Piano solo, le 15 décembre...

On est en droit de se demander comment le piano, instrument de l’aristocratie blanche s’est inséré dans l’univers du jazz afro-américain, étant inapte par définition à faire partie des marching bands et autres défilés du Mardi Gras à NOLA. Évacuons l’imagerie d’Épinal du tac-a-tac sortie des brumes du train à vapeur du XIXè siècle et de cerveaux embrouillés du XXè, reste l’église, le blues, la fin de l’esclavagisme, l’appropriation, les bouges, le ragtime. D’un coté Louis Moreau Gottschalk ou Scott Joplin rompus au harmonies européennes, de l’autre Jelly Roll Morton venu du monde créole louisianais, enfin le stride new yorkais de James P. Johnson, l’iconoclaste Fats Waller et Earl Hines, compagnon idéal et génial de Louis Armstrong. Ils jettent tous à divers degré les bases d’un art fécond. Un champ immense s’est ouvert laissant place à d’innombrables instrumentistes.
Au delà de l’exercice de style, jeu souvent voué à l’ennui et à l’échec tous ont pratiqué et pratiquent l’art si difficile et finalement rare du solo, seul les maîtres s’y attardent, en un trop rapide résumé : Art Tatum, Fats Waller, Thelonious Monk, Martial Solal, Keith Jarrett (même si à titre personnel nous apprécions plus ses trios que ses solos), on en oublie…

Fred Hersch
© Pierre Gros - 2016

Ce soir au Duc des Lombards c’est Fred Hersch, adepte de l’exercice, qui s’y colle. Un petit historique rapide du pianiste : débute l’instrument à 4 ans, études classiques avant de s’intéresser au jazz, premiers gigs avec les Art Farmer et Pepper, s’ensuit une brillante carrière d’accompagnateur, puis ses premières réalisations personnelles en trios duos ou quintet. Sa classe, son goût des belles choses, sa science harmonique le rapprochent du Third Stream de Gunther Schuller qui fut un de ses professeurs, une évidence à l’écoute du concert de ce soir. On le sait aussi enseignant, certains grands pianistes d’aujourd’hui lui doivent beaucoup.
Tout cela saute aux oreilles que ce soit sur Portrait in Black and White, O Grande Amor de Jobim, ses propres compositions (dont une inspirée de Brahms, ça me rappelle quelqu’un !) quelques standards (avec de timides relents de stride) ou pour finir sur un medley assez convaincant de titres monkiens, ou lors du rappel durant un beau Mood Indigo. Le son perlé, les couleurs harmoniques le rapprochent indéniablement du monde classique. On l’a dit inspiré par Bill Evans, certes dans la conduite des voix mais nous n’avons pas retrouvé le coté chantant proche des saxophonistes et autres trompettistes du génial pianiste.
Que dire de plus, la soirée fut belle, agréable et sage. Mais soyons sincère, il nous aura manqué une épice, celle de l’altérité, de la surprise, d’une certaine cruauté, d’un swing qui nous coupe le souffle, nous bluffe et nous pique là au fond de l’estomac.
Fred Hersch est un plus qu’excellent pianiste mais il ne fait pas encore partie, pour nous, des maîtres ci-dessus cités.

Fred Hersch : piano solo - jeudi 15 décembre 2016 - 19h30
Duc des Lombards
42, rue des Lombards
75001 PARIS