Vue d’en haut

Michel Delorme et Jacques Chesnel ont découvert une saxophoniste visiblement épatante !
Ils nous livrent leur chronique "bicéphale"...

Bon !, autant l’écrire tout de suite : Céline Bonacina ne manque pas d’air…ne manque pas de souffle. Quoi, une jeune saxophoniste trentenaire (du début) rentrée depuis peu de l’île de la Réunion, où elle a séjourné pendant sept ans, sort un premier album à vous couper le souffle… le nôtre… eh bien , OUI !

Auparavant, elle a fait des études musicales, s’est spécialisée au saxophone baryton, produite en big band dans des clubs parisiens, puis dans l’Océan Indien au sein de plusieurs formations : Subbash and the cosmic sound (indo-jazz), Ti Fock (musique réunionnaise et fusionnée) et sa propre formation jazz Céline B Group. Elle a participé à plusieurs festivals sur les îles (Réunion, Seychelles, Maurice et Madagascar), a joué en première partie de l’ONJ et d’Henri Texier et a été saxophoniste invitée du pianiste Omar Sosa, rien que des références. C’est juste avant de quitter la Réunion qu’elle enregistre cet album paru en décembre 2006 dans lequel elle signe tous les titres.

Céline Bonacina - "Vue d’en haut"
Alefa Productions 2006

Le premier Bar émergence, en solo, annonce la couleur : au baryton, d’abord une sorte de frémissement riche en harmoniques (dont elle (se) joue admirablement avant d’annoncer le thème très rythmé, gorgé de funkytude ( ! )… pour préparer la part 2 en quartet avec transition en soprano qu’elle maîtrise tout autant que son imposant cousin bary-tonnant. Coloration différente avec Ségaline, composition inspirée par le séga (celui de la Réunion, car cette musique des esclaves, née de l’exil, est présente dans de nombreues îles de l’Océan Indien) et Celtic thème dans lequel on apprécie le solo de Lionel Guillemin à la basse… Céline passe d’un instrument à l’autre avec aisance et se permet une belle section de sax à elle toute seule grâce au fameux re-recording comme dans Free vision après son intro décoiffante qu’elle agrémente de sa voix toujours bien placée. Un affectueux hommage à notre cher Steve Lacy, une Vue d’en haut très sopranique et un Alefa ( vas-y, fonce !) très tonique (morceau arrangé par Didier Makaga qui là utilise un son de clavier afin de donner la couleur festive de l’accordéon pour cette musique) complètent le répertoire de cet album qui donne à entendre une musicienne confirmée, véritable révélation.

Dans les années 70, la critique voyait en Hamiet Bluiett « le nouveau Messie du saxophone baryton » ; j’ose, quant à moi, affirmer qu’en ce début de siècle Céline Bonacina est bien « la nouvelle Madone de l’instrument ».

La revue Jazzman consacrait l’an dernier un dossier « Enfin les filles !... celles qui font bouger le jazz ». Céline n’y figurait pas… elle fait pourtant bien partie de cette cohorte-là… La saxophoniste s’inscrit ainsi aux côtés d’Emile Parisien et de Yaron Herman dans ce nouveau courant que nous nommons Michel Delorme et moi « nouvelle liberté » ou « new free », (sous la houlette de Wayne Shorter) qui redonne un sacré coup de jeune au jazz.

Alléluia !... et Alefa !, les deux.

> Jacques Chesnel

- N.B. - Céline cherche un producteur, un distributeur ; espérons qu’elle ne cherchera pas trop longtemps.

Mention très bien pour la pochette colorée et virevoltante… à l’image de la musique.

Celine Bonacina - Vue d’en haut

J’AIME ECOUTER LES FILLES ...

Vous en connaissez, vous, des filles qui jouent du baryton ?

Eh bien voici Céline Bonacina, et la France nous offre peut-être une 1ère mondiale.
Mais s’en tenir là serait réducteur.

Même si le noble instrument est mis en évidence dès le début du CD, et cela n’ est pas anodin, cette livraison initiale ne recèle que d’autres beautés.

Bar [1] émergence pourrait aussi s’ appeler « Self conversation » ou « autodialogue du suraigu grave ». La deuxième partie voit entrer la basse et la batterie avant que Didier Makaga de belle mémoire parisienne n’appuie sur la gâchette de ses claviers. Mademoiselle termine au soprano, tiens, une tournure de « phrasé » typique de Wayne Shorter.

