Le final de l’EuropaJazz Festival 2016 s’est déroulé au Mans du 18 au 22 mai. Comme à son habitude, Alain Gauthier n’a pas manqué ce rendez-vous pour CultureJazz.fr (du 18 au 21 mai).
> La Collégiale Saint Pierre
Ça, il faut l’être, Un poco loco, pour ouvrir le final de l’EuropaJazz cuvée 2016, 37è édition. Un poco loco se présente à touche-touche dans un mouchoir de poche : Fidel FOURNEYRON trombone, Geoffroy GEESER sax ténor et clarinette, Sébastien BELLIAH, contrebasse. Eux aussi ont lu et appliquent La dimension cachée de E.T. Hall : zone d’intimité, sentiment d’appartenance, solidarité et co-responsablité, tous les trucs qui font du bien au groupe.
Ils nous embarquent avec un riff millimétré, des sons graves qui escaladent les murs jusqu’au plafond et des tenues dont on ne sait si elles prolongent le son original ou son écho : parfaite utilisation de l’acoustique du lieu. Leur musique chante dans l’alternance thème-serré-concis-frappé et grandes et longues respirations sonores. C’est superbe.
La seconde pièce nous emmène en Amérique du Sud avec un rythme latin à se déhancher. La clarinette brode au-dessus des voix graves du trombone et de la contrebasse aux timbres somptueux. Ils font aussi dans la nuance : on entendrait les murs soupirer.
Ils déconstruisent Night in Tunisia, dégainent Kenny Dorham.
Arrangements superbes : découpage du thème original, répartition des bouts, groupage des idées, citations. C’est Gaz et eaux à tous les étages.
Ensuite ils plongent dans leur projet inspiré de West Side Story. Le prologue devient une musique joyeusement drôle et drôlement joyeuse. L’humour folâtre et le son passe de l’un à l’autre comme en mode stéréo décomposé. Ils jouent une musique enjouée qui se joue de nous.
Dinah puis Manteca closent cette mise en bouche qui nous fait saliver.
Y’a quoi au menu, après ?
> À La fonderie, lieu dédié au feu et aux coulées de métal en fusion, qui pourrait afficher Ici on transforme !!!
Deep Whole avec Paul DUNMALL, au sax ténor et clone électronique, Paul RODGERS à la contrebasse, Mark SANDERS à la batterie.
Ne pensez pas ré-écouter ce moment à l’identique : ici, on fait dans l’usage unique, art éphémère et total. Le ténor prend son temps pour exposer la situation, c’est clair, simple et efficace ; dans un livre, ça prendrait une trentaine de pages. Les deux autres commentent et ouvrent quelques pistes : hop hop ! on saute dans l’histoire, au cœur du roman. Un chapitre à fond, on se dépêche, style haché, un autre en mode lentissime ; le récit se fait choral, les points de vue s’enchaînent. Ici, on affiche son idée en catimini ; là, on la dit haut et clair, les autres écoutent. Il y a du désespoir, on sent qu’ils doutent et que la solution leur échappe, si près du but et douter...
Dunmall laisse son ténor pour un engin électronique qui n’apporte pas de plus value notable, et c’est bien connu, sans valeur ajoutée, rien ne vaut. Alors il revient au ténor. Là, vraiment, son histoire reprend du souffle, de la densité, il est sur une piste et les autres le suivent. Pas de forcing pour relancer quand l’intensité mollit, ils prennent leur temps, ils sont des adeptes de cette fine recommandation « Attendre pour que la vie change ».
Belle histoire, joliment déroulée, tricotée à six mains l’air de rien.
Ça semble tellement facile.
> Abbaye de l’Épau
Ah, la presse du soir annonce que la manif des flics contre la haine anti-flics a réuni, selon les syndicats de police 7000 participants, selon la police : 1000. Très drôle.
François Ripoche Trio invite Ray Anderson.
Ray au trombone, François RIPOCHE au sax ténor, Sébastien BOISSEAU à la contrebasse, Simon GOUBERT à la batterie.
