A y regarder de plus près, le papier et les sons ont beaucoup de choses à partager.

Un exemple, prenez une feuille, roulez la en boule et vous aurez le chant du papier qui se froisse.

"Papiers Sonores" - Jean-Noël von der Weid
Editions Aedam Musicae

Ou encore, prenez un livre, lisez à voix haute, à voix basse, en chuchotant si cela vous chante et vous aurez la mélodie d’un texte dont vous vous retrouverez alors l’interprète. Il s’agit de trouver ou retrouver ce chant interne, de lui donner forme sonore. Dans son ouvrage Papiers Sonores, Jean-Noël von der Weid en appelle à quelques uns de ses compositeurs favoris et à leurs musiques pour réussir ce tour de force. Comme il le dit lui-même dans son beau prélude, c’est le papier qui se fait sonore le long de textes poétiques où « allitérations et assonances, couleurs et rythmes qui claquent, nuances, jubilations, échos et résonances, respirations et jeux de ponctuations sont autant de zones que la synesthésie modèle et qui confèrent à la pensée, ces mots de l’intérieur, sa charge sonore, son timbre spécifique ».

49 entrées comme 49 compositeurs et leurs œuvres musicales, 49 textes qui ont le paradoxe d’exprimer l’inexprimable, le ressac entre rationnel et irrationnel. N’y voyez pas une traduction de musiques mises en mots, tâche désespérée. La preuve est ici faite que la musique qui n’exprime rien en soi est un langage. Le lecteur s’approprie l’œuvre dans un tropisme, un mouvement subtile et imperceptible, inexprimable maillant lecture, voix, mots et musique.

Le livre est divisé en autant de chapitres que de compositeurs. Après un court exposé biographique, un texte à mettre en voix est proposé en référence à une composition que l’on peut aller écouter via un lien internet. Les mots se font musique.

Quelques exemples :

> Chapitre 22 : Pascal Dusapin (1955), In & Out  : « …Questionnante dans les aigus, légère, soulevante, rieuse, elle tord ses syncopes, slaps et riffs en bouts de blues, oublieux de bop mais qui swingue ou se prélassent, c’est tout comme… ».

> Chapitre 17 : Thelonious Monk (1917-1982), Blue Monk : « …ce pianiste qui brode à petits points s’en balance de la haute couture quand il pourchasse les rêves qui renversent, passe à larges enjambées par-dessus la peur séparant les graves agrestes des aigus émus… »

> Chapitre 12 : Pérotin le Grand (vers 1200) compositeur de l’école de Notre-Dame (de Paris), Viderunt omnes : « … dans le dévoilement du vent les voix roulent, se déploient puis enroulent leur syllabes qui s’emmêlent en nous à perte d’haleine, hors du moment hors de l’événement… »

D’autres compositeurs dans toute l’acception du terme sont ici convoqués : Duke Ellington, Joëlle Léandre avec Pascal Contet, Charlie Mingus, John Cage, Edgar Varèse, Giacinto Scelsi, etc.. Certains d’aujourd’hui dont nous ignorions l’existence comme Franck Bedrossian, Lori Freedman, Helmut Oehring ce qui permet d’allier son, curiosité à la découverte de terres musicales inconnues.

>Pour finir, un jeu "son-papier" :
Prendre une feuille de papier, la placer bien droit à la verticale entre les paumes de vos mains. Souffler sur sa tranche là où il reste un espace entre les pouces, comme une anche. Vous entendrez la vibration du papier. Les plus habiles pourront même nous faire entendre une mélodie de leur invention.

Ps : nous aurions pu évoquer la partition. À travers le tâtonnement historique, c’est le geste du son vers le papier ou le parchemin, voire la peau, et du papier vers le son.

OUI ! pour l’originalité du projet, la poétique de l’écriture et l’ouverture à d’autres musiques d’aujourd’hui.


Papiers Sonores - Jean-Noël von der Weid - Editions Aedam Musicae - 180 pages format : 17.5 x 24 cm - Novembre 2016 - ISBN : 978-2-919046-38-6 - 25 €