Une programmation éclectique réussie pour l’édition 2015 du fastival Jazz à Vannes, dans le Morbihan. Véronique Pinon y a assisté pour CultureJazz.fr.
Comme chaque année, j’ai vécu une semaine de festival Jazz à Vannes (Morbihan) riche en émotions et en découvertes. Arpentant les quais, c’est non sans un léger pincement au cœur que je fus accueillie par des photos de Florence Arthaud, « la petite fiancée de l’Atlantique », ainsi qu’une rétrospective de Robert Doisneau sur le thème des « Grandes vacances ». Des tranches de vie passées qui ne cessent de me rappeler ô combien il faut profiter de ces fabuleux moments que peut offrir la musique qui reste toujours gravée dans les mémoires malgré son « live » éphémère. Alors place aux concerts....
Lundi 27 juillet 2015 : Coup de blues
Lucky Peterson : guitare, chant, orgue / Shawn Kellerman : guitare / Timothy Waites : basse / Raul Valdes : batterie / Xavier Jackson :claviers
Coup de blues, oui mais ne vous méprenez pas, dans le bon sens du terme ! En effet malgré un ciel vespéral incertain le bluesman américain Lucky Peterson nous a fait l’honneur d’ouvrir le festival Jazz à Vannes 2015 sur l’esplanade portuaire. Organiste précoce, il chante de sa voix rocailleuse l’amour et la vie avec un tel plaisir que le public ne peut que céder à la joie et bonne humeur, entre ballades et sonorités rock. Fidèle à son habitude le charismatique new-yorkais infatigable muni de sa guitare a quitté l’estrade à plusieurs reprises afin de se mêler aux auditeurs toujours un peu surpris et ravis. Une soirée inaugurale réussie, avec des reprises de Jimi Hendrix et de Stevie Wonder.
Mardi 28 juillet
Auditorium des Carmes
12h : Paroles, paroles....
Durant une heure , Vincent Ségal, excellent violoncelliste et invité d’honneur du festival,s’est entretenu avec Francis Marmande, ancien professeur à la Sorbonne et chroniqueur dans le journal « Le Monde ». Des échanges informels sur leurs expériences respectives, des anecdotes diverses à propos de Charles Mingus, Albert Ayler, Ornette Coleman ; les deux invités ont jasé à bâtons rompus…
17h30 : B to Bill
Emmanuel Bex : orgue Hammond / Nico Morelli : piano / Mike Ladd : voix
Eh oui ! B comme Bill Evans ! Le trio a voulu non pas imiter ce génial maître du clavier mais tout au moins s’en inspirer afin de réinventer un paysage moderne en associant acoustique et électronique (boucles, échantillonnages..). Je connaissais déjà la solide dextérité de l’organiste Emmanuel Bex, et j’ai pu découvrir le pianiste italien Nico Morelli au jeu d’une finesse éthérée. Les deux soutiennent ou laissent la place au rappeur new-yorkais Mike Ladd qui énonce de beaux textes avec force émotion ( « Bill was no romance/ trying to push through the crowd of mayhem/looking for the light of perfect innocence... »). Poète punk, le language oscille entre apaisement et colère (évocation des lois Jim Crow, l’injustice dans les états d’Alabama et du Mississippi etc.). Vers la fin E. Bex déclare « le silence du jazz évoque lui-même émotion et beauté » avant d ’interpréter une magnifique pièce dédiée à Michel Graillier, regretté pianiste. Un superbe voyage d’un bout à l’autre de ce concert.
Jardin de Limur : honneur aux leaders contrebassistes
20h30 : La perpétuelle invention
Dave Holland : contrebasse / Chris Potter : saxophones ténor et soprano / Lionel Loueke : guitare, voix / Eric Harland : batterie
D’entrée, sous le ciel orageux mais sourire aux lèvres, Dave Holland ébauche un « singing in the rain », au fur et à mesure les incertitudes nuageuses se dissipent ... est-ce grâce à l’excellente prestation du quartet ? Tout est en place, peu de temps de repos toutefois. Les morceaux s ’enchaînent sans commentaire, un échange de notes crystallines entre sax et guitare telles des gouttes de pluie à haut débit. La dextérité de Chris Potter qui joue « out » très souvent s’accorde avec les effets de Lionel Loueke et ses influences africaines. Un marathon de croches entrecoupé de solos qui tiennent la route.
22h15 : Art subtil
Avishaï Cohen : contrebasse, voix / Nitai Hershkovits : piano / Daniel Dor : batterie
Une parfaite osmose créant douceur et équilibre entre les trois musiciens qui nous présentent un répertoire ancien et nouveau. Le pianiste Nitai Hershkovits accompagne tout en nuance, le batteur Daniel Dor allie puissance et délicatesse. Toujours cette idiosyncrasie sensuelle d’Avishai Cohen à l’égard de sa contrebasse : il l’enserre, s’en éloigne, la percute, parfois carrément assis sur son échancrure. Aussi beaucoup de classe lorsqu’il interprète vocalement « Nature boy » ; tout cela devant un public fort enthousiaste et qui finit debout en dansant, encourageant le trio doublement bissé.