Intro trombone-ténor superbe : on sent qu’ils se connaissent déjà et qu’ils enjambent les habituels ça-va-tuyau-de-poêle-et-toile-à-matelas, la santé ? Les enfants ? Le transit ?
C’est tout de suite une tchatche genre un platonicien rencontre un aristotélicien. Sérieuse. Goubert installe un roulement quasi militaire et hop hop : le thème. Anderson puis Goubert puis Ripoche solo-ïsent. C’est tonique, enlevé et ça s’appelle Moyenne section.
Sur le morceau suivant, écrit par Anderson, on assiste à une étonnante structure : le thème pourrait figurer dans un manuel d’études rythmiques pour tous instruments avec un mantra à mémoriser : flaflaflacopacabanatagadatagada.
Et, chacun son tour, a cappella, raconte son histoire. Assez gonflée cette manière de détourner un quartet ( et son public ) de ses habitudes.
Boisseau introduit le morceau suivant par un lent et puissant solo, un genre de ballade classieuse, économe, sans chichis, sobre. Goubert pognasse ses baguettes et ça suffit pour installer une atmosphère énervée sur fond calmissime. Ses cymbales crissent, on se dit qu’il se passe des choses cachées que face de bouc ne connaît pas dans son univers dédié à La vie publiée. Oui, ça s’appelle Dimanche soir et c’est bien vu. On a tous connu ce moment d’entredeux, le ouiquende pas terminé, la semaine pas encore commencée. Sortir ? Se vautrer devant l’attendrisseur de cerveau ? Dimanche soir.
Brush (brushing ? ) rend hommage aux balais du batteur. Et Goubert sait y faire ; lui, avec un poil de nez secoué en l’air, il nous ferait craquer.
La suite est parfaite : Ripoche phrase terrible sur Éclipse, il ne fait ni dans l’effréné ni dans le forcené. Ça coule de son tuyau sans ruisseler et ce n’est pas une fuite, c’est une histoire. Tout est inattendu dans leur musique et l’art du contre-pied, ils maîtrisent. Ils vont être fin prêt pour l’Euro.
La manif mancéenne anti Loi Travaille !!! s’arrête à 12h. Pile poil pour rejoindre la Collégiale et ajouter à la marche à pied une louche de culture. Marcher, se cultiver, même combat !!! On peut rêver, non ?
> La Collégiale
Ray ANDERSON, l’allure d’un jeune homme malgré ses 64 ans aux prunes, dédie son morceau d’ouverture à un certain Lewis ( George ? ) qui se remet d’un accident sévère et va Marching on. Titre éponyme du morceau. On a cru un instant que Macron tentait de s’incruster à l’EuropaJazz mais non. Ça commence comme une marche pour déambulateur et puis, il y a une descente. Longue, pentue. Et des coups de freins. Les coups de frein, au trombone, ça ne trompe pas. Était-ce une bretelle d’autoroute ? L’entrée d’un parking ? La fin suggère un passage de l’autre côté mais de quoi ? Parce que plus angélique comme conclusion.....
Avec A love song, conversation à deux, on saisit tout de suite le pitch : ils se chamaillent, il l’enfume, elle se rebiffe, il ne lâche rien. Salaud.
Anderson pratique la respiration circulaire ad libitum, à croire qu’il a une bouteille d’oxygène planquée dans le dos. Parce que, tout de même, emplir ce long tuyau coudé....
Sisyphe effects nous rappelle cette épouvantable tâche : remonter le caillou qui n’a de cesse de redescendre, et il n’est pas stupide de se souvenir d’Einstein disant « La folie c’est continuer de faire la même chose en pensant que le résultat va changer ». Anderson lui, y va d’un flux-flot de conscience multi couches : son commentaire sur la tâche en cours, son métacommentaire sur la situation globale, les regrets, le doute, la fatigue, le sentiment d’impuissance de Sisyphe. Sa colère aussi.
Et, moment qui résume tout le concert, Mood Indigo revisité Anderson. Le son du trombone et la voix mêlés, ce thème majestueux, et la sincérité de Ray, son cœur généreux. On pense à Charles Lloyd.
