversant de fond en comble les repérages des pratiques coutumières, où elle se réalise habituellement derrière sa contrebasse. Sous cette impérative contingence elle venait à s’écarter de son archet. Ils l’obligeaient implicitement à s’emparer de sa grosse caisse pour en étirer les cordes graduellement et d’y produire une consciencieuse apparition insolite pour les notes qui s’en échappaient.
Elle se laissait ainsi entrainer, avec ces partenaires d’un soir, dans une lutte extrême au repoussage des limites. En cela elle endossait une mine inquiète pourvue d’un visage toujours en tension. Tous les recoins du trio lui étaient nécessaires pour puiser continuellement l’instant où elle parvenait à se mouler au centre des compositions qui leur appartiennent. Cette prestance inaugurale, remplie de trouvailles constantes, boostait un continuum de permanence. Elle fonctionnait au flair, plantée dans des postures d’incertitudes de principe.
Les rôles s’organisaient alors en une tournure décrispée devant laquelle un certain maillage étourdissait ce noyau dur en action.


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