« Ségaline » ou « SEGA-line », ou « SE-ga-LINE », quel beau son de soprano encore, quel beau thème, quel bel arrangement. Céline a tout signé, sauf l’arrangement de « Alefa », dû à Didier. Fait trop rare pour ne pas être souligné. Sous la deuxième partie de la composition, on perçoit la voix de Céline pour un effet du plus bel. Effet qu’ elle utilisera souvent et qui amène une fraîcheur certaine. Ce titre est le must de la programmation radio pour le petit détail qui change tout : ce que fait Didier
sous l’intro de batterie est dans l’air du temps sans être putassier.

« Celtic theme » est paré d’ une sublime intro qui devrait être un titre à part entière. Faut pas gâcher, dirait Guy Roux. Wayne Shorter, Céline Bonacina, même combat !
Hary Ratsimbazafy se montre particulièrement à son avantage ici, avec ce son de batterie boisé auquel nous a habitué Tony Rabeson. J’aime aussi beaucoup cette basse en suspension du deuxième solo de Lionel Guillemin. Chapeau !

« Just alone » n’ est pas un solo en solo, c’ est le 2ème titre au baryton. L’ esprit du bon thème fait irrésistiblement penser à "Illumination", la trop méconnue séance Impulse d’Elvin Jones, je te salue mon grand, et Jimmy Garrison. Avec le magnifique Charles Davis. On entend ici pour la première fois ce dont est capable Céline en re-recording. Aux baryton, alto et soprano qu’elle utilise en solo, la bougresse - c’est un compliment - ajoute un ténor.

« Image à Steve Lacy », vous avez bien lu, hommage est devenu image. Comme est sage, au sens latin de sabius, cette belle offrande au soprano-ça va de soi- qui s’ orne de douces harmoniques. On en avait déjà noté dans le 1er titre.

« Free visa » ne veut pas dire visa gratos, mais presque libérez le visa. Les compositions de Melle Bonacina ont toutes un titre qui raconte une histoire personnelle, intime. C’est bien aussi.
Et c’ est très beau cette entame de basse et cette évanescence d’un alliage sonore qui touche au sublime de la séance Capitol de Miles Davis-Gil Evans.
Tout s’ accélère ensuite en une course éperdue culminant dans un beau bouquet sonore. La basse ramène la sérénité avant que l’alto rageur n’exprime la colère de l’impuissance.
Suit un arrangement virevoltant qui précède la sérénité retrouvée.
Re-recording et voix un peu plus présente sont encore de mise sur ce Visa.

« Vue d’ en haut » donne son titre à l’album - je fais semblant de ne pas connaître éponyme, que j’abhorre tout autant que drastic, ce sont des termes de Bobos. J’ ai dit. -
L’ arrangement et son alliage sonore frisent encore l’ éblouissement.
Puis un démarrage conduit au scat de Didier, l’air de l’ altitude sûrement, car cela tourbillonne joyeusement. Le final se ralentit tel l’épanouissement d’ une fleur filmé en accéléré, paradoxe.

Le disque se termine dans la fête avec le très dansant « Alefa »- vas-y, fonce en malgache. Ce sera dorénavant le nom du groupe de Céline Bonacina. La mélodie fleure bon les airs du grand Henri Texier.

La magnifique pochette est à l’image de la musique : turbulente.

Ne manquez pas ALEFA au Baiser Salé le 17 avril. Sous aucun prétexte.

Le CD est déjà en place dans toutes les FNAC de Paris et celles de Belfort, Le Mans, Rennes et Strasbourg. Sinon, on peut le commander sur alefa.prod@voila.fr

Et croyez-moi, voilà bien une fille qui n’ aura pas besoin de discrimination positive !

> Michel Delorme


> CÉLINE BONACINA : Vue d’en haut - Alefa production : alefa.prod@voila.fr et fnac)

  • CÉLINE BONACINA (composition, saxophones baryton, alto et soprano ; vocal),
  • DIDIER MAKAGA (claviers, vocal),
  • LIONEL GUILLEMIN (basse),
  • HARY RATSIMBAZAFY ( batterie)

Enregistré en juillet 2005 et août 2006

1/ Bar émergence part.1. 2/ Bar émergence part. 2. 3/ Ségaline. 4/ Celtic theme. 5/ Just alone. 6/ Image à Steve Lacy. 7/ Free vision. 8/ Vue d’en haut. 9/ Alefa !.


> Lien :

[1« Bar » est l’ abréviation de baryton, il ne s’ agit en aucun cas du poisson Bar que les Méridionaux s’ évertuent à appeler Loup.