Le jazz a déferlé sur Marseille et sa région du 4 au 29 novembre avec 60 concerts prévus sur 33 lieux invitant 200 artistes : une belle performance qui été néanmoins assombrie par ce terrible vendredi 13 novembre...
À l’origine de ce projet un peu fou, il y a Michel Antonelli, directeur du Cri du Port, une des principales scènes de musiques actuelles dédiée au jazz à Marseille et qui est devenu le Président de Jazz sur la Ville. Et il y a Thierry Maucci, saxophoniste jazz marseillais qui lance l’idée d’une mutualisation des moyens pour faire un festival qui regroupait au départ Le Cri du Port, le bar l’Intermédiaire où il jouait à l’époque, La Meson. la Cité de la Musique et Le Pelle Mêle. La première édition est lancée en 2005 et cette conception peu ordinaire et très compliquée à mettre en œuvre, il faut bien le dire, s’est peu à peu étoffée avec la création en janvier 2013 d’une association. Après un an de pause, elle a proposé sa 9ème édition, présente cette fois sur 33 lieux ( 23 lieux marseillais principalement avec Le Cri du Port, La Criée Théâtre National, la Cité de la Musique, La Meson, le Docks des Suds, l’Espace Julien pour ne citer qu’eux, mais aussi les 2 salles de l’Association Charlie Free à Vitrolles, le Théâtre Denis à Hyères pour l’Association Jazz à Porquerolles, le Salon de Musique de L’IMFP de Salon de Provence, Le Petit Duc à Aix en Provence et même 2 salles à Nice ). Donc, excusez du peu, mais en novembre, ça a jazzé grave dans le secteur ! Les événements dramatiques survenus le vendredi 13 novembre ont résonné encore plus avec l’intitulé du festival, « Jazz sur la Ville » devenant malgré lui un symbole pour lutter contre « Peur sur la Ville », film policier franco-italien écrit et réalisé par Henri Verneuil, sorti en 1975. Il y a de malheureux hasards... et les concerts du samedi 14 novembre en particulier ont dû de fait être annulés (au total huit concerts supprimés dont six suite aux attentats et deux pour cause de modification de tournée).
Entre jeunes talents et musiciens confirmés, il y en a eu pour tous les goûts. À noter également des conférences, une soirée Jazz et Polar, le superbe documentaire de Frank Cassenti, président de Jazz à Porquerolles, qui nous a présenté "Billie Holiday for Ever", un film documentaire sur Paco de Lucia et une très belle exposition des photos de Michèle Sainte-Beuve à l’Hôtel C2. Pour ma part, je n’ai assisté qu’à sept concerts, faute de temps et en raison de l’éloignement géographique. Certains jours, le choix était difficile, car plusieurs artistes jouaient en des endroits différents. mais les retours que j’en ai eu ont tous été enthousiastes.
Je ne vais pas détailler les concerts, les photos seront plus parlantes. Tous m’ont plu : le quartet du saxophoniste Gary Bartz, légende du jazz, a fait salle comble le jeudi 5 novembre au Cri du Port à Marseille ! Il jouait pour la première fois dans cette ville. Avec Barney McAll au piano, James King à la contrebasse et Greg Bandy à la batterie, le quartet a joué 90 minutes non stop, enchaînant les standards sans pause. Chapeau Mr Bartz, quand on sait que vous venez d’avoir 75 ans...
Puis ce fut le quartet du saxophoniste Miguel Zenon le samedi 7 novembre au Moulin à Jazz de Vitrolles (Association Charlie Free) : un concert tonique avec une salle pleine à craquer et une ambiance surchauffée ! Quatre musiciens au tempérament de feu, avec Luis Perdomo, un géant au piano, au sens propre comme au sens figuré, Hans Glawischnig à la contrebasse et Henry Cole batteur fougueux en diable ! Un concert formidable qui n’avait rien à voir avec le disque sorti récemment, "Identities are changeable" sorti en novembre 2014.
Le lundi 16 novembre, dans une salle hélas désertée, nous avons applaudi le fougueux quartet du guitariste Rémy Gauche à l’Auditorium de la Cité de la Musique de Marseille, avec Julien Augier à la batterie, Philippe Monge à la contrebasse, Thomas Koenig au saxophone ténor et flûte traversière et Stéphane Guillaume en invité aux saxophones et clarinette basse, également directeur artistique de cette formation. Le tout dans une joie communicative et palpable de jouer ensemble qui a éloigné les ténèbres.
Jeudi 19 novembre, le quartet du saxophoniste Gael Horellou a fait trembler le Cri du Port, avec Etienne Deconfin au piano, Victor Nyberg à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie. Une énergie intense et incandescente dans le jeu de ce saxophoniste extrêmement productif, un contrebassiste tout en finesse, un batteur infernal et un pianiste à la vélocité impressionnante, ce fut un concert vraiment épatant !
Puis Jazz dans la Ville s’ est déplacé vendredi 20 novembre au Théâtre Denis à Hyères (Jazz à Porquerolles) pour accueillir le trompettiste Stéphane Belmondo et son "Love for Chet" sorti en avril, avec Yoni Zelnik à la contrebasse et Alex Freiman à la guitare, remplaçant ponctuellement et respectivement Thomas Bramerie et Jesse Van Ruller. Beaucoup d’émotion pour ce concert démarré exactement une semaine heure pour heure après les attentats de Paris dans un théâtre archicomble, auquel s’est joint son père Yvan Belmondo, saxophoniste baryton de métier qui peut être fier de ses héritiers. (Rappelons que Lionel Belmondo le frère aîné est saxophoniste).
Ensuite, ce fut le quartet de Louis Sclavis au Théâtre de Fontblanche( Association CharlieFree à Vitrolles) samedi 21 novembre, avec Gilles Coronado à la guitare, Benjamin Moussay au piano et Keyvan Chemirani aux percussions, pour son dernier projet "Silk and Salt" : un concert d’une brûlante actualité à plus d’un titre dans le contexte actuel. Entrée en matière avec "L’Homme Sud" dédié à tous ceux qui viennent du sud comme nous l’avait dit Louis à Jazz sous les Pommiers 2015. "L’Autre Rive" fut offerte aux victimes des attentats, avec un solo de piano extrêmement émouvant et recueilli, sans un souffle dans la salle ! Tous quatre ont été formidables : la dextérité et la poésie du jeu de Benjamin Moussay, les riffs presque rock de Gilles Coronado, la richesse de la palette de Keyvan Chemirani et toujours l’incroyable vivacité de Louis Sclavis ont fait chaud au cœur.
Enfin, j’ai pu écouter le vendredi 27 novembre The Workshop avec Doug Hammond en première partie. Ils jouaient au Moulin à Jazz de Vitrolles, mais je les ai entendus la veille à l’AJMI d’Avignon. Le solo du chanteur et batteur américain Doug Hammond a été un grand moment de poésie, où sa voix a hypnotisé le public venu en nombre. Stéphane Payen au saxophone alto et arrangements s’est inspiré de sa musique, avec Olivier Laisney à la trompette, Guillaume Ruelland à la basse et Vincent Sauve à la batterie) pour composer "Music by Doug Hammond" . Un fabuleux moment, tonique et créatif, à l’énergie débordante !
Au final, le bilan de l’édition 2015 a été satisfaisant sur le plan musical , puisqu’environ 6500 personnes ont suivi le festival, les concerts annulés représentant 1900 spectateurs. Et environ 300 personnes ne se sont pas présentées aux concerts maintenus après le 14 novembre. La simple arithmétique en fait malgré tout la meilleure édition depuis la création de Jazz sur La Ville. Il reste que son souvenir restera endeuillé dans les mémoires bien que le maximum de musiciens ait souhaité maintenir leurs représentations en soutien aux victimes et par solidarité. Longue vie à ce sympathique et original festival qui fait vivre nombre de lieux dans le Sud et jouer les artistes connus ou moins connus. Le public a répondu présent et on attend la prochaine édition avec impatience !
Pour aller plus loin :
Les photos de cette édition 2015 dans le portfolio ci-dessous. © Florence Ducommun
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