Il termine par une sonnerie de débuché à effrayer un cerf planqué derrière un pilier. Ça sonne du feu de dieu et Anderson se met à scatter dans un swing pêchu qui nous montre combien cet homme respire la joie de vivre léger.
Merci Monsieur Anderson. Vous rendez la vie jolie et sensible.
> La fonderie
Le trio prévu à la fonderie fait défaut, l’accordéoniste tout jeune papa ne parvient pas à décrocher de son petit. Alors Simon GOUBERT, Sophia DOMANCICH et Paul RODGERS s’y collent.
Pas de partoche bien sûr, œuvre éphémère à usage unique là aussi. Trois musiciens donc sept possibilités. Et une seule question ( à tiroirs ) :
comment savent-ils que ça commence, s’arrête, reprend, bifurque, s’épuise, s’étire, saute du coq à la poutre, concerne l’autre mais pas moi, puis les autres mais toujours pas moi, puis moi sans les autres et à quel moment glisser un coin dans l’idée installée, influencer au point de faire dévier, etc, etc, etc,......
Quel énigme, la musique improvisée !!
> L’abbaye de l’Épau
Le nouveau quintet, Émile PARISIEN sax soprano et ténor, Joachim KÜHN piano, Manu CODJA guitare, Simon TALLEU contrebasse et Mario COSTA batterie, laisse une impression mitigée. Ses trois grosses pointures : Kühn, Parisien et Codja ne parviennent pas à lancer la machine à fabriquer de belles conversations, des envolées époustouflantes. Le morceau Préambule tient lieu de préambule « bonsoir, asseyez-vous-çava la santé-et les enfants ?". Il devrait faire saliver et donner envie... Il devrait...
Road Trip évoque-convoque moult images mais Émile, on l’entend pas ? Pourquoi on ne l’entend pas Émile ? Il veut que faire jouer les autres, Émile ?
Il faudra attendre la valse « Le clown tueur de la fête foraine » pour que l’Émile y aille enfin d’un solo classieux, véloce et virtuose. Sur fond de rythmique donc en trio. Bon, d’accord, on n’atteint pas l’inoubliable trio de L’EuropaJazz 2012 ( CÉLÉA-REISINGER-PARISIEN ). Kühn sort son épingle du jeu avec sa composition Arôme de air. Jolie intro au piano puis au-delà du thème joué à l’unisson, enfin enfin des conversations Kuhn-Codja, Kuhn-Parisien. Pour conclure avec le Poulpe dont la rythmique n’est pas sans rappeler Brilliant corners de Monk avec ses variations de tempo à se péter les dents du devant sur le bord du trottoir ( la planche à roulettes a continué, elle ).
On les rappelle et Parisien embouche son ténor. Un voisin, un directeur artistique en puissance ? murmure : « celui-là, je lui interdirais de jouer du soprano pendant quelques concerts. Il sonne tellement vrai au ténor... »
Ensuite, le Gary Peacock trio : lui-même à la contrebasse, Marc COPLAND au piano et Joey BARON à la batterie. Autant dire que ces légendes du jazz cumulent quelques années au compteur et il suffit de deux morceaux pour se faire une idée : musique pépère pour après-midi entre les feux de l’amour et le dîner à 18h de la maison de retraite. Ils ne semblent pas avoir envie de réveiller ceux qui dorment déjà à moins qu’ils ne tentent d‘endormir tout le monde.
Selon le radio trottoir d’usage, les ceusses qui se trouvaient tout au fond de la salle, au pied de la régie, ont trouvé le son nul. Ceux qui se trouvaient back stage l’ont trouvé génial. ( d’accord, mais caser 450 spectateurs back stage ? ). Mais leur musique dans tout ça ?
Selon un mec au ventre rond et au propos péremptoire et définitif : « ces mecs jouent un jazz post bill evansien, qui a quarante ans de retard ».
Comme le temps passe....
> La collégiale
Duo COURTOIS-PIFARÉLY, l’un au violoncelle et l’autre au violon.
LE CONCERT DE L’EUROPA 2016.
Celui qu’il ne fallait manquer à aucun prix.
