à l’Atelier du Plateau

Fin de semaine à l’Atelier du Plateau où l’on joue UNDER THE RADAR dans le cadre de Jazz à la Villette.
Deux fois la même œuvre et la chance de la voir traiter comme un work in progress par le Grand Orchestre du Tricot à savoir : Guillaume AKNINE, guitares, Théo CECCALDI : violon, alto, mandoline, Valentin CECCALDI : violoncelle, guitare ; Quentin BIARDEAU, saxophones, Jean-Brice GODET, clarinettes, Gabriel LEMAIRE, saxophone, clarinette basse ; aux percussions : Adrien CHENNEBAULT et Florian SATCHE  ; au Farfisa super bravo : Roberto NEGRO ; le récitant-lecteur : Robin MERCIER ; à la vidéo : Jean-Pascal RETEL ; aux lumières : Guillaume COUSIN.

Vendredi 8 septembre, la pluie inarrêtable n’a pas arrêté le public.
Le Grand Orchestre du Tricot mue et mute : après l’épastrouillant et intergénérationnel Hommage à Lucienne Boyer, l’éclaboussant Atomik Spoutnik, voici ZEUS. Qui n’est pas un morceau d’opportunité, il se serait appelé Jupiter.... Hiératiques, concentrés, silencieux, on dirait une bande de méditants en pleine retraite intensive. Ils célèbrent la lenteur extrême ( ils sont sous anxyolytique ? ), le son sourd comme une lumière piégée dans un trou noir, on n’est pas loin d’une tentative de mise en transe du public ( et les musiciens aussi ). Le récitant récite pour lui, on s’étonne de la vidéo animalière, des éclairs, des jeux de lumières, quelques percées d’un instrument, retour au calme du début. C’est fini. Bon, qu’on se dit, une deuxième couche est nécessaire. Qu’est-ce qu’on n’a pas saisi : on attend trop quelque chose spécifique Tricot ? On veut un band qui swingue et qui riffe ? Avec des envolées free ? Et des soli d’anthologie ?

Samedi 9 septembre
Grosse grosse affluence, il en vient de partout. L’Atelier du Plateau ? THE place to be.
Les musiciens descendent des cintres, s’installent et hop, à peine le silence posé alentour, c’est parti. Mëme intro : un souffle ( pneuma ? ) de clarinette basse, une pincée de Farfisa qui sonne comme un harmonium, puis un soupçon de sax et le récitant-lecteur. Qui lit pour nous cette fois. La mort du chien. Du coup, le flyer n’est plus une pub trompeuse : « ZEUS questionne notre rapport au mystique. L’Orchestre du Tricot, à nu, nous engage dans une cérémonie sonique à la gloire d’un chien. » Ni Hildegarde de Bingen, ni Jano Du Bingo, non non, un chien : Hiroko. On ignore s’il fut le chien de Joshu.
La musique est passée de plate-intériorisée-limite je joue pour moi à volumineuse-en3D-nous jouons pour vous. D’un fil ténu à une corde à nœuds, d’un souffle continu et stable à un mouvement chaordique.
Et ça semble cette fois évident, mais oui c’est bien sûr, on est en plein Bardo Thödol. Une musique d’entre deux, plus du côté de ce rivage-ci et pas encore de l’autre côté. Valentin Ceccaldi chantera : « N’allons pas plus loin, le monde est justifié  ». Et le maelstrom qui suit laisse à penser qu’il en bave, le chien, à affronter ses monstres. Au dessus tout au fond, la vidéo présente une séquence de nos amis les bêtes dont toute niaiserie romantique est absente, une seule question vaut : qui mange qui ? Ah, ces réminiscences d’une vie animale : les animaux se taperaient aussi une séance d’ontogénèse lors du grand passage ?
Ni riffs enflammés ni phrases swingantes, une tension sonore qui tient le public dans le silence d’une écoute absolue. Aucun tonnerre de Zeus mais un éclair, celui de la Maison-Dieu seizième arcane du Tarot ? Il y a des emportements, des cris-le récitant appelle le chien-Toutou ? Toutou ? ( tout tout ? ). Ils reviennent à l’intro, la fin et/est la début, le dernier souffle et/est le premier. Quelques éclairs.
Et plus rien.
Le public est ravi et le fait entendre.

Dimanche 10 septembre
Fil et Furia
Leïla MARTIAL, voix et pédale d’effets et Valentin CECCALDI, violoncