Partant du film "Django" d’Étienne Comar, sur les écrans depuis le 24 avril 2017, Jean-Louis Libois s’intéresse plus largement aux "biopics", ces films biographiques souvent mal-aimés.
Les biopics (biofilms in french -ce qui est beaucoup plus long comme on peut le voir) sont à la mode, les biographies filmées ne sont pas aimées. À la mode en effet : de mémoire récente, citons Chet Baker, born to be blue (2016) de Robert Budreau avec Etan Hawke dans le rôle titre, Paula (2017) de l’allemand Christian Schowchow consacré à la formidable jeune peintre allemande Paula Modersohn Becker longtemps méconnue (1876 -1907), Emily Dickinson a quiet passion (2017) de Terence Davies évoquant la poétesse américaine ou bien encore le tout récent Django d’Étienne Comar. En matière de jazz on pourrait ajouter la vision contestée (et que nous n’avons pas eu l’occasion de voir) de la vie de Miles Davis, Miles ahead (2016) coproduit, coréalisé et interprété par Don Cheadle ou bien encore la trop ignorée Valse pour Monica (2014) de Per Fly, fiction classique certes mais illuminée par l’actrice suédoise Edda Magnasson dans le rôle de cette chanteuse attachante Monica Zetterlund, tout comme la peintre Paula par l’actrice Carla Juri. Le film mettant en scène Chet Baker valait lui aussi le détour, dans son récit des mois qui séparent la bagarre sur fond de trafic de stupéfiants au cours de laquelle le trompettiste perd ses dents et sa promesse de "décrocher" jusqu’au moment où il retrouve sa capacité de jouer avant de "replonger". Rien d’hagiographique dans la plupart de ces films et il en est de même pour le Django dont l’évocation couvre une brève période à partir de 1943, de sa fuite de Paris jusqu’à sa tentative de rejoindre la Suisse. L’une des gageures du genre réside -on l’aura compris- dans le choix des interprètes et la contrainte de la ressemblance physique même si dans la biographie de Bob Dylan I’m not there (2007), le cinéaste Tod Haynes avait choisi d’atomiser le personnage en plusieurs interprètes parmi lesquels l’actrice Cate Blanchett. Cela vaut pour tout film "inspiré de la vie de". En revanche, filmer les musiciens au travail est une autre paire de manches ! Avec le piano, on connaît les célèbres plans de coupe hollywoodiens de mains sur les touches associés à l’acteur qui prend des poses inspirées ; avec le violon il est plus difficile d’isoler le jeu sur l’instrument de son interprète et il en va pratiquement de même avec la guitare. Emmanuelle Béart avait, pour son rôle dans Un cœur en hiver de Claude Sautet (1992), alors suivi six mois de cours pour apprendre la position des doigts afin d’être filmée quelques instants interprétant le trio de Maurice Ravel. L’acteur Reda Kateb qui incarne le célèbre guitariste manouche est de la même manière filmé avec sa guitare avec des positions de mains crédibles qu’il a dû apprendre tandis que les gros plans des doigts appartiennent au guitariste Christophe Lartilleux. Le film Django remplit ces deux premières conditions de manière convaincante.. Qu’en est-il de l’évocation du musicien, du récit de sa vie et de sa mise en scène ? Nous n’avons pas lu le roman du plus russe des écrivains cherbourgeois "Folles de Django" d’Alexis Salatko dont le film est l’adaptation et le romancier le co-scénariste. Il convient de le dire : si la période de l’occupation allemande n’est pas une nouveauté au cinéma, filmer cette frange de la population errante malmenée dans ses lieux (les campements) avec en son sein la tribu Django (familiale et musicale) constitue à nos yeux une découverte que le metteur en scène parvient à faire exister par l’entremise de l’ensemble de ses personnages-interprètes ( la mère de Django, ses amis musiciens… et Cécile de France en amoureuse du musicien et sacrifiée, on le suppose. Tout cela fait un ensemble qui existe aux yeux du spectateur et qui distille aussi bien le plaisir de la musique de Django et ses comparses que l’émotion associée à l’ensemble des protagonistes et des situations mi réalistes-mi romanesques.
S’il est de bon ton -écrivions-nous- de faire la fine bouche sur ses biographies filmées, taxées d’académisme, défaut souvent confondu avec le classicisme qui n‘en est pas un, elles ont à nos yeux- et souvent à tous ceux qui en sont friands - un goût de « temps retrouvé ». Chez l’auteur de À la Recherche, du temps perdu, le passé avec ses êtres chers au narrateur revient in extremis sous forme de pauvres fantômes errants. Ces personnages du temps passé, le cinéma par miracle réussit à les retrouver avec la grâce du moment présent. Ce sont des acteurs, direz-vous. Certes oui, mais pour le spectateur, pas plus que ceux d’une fiction récente. Et ils ne sont ni plus ni moins vivants, à nos yeux, que ceux d’un film historique. Et puis À la recherche... est un roman, non ?
Dans tous les cas rassurons-nous -ou bien l’inverse- Jean-Luc Godard arrive, dans les heures qui viennent, sous les traits de Louis Garrel et Rodin avec le visage de Vincent Lindon !
On aimerait annoncer la naissance de Frank Sinatra sous le regard de Martin Scorsese mais cela est une autre -et déjà longue- histoire.
DJANGO, film de Étienne Comar avec Reda Kateb, Cécile de France…., - sortie 24 avril 2017