Les absents ont eu tort ( quelle joie d’ignorer ce à quoi on a échappé !!! ) et ne peuvent arguer d’aucune excuse. Toutes seront refusées.
Ils débutent par une seule note. À l’archet.
On leur aurait volé les autres avant le concert ? Ils revisitent Chanson sur une seule note ? Nenni point. Ils rencontrent le lieu, font sonner l’air, tortillonnent autour des piliers, se plaquent contre les voûtes, câlinent les pierres, les embrassent et elles leur renvoient le bonjour. Une seule note tirée, étirée, filée puis marquée par des attaques différentes. Comme quoi, on peut faire trétrétrébo avec peu de choses...
Et là, déjà, tu te dis, ne bouge plus, respire mollo mollo, écoute de tout ton corps.
Ils ont enchaîné deux extraits de West, le CD de Courtois, et une pièce de Sclavis.
Ensuite Retours. Un genre de lalalère tout simple, quelques notes et hophop : l’improvisation. Le petit truc gratté à deux doigts au violoncelle fait office de clé pour ouvrir des portes à Pifarély. Puis c’est le violon qui la joue discret et soutien pour le cello. Là, t’as plus une cellule occupée à quelque tâche biokarmagénético-utile. Même les bactéries de ton corps, des milliards à ce qu’on dit, ont cessé toute activité non urgente pour jouir de ce moment. Oui, une bactérie jouit.
Avec 1852 mètres plus tard, on goûte un genre de japoniaiserie, les pizzicati font penser au koto. Pifarély file un accord l’archet comme une navette volante, se déplace derrière Courtois, leurs musiques s’additionnent spatialement. Pfff, somptueusement somptueux.
Là, ce n’est plus en apnée qu’on est, c’est hors-sol. Rien ne manque à cet instant. Qui a déjà goûté un instant marqué par cette complétotalitude du « Rien ne manque » ? Ah, si ça pouvait durer toujours....
Ils terminent par une chansonnette, le genre de gimmick qu’on chantonne en se coupant les ongles de pieds, le déconstruisent, le reconstruisent, le mettent en biais, en pile, à plat. À l’unanimité, le public leur accorde les deux oreilles, la queue et la carcasse.
Nous vivons très exactement ce moment de grâce qui fait supporter d’entendre quelques niaiseries prétentieuses de musiciens emportés par leur tout à l’ego et la médiocrité qui va avec.
Merci messieurs. Nos petits cœurs trézémus vont mettre du temps à s’en remettre.
Equal crossing : Régis HUBY violon, Marc DUCRET guitare, Michele RABBIA batterie, percussions, corps, ordinateur et pad, Bruno ANGELINI piano, Fender, Mini-Moog.
Rien de plus intéressant que de ré-écouter pile poil une semaine plus tard la même formation et le même programme ( lire ici sur CultureJazz.fr). Et bien, Lucette, tout est changé. Comme quoi, l’aphorisme selon lequel le changement est la seule loi immuable de l’univers vaut toujours. Alors qu’est-ce qui est différent ?
C’est plus tranché, plus engagé, plus affirmé, plus intense, plus puissant : bref, ils jouent comme des stars de jazz-rock. Ducret prend toute la place qui lui revient, Angelini aussi et dis donc, on les entendrait dans un grand raout façon seventies qu’on ne serait pas du tout étonné. Allez, Hendrix, Weather Report, Bitches Brew, les évocations sont pléthoriques et le timbre du Fender Rhodes et du MiniMoog n’y sont pas pour rien. À ce propos, un peu de pub gratuite : lire Les fous du son » de Laurent de Wilde, il en parle très bien de toutes ces machines aux sons devenus familiers à nos oreilles.
> Abbaye de L’Épau
Le Grand Orchestre du Tricot rend Hommage à Lucienne Boyer.
Angela FLAHAUT, voix, Roberto NEGRO, piano, Théo CECCALDI, violon, Valentin CECCALDI, violoncelle, Gabriel LEMAIRE, sax et clarinettes, Sacha GILLARD, clarinettes, Quentin BARDIEAU, sax ténor et soprano, Fidel FOURNEYRON, trombone, Éric AMROFEL, guitare et banjo, Stéphane DECOLLY guitare basse, Florian SATCHE, batterie.
