Marseille, c’est LE rendez-vous incontournable des passionnés de jazz : une ville globe-jazzeuse qui résonne durant dix soirées très attendues des musiques du monde entier, inspirées et joyeuses, connues ou moins connues.
Marseille rayonne depuis qu’elle a été capitale européenne de la Culture en 2013. L’inauguration du MuCEM ( Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée ) cette année-là a propulsé la ville vers le haut et le festival en a récolté aussi les fruits. En 2016, quatre lieux sont investis en plus des traditionnels Jardins du Palais Longchamp : la Friche de la Belle de Mai, le Théâtre Silvain et la terrasse du Fort Saint Jean au carrefour des deux passerelles du MuCEM.
Dimanche 24 juillet : soirée au MuCEM
Une terrasse superbe au coucher du soleil accueille le public par la seule passerelle du Fort Saint-Jean. Chacun s’installe peu à peu sur les gradins dans des conditions optimales pour accueillir le crooner Hugh Coltman. J’aime énormément les chanteurs et celui-là en particulier. Sa voix à la fois âpre et délicate me touche infiniment et son dernier projet Shadows, Songs of Nat King Cole spécialement. À part le batteur, ce ne sont pas les mêmes musiciens que sur le disque. Avec lui, Thomas Naïm à la guitare, Gaël Rakotondrabe au piano ( Rappelons que c’est Eric Legnini qui a amené le chanteur au jazz ), Christophe Minck à la contrebasse et Raphaël Chassin à la batterie nous livrent un répertoire de grands standards ou de perles méconnues de Nat King Cole disparu il y a cinquante ans.
Hugh Coltman, natif de Bristol vivant à Paris, l’a découvert grâce à sa mère, et c’est en pensant à elle qu’il a décidé de lui rendre hommage. Nature Boy, Mona Lisa, mais aussi une facette plus sombre et méconnue de King Cole comme Shadows en référence à une vie passée à être confronté aux problèmes raciaux, ou Meet me at no special place. Un Smile, titre phare du répertoire de Cole, absolument fondant, un Pretend qui a ma préférence absolue et voilà la recette du bonheur qui est toute simple : on ferme les yeux dans cet endroit magique en écoutant Hugh Coltman...
Suit le pianiste Jean-Pierre Como qui va jouer son dernier opus Express Europa. Nous retrouvons Hugh Coltman au chant avec Walter Ricci, le jeune chanteur napolitain qui vient d’être sélectionné pour le prestigieux, mais très fermé concours Monk de Los Angeles. Louis Winsberg est à la guitare, Stéphane Huchard à la batterie, Thomas Bramerie à la contrebasse et Stéphane Guillaume remplace Stefano Di Battista au saxophone ( nous ne perdrons pas au change ! ).
Louis Winsberg et Stéphane Huchard faisaient déjà partie du premier volet Express Paris Roma créé dans le même esprit avec d’autres musiciens il y a vingt ans. Cette fois-ci, l’Italie est encore célébrée avec Walter Ricci qui chante en italien l’amour de Como pour ce pays. Mais de là à comparer Ricci à Sinatra, il y a quand même un pas de géant, et ce ne sont pas les interventions de l’italien qui m’ont le plus charmée, mais plutôt les prouesses de Louis Winsberg et Stéphane Guillaume, ce dernier étant à présent un saxophoniste devenu incontournable partout. Jean-Pierre Como est une main de fer dans un gant de velours, discret mais efficace. Je fonds encore sur le doux Turn and Turn chanté par Hugh Coltman et chaloupe sur Mandela Forever. Un fabuleux Silencio plus oriental et conçu par Louis Winsberg, met en valeur particulièrement chacun. Quant à moi, je dédie Io Che Amo Solo Te à Marseille, particulièrement en beauté ce soir-là depuis la terrasse donnant sur la mer et les lumières bleutées du MuCEM.
Mardi 26 juillet :
Changement de lieu et de décor, non moins séduisant, dans les grands Jardins du Palais Longchamp. La première partie est consacrée au quintet de Christian Scott. Jeune trompettiste originaire de La Nouvelle Orléans ayant étudié à la prestigieuse Berklee College of Music de Boston, il vit désormais à Harlem. Génial touche-à-tout, il séduit un public plus jeune que d’habitude qui se presse devant la scène d’entrée de jeu. J’attendais ce concert d’autant plus que son passage en raison d’un orage violent avait été annulé il y a deux ans à Avignon. Cette fois, la majeure partie de son programme concerne son dernier disque Stretch Music où il joue en compagnie de la très jeune et très douée flûtiste Elena Pinderhughes. Il y a également, mais c’est variable suivant ses concerts, Kris Funn à la contrebasse, Corey Fonville à la batterie, Lawrence Fields aux claviers et Braxton Cook au saxophone alto, une jolie brochette de sidemen ayant déjà un beau palmarès derrière eux. "Vous voulez savoir si la stretch music est du jazz ? Oui, bien sûr que c’est du jazz. Mais c’est aussi du rock indé. C’est aussi du hip-hop" ( Christian Scott au magazine Vice ) : voilà, nous sommes prévenus ! Les deux premières compositions inédites mettent la flûtiste immédiatement en valeur, bien qu’elle ne semble pas très sûre d’elle. Et tandis que Scott déambule sur la scène en regardant souvent ses musiciens qu’il dirige d’un œil assuré et auxquels il laisse une place très importante ( trop ? certains se plaindront qu’il n’a pas assez joué...), je vous invite à lire l’excellente chronique de notre collègue Yves Dorison au Crescent Jazz Festival à Mâcon, qui a été aussi enchanté que moi de ce concert (...lire ici...)
Arrivent ensuite CEUX que j’attendais également avec impatience : les Snarky Puppy. Groupe à géométrie et nombre variable, une fois n’est pas coutume, j’énumérerai intégralement les noms des musiciens jouant ce soir là, car il est injuste de les fondre dans le seul nom Snarky Puppy, tant ils sont tous bluffants. Il y a bien sûr Michael League à la basse, leader souriant et charismatique, chef d’orchestre infaillible et surdoué, Chris Bullock au saxophone ténor, Bob Lanzetti à la guitare, Mike Maher à la trompette et bugle, Justin Stanton à la trompette et au clavier, Marcello Woloski aux percussions, le génial Bill Laurance aux claviers, Larnell Lewis à la batterie et le séduisant Shawn Martin aux claviers. Neuf en tout ce soir, mais sans Cory Henry, le claviériste émérite que j’aurais volontiers écouté. Fondé en 2004 dans le sous-sol d’un restaurant texan par le bassiste et ses copains de lycée, ce collectif incroyable, qui a regroupé jusqu’à quarante musiciens, a grandi et évolué jusqu’à la consécration d’un Grammy Award en 2014 et d’un second en février dernier. Ils viennent de sortir leur onzième album cette année Cucha Vulcha plus électrique et crossover que jamais. Basés maintenant à New-York, leur succès est dû au mélange culturel qui fait se télescoper funk, soul, pop, électro, hip-hop, musiques du monde… Une écriture millimétrée, une musique collective passionnante, un groove irrésistible, des pulsations hypnotiques, des nappes de synthés planantes et des cuivres détonants, bref une recette infaillible. La foule compacte venue dans les jardins du Palais Longchamp ne s’y est pas trompée leur assurant un triomphe jusqu’au final où Christian Scott et Elena Pinderhughes les ont rejoints ! Une magnifique soirée assurée par de jeunes surdoués qui sont en train d’écrire la future histoire du jazz !