Mercredi 29 juillet
17h30 Auditorium des Carmes : Songs of time lost
Vincent Ségal : violoncelle / Piers Faccini : guitare, voix
Ce premier album regroupe à la fois des morceaux récents et anciens de 25 ans, date à laquelle les deux compères se sont rencontrés et ont commencé à jouer dans la rue... Vincent Mahey, directeur artistique du festival, nous avertit : pas d’appareil photo afin d’éviter le moindre clic, silence monacal requis. Le violoncelliste Vincent Ségal en costard cravate semble aussi à l’aise avec son archet que sans, il faut dire qu ’il a suivi une double formation classique et jazz .Son partenaire Piers Faccini de par ses origines polyglottes chante en anglais et en italien, alternant entre registre folk et chansons quasi mystiques. Deux flûtistes en invités surprise : Stéphane Rappenau, ainsi que Magic Malik qui nous apporte quelques consonances orientales. Atterrissage en douceur...
Jardin de Limur
20h30 Envol
Paolo Fresu : trompette, bugle, effets / Omar Sosa : piano, clavier / Trilok Gurtu : percussions
Un mélange des genres qui nous fait atteindre une dimension séraphique ! De longues volutes de nappes sonores que le trompettiste aux pieds nus, Paolo Fresu, propulse vers le ciel, un pianiste, Omar Sosa, qui nous emporte gentiment dans le creux d’ une vague jusqu’à son sommet , un percussionniste facétieux, Trilok Gurtu, regorgeant d’instruments (que d’idées avec un seau d’eau !). Les trois s’éclatent littéralement, notamment lors de l’échange onomatopéique (lire l’article de Florence Ducommun ici !). Magnifique !
22h15 Roy Hargrove quintet : ambassadeur des temps modernes
Roy Hargrove : trompette / Justin Robinson : saxophone / Sullivan Fortner : piano / Ammem Saleem : contrebasse / Quincy Philipps : batterie
Roy Hargrove est (encore !) jeune et mène bien sa troupe, sans commentaires inutiles. Les yeux cachés derrière des lunettes rouges, bien ancré dans le sol, il égrène une cascade de notes rectilignes et hard-boppées avec une précision d’horloger. Le trompettiste est fortement soutenu par Justin Robinson à ses côtés qui a une façon bien à lui de faire du « palm hands » au saxophone alto lors de ses solos percutants. Avec aisance, défiance du tempo à qui en veut en voilà . Le métronome décélère lorsque le leader chante « Never let me go ». Un quintet bien huilé, malgré une chaleur non estivale ce soir-là.
Jeudi 30 juillet
17h 30 Auditorium des Carmes : Paysage, avec bruits.
Marc Ducret : guitare / Sylvain Bardiau : trompette / Matthias Mahler : trombone / Frédéric Gastard : saxophone basse
Marc Ducret a été inspiré par sa rencontre avec un renard sur une plage bretonne. Fausse piste ? Plutôt sans queue ni tête. Un accord plus que dissonant m’a fait prendre la poudre d’escampette. Le guitariste s’est peut-être aventuré sur un chemin trop iconoclaste... Il nous avait pourtant habitués à mieux jusqu’à présent !
Jardin de Limur
20h30 Roberto Fonseca
Roberto Fonseca : piano, voix / Mayra Andrade : voix / Ramses Baralt : batterie / Yandi Martine : contrebasse
Il était annoncé « la rencontre authentique de Cuba avec l’Afrique », en effet le pianiste au toucher à la fois délicat et affirmé est un véritable alchimiste des rythmes. Beaucoup de connivence entre les musiciens de ce nouveau projet qui tels des funambules jouent sur les ralentis, rebondissements et accélérations. La Cap verdienne Mayra Andrade est seulement intervenue lors de 2 chansons avec une participation de Vincent Ségal sur « Besame Mucho ».Par ailleurs un joli thème dédié aux femmes(« Danza del Espiritu ») , un autre à Ibrahim Ferrer (« El Niejo ») dont il avait rejoint l’orchestre en 2001 pour une tournée mondiale. En clôture du concert Roberto Fonseca convie le public à fredonner un air de son mentor (« no lo so que sera... »). Ambiance caliente au beau fixe d’autant plus que la suite du programme est très attendue...
22h15 Chucho Valdès and the Afro Cuban Jazz Messengers
Chucho Valdès : piano / Yaroldi Abreu Robles : percussions, voix / Dreiser Durruthy Bombalé : congas, percussions, voix / Rodney Barreto : batterie, voix / Gaston Joya : contrebasse, voix / Manuel Machado : trompette / Ariel Bringuez : saxophone ténor / Alexander Abreu : trompette, voix / Rafael Aguila : saxophone alto / Reinaldo Melian : trompette
A peine monté sur scène Chucho Valdès esquisse quelques pas de danse sur un solo du percussionniste ; il avait juste auparavant confié à Vincent Mahey, directeur artistique du festival, qu’il espérait « être à la hauteur ». Fondateur de Irakere il y a plus de 40 ans, le musicien a opté pour une renaissance du groupe mais cette fois-ci il s’est entouré d’une jeune génération : les Afro-Cuban Jazz Messengers (5 soufflants , 2 percussionnistes, 1 batteur, 1 (contre)bassiste). Je remarque notamment l’assurance joviale de Gaston Joya avec sa basse Musicman Stingray 5C. Il règne une joie de vivre communicative. Chucho désigne tranquillement de l’index à qui le tour d’improviser, tous sont excellents. À deux reprises, le pianiste ouvre une parenthèse concertiste en interprétant des morceaux de Bach et Debussy. Un vénérable grand maître, rayonnant d’énergie à 73 ans et qui nous a généreusement ensoleillé jusqu’à une heure avancée de la nuit.
Vendredi 31 juillet
17h30 Auditorium des Carmes Le silence de l’exode
Yom : clarinette / Claude Tchamitchian : contrebasse / Bijan Chemirani : percussions / Kaled D : voix
« Le silence de l’exode », titre de l’album du clarinettiste Yom. Un projet de poésie sonore relatant une traversée de 50 ans dans le Sinaï mais bien entendu condensée en une heure. Ainsi nous avertit le leader en tunique noire qui souhaite l’abstention d’applaudissement d’autant plus qu’il y aura des passages très silencieux. Confortablement assise sur mon siège je me suis laissée bercer par le calme apaisement tout en me demandant cependant en quoi ce voyage serein et hypnotique pouvait prétendre tisser une relation quelconque avec le « jazz ». Un tapis volant plutôt au-dessus du contemporain mais bien loin de « Caravan ».. .car à Vannes, cette année à l’auditorium des Carmes, force est de constater que l’on est soumis à de l’expérimental.
Jardin de Limur Finale funk
20h30 Electro Deluxe
Thomas Faure : saxophone ténor / Arnaud Renaville : batterie / Jeremie Coke : basse / Gael Cadoux : piano / Vincent Payen : trompette / Bertrand Luzignant : trombone / James Copley : voix
Bravo ! Une serte de joyeux (drilles) qui miroitent un bonheur éclatant et effrontément décidés à « mettre le feu ». En ligne de mire, le chanteur américain hyperactif James Copley, noeud pap et costume bleu qui se donne à fond, parfois saute à pieds joints. La section rythmique ne dépare pas et a concocté une chorégraphie enlevée. Du coup déchaînement rapide des spectateurs qui s’amoncellent devant la scène. En outre, que de mouvement dans les gradins ! « Can you give me a sign ? », hurle de temps à autre le crooner survitaminé, brandissant 4 doigts levés, « feel at home ! ». Ajoutons une bonne dose d’humour (« on est des grandes vedettes américaines ! »). Voilà un cocktail musical de qualité qui ne peut laisser de marbre. Clairement génial !
22h15 George Clinton Parliament funkadelic
George Clinton : band leader, voix / Lige Curry : basse / Michael Hampton : guitare / William Payne : voix / Robert Johnson : voix / Joseph McCreary : batterie /Greg Thomas : saxophone / Bennie Cowan : trompette / Ricardo Rouse : guitare / Benjamin Cowan : batterie / Daniel Bedrosian : claviers / Tonysha Nelson : voix / Tracey Patavian : voix / Paul Hill : voix / Carlos McMurray : danse / Steve Boyd : voix / Garreth Shider : guitare / Jerome Rodgers : claviers / Robert Bunn : guitare.
Dans les années 80-90, George Clinton avait fondé « Funkadelic » avec Bootsy Collins, ancien bassiste de James Brown . Il arborait alors une longue barbe blanche, cheveux longs et dreadlocks colorés. Si son look semble assagi, l’héritage a bien été transmis, à considérer la vingtaine de musiciens qui l’accompagnent, et certaines tenues excentriques. Ici une choristes résillée en maillot de bain et queue de chat, là un contorsionniste torse nu en pantalon de fourrure blanche synthétique, un papi vêtu d’une salopette bretelle pendante qui vient régulièrement relancer la « machine » en scandant quelques mots. Une scène kaléidoscopique digne d’inspirer Kandinsky, le peintre des sons, qui ne serait pas resté indifférent à cette véritable explosion funk engendrée par des cuivres, des percussions, des guitares électriques qui se lancent tour à tour dans des solos percutants soutenus par le beat indéfectible du claviériste et bassiste. À l’occasion de cette dernière soirée du festival, les spectateurs du Jardin de Limur debout durant deux heures se sont facilement laissés conquérir par l’ambiance surchauffée, le roi du funk les ayant invités à danser.
En conclusion, à nouveau une programmation éclectique réussie lors de cette édition du festival Jazz à Vannes 2015.