One more time, cette bande de furieux iconoclastes enflamme le public. Entre Angela Flahaut, ses airs de vierge effarouchée, sa rouerie face au public et ses partenaires prêts à toutes les ré-écritures des succès universels de Boyer, il y a la place pour un joyeux moment façon revue à grand spectacle. Pour ceux qui n’ont pas pris de notes, elle a chanté : Youp-Youp ( l’histoire de la naïve petite Charlotte qui s’est fait niquer...), La valse tourne, Mon coeur est un violon, J’ai laissé la clé sur la porte, Parti sans laisser d’adresse, J’ai raté la correspondance, Parlez-moi d’amour ( à l’interprétation simple et poignante, hein, quand elle veut Angela, elle peut !!! ).
Et ils nous font vivre une histoire revisitée de l’amour, ses aléas, ses « tire-toi, je ne veux plus de toi » avec des textes réalistes en français, des arrangements épatants et quelques gags. Bravo les jeunes !!! Merci pour l’énergie, l’humour, le fun.
> La Fonderie
Duo CECCALDI-NEGRO : Danse de salon
Ça démarre tranquille et volubile genre débriefons le concert d’hier soir (oui, pour ceux qui n’auraient pas suivi, ils font partie du grand orchestre du Tricot ). T’en as pensé quoi ? Et toi, comment tu nous as trouvés ? Ah oui ? Ben moi non...et ça discute sévère. Théo CECCALDI au violon a branché le mode volubile-logorrhéique, accroche-toi à l’archet, j’ai des choses à te dire, ne m’interromps pas. Roberto NEGRO, piano et accessoires, ne s’en laisse pas compter. D’ailleurs, il a trouvé le truc : quand Théo en rajoute un peu trop et qu’il lui pompe l’air, paf !!! il envoie une petite idée rythmique qui fait dériver le cours des choses. Alors on croit qu’ils sont lancés dans une folle improvisation et que Danse de salon, c’est pour faire joli dans la pub d’Armand Meignan. Non non non : voilà qu’ils envoient, à l’unisson-ensemble-à-toute-blinde, un quelque chose extrait d’une œuvre de musique de chambre transformée en salon. On croit reconnaître l’opus KZ612 de Hiquéa pour étagères à coller. Non contents d’être déjantés, ils sont virtuoses. Inutile de chercher des partitions ou un petit pense-bête tatoué sur leur poignet : ces mecs ont mémorisé toutes les saillies classiques qu’ils vont dégainer. Et question saillies, ça ne rigole pas : il s’agit d’envolées dodues, pleines de plein de notes à jouer très vite, sans se mélanger les doigts.
Mais je te dis pas le bordel qu’ils mettent dans ton salon : le canapé a perdu ses coussins, la jolie mantille que tu avais déployée dessus, en vrac par terre façon serpillière, les tentures décrochées et raccrochées les pieds en haut et …. Pfff, Danse de salon, que tu crois.
Ils jouent de nos émotions : là tout de suite c’est plutôt la tristesse. Musique sombre, quelqu’un est mort ? Et auparavant, ils furent lyriques, agités, sautillants, mollomollo...
Voilà une valse, ils osent une valse, enlevée comme une Sabine. Ils se marrent, Negro à l’air d’un minot qui prépare une blague.
Et les deux hypothèses qui hantent les trottoirs du Mans sont mises à l’épreuve du réel :
1.Soit les musiciens es musique improvisée entrent sans avoir le début de commencement d’une idée de ce qu’ils vont jouer et les bons moments vont alterner avec des moments moins habités, moins moins quoi. Et leur liberté semble pour le moins pas totalement créative.
2.Soit les musiciens arrivent avec un projet, une phrase minimale, une riff, une envolée cliché référentielle qu’ils doivent impérativement utiliser et alors, cette contrainte vient accroître leur liberté.
Étrange, non ? Les deux lascars valident totalement cette option 2. Après la valse, Negro martèle son piano, retour au minimalisme. Une oreille exacerbée-exigente pourrait identifier à la 21è minute la cadence d’un compositeur bulgare (Alec Zeption, 1142-1184), à la 42è minute du concert, juste avant la valse, la traduction en musique d’une page du journal intime de Margaritha Paltant, futile écrivaine jamais passée à la postérité. Donc ça pète le feu sans perdre une minute, nos esprits effarfaillés s’effarent, où trouvent-ils cette gnaque ?
Voici donc l’autre concert de référence empli de jeunesse iconoclaste, d’humour joyeux et de talent. Un voisin parle d’un duo de génies. Si si.
On garde leurs noms, sûr qu’on va les revoir bientôt et pendant longtemps.
> A l’abbaye, le tout nouveau trio Stéphane OLIVA, piano, Sébastien BOISSEAU contrebasse et Tom RAINEY entame sa vie musicale publique et ça ne rigole pas. Le binôme rythmique n’est pas venu pour enfiler des nouilles : ça pousse terrible. Le corps de Tom RAINEY bouge dans un bain d’huile, pas de heurts hérissés dans ses mouvements, une espèce d’ondulation multiforme. Boisseau arrache les cordes à poignées, sa contrebasse supporte sans se plaindre.
Avec Portrait de Gene Tierney, ils envoient une musique de mecs : pleine, entière, drue. On pâtira d’un moins bon rendu du son du piano pour les pièces suivantes et c’est dommage parce que ce trio, outre les soli convenus ( à toi, à moi ), joue à trois. Vraiment. Donc une incitation-invitation à les ré-écouter à la prochaine occasion.
Le piano retrouve son son ( si si !! ) avec la musique du film Les liens du sang et c’est beau.
Le Brotherhood Heritage tente le pari de faire revivre le Brotherhood of Breath de Chris McGregor. Ils se connaissent par cœur, les dix musiciens : François RAULIN piano, Didier LEVALLET contrebasse, Simon GOUBERT batterie et les sept souffleurs : Raphaël IMBERT au sax ténor, Chris BISCOE au sax alto, François CORNELOUP au baryton, Alain VANKENHOVE trompette, Michel MARRE trompette et bugle, Mathias MAHLER et Jean-Louis POMMIER, trombone. Autant dire une soufflerie géante. Pas besoin de 10 secondes pour se régaler de cette tentative : leur jazz danse. Ils ont bu des coups et l’éthylotest n’a rien décelé ? Ils ont respiré l’air du parc et les arbres leur ont insufflé quelque potion magico-mancelle ? Ils sont chauds bouillants et leur souffle arrive par vague dans la salle. T’imagines un bar, du bruit, les glaçons qui explosent comme une banquise réchauffée et les gens qui passent d’un pied sur l’autre et se dandinent du croupion, dans l’impossibilité de ne pas bouger.
C’est tout sauf du jazz de chaise, on doit danser !!!
Ils enchaînent Andromeda, Chris McGregor 2916, Hymn to breath et c’est gravement festif. Sûr qu’en prélude au vote des lois, cette musique remettrait de la vie vivante, joyeuse, qui ne se prend pas qu’au sérieux dans les tronches des Zélus.
« Maxine », hommage de Chris McGregor à sa femme ( présente ce soir ), dans un tempo medium, emplit la salle de douceur et de tendresse. Et puis, comment les retenir ? Entre Vankerhove qui a chaussé des semelles à ressort et Imbert qui aligne les détours devant son pupitre, c’est le final. Monstrueusement dansant. Ce band est une machine à faire chalouper-chavirer 80000 personnes dans un stade. Les bénévoles montent sur scène où ils sont enfin exposés à la lumière. On lève les bras, on se dandine, il ne manque pas grand chose pour transformer le dortoir des moines en dance floor sud africain. EuropaJazz 2016 s’achève avec un très beau retour au jazz du corps mobile.
Bon, les contrôleurs de gestion humaine l’auront remarqué : deux femmes seulement ces derniers jours de l’EuropaJazz : Sophia DOMANCICH et Angela FLAHAUT.
Elles sont où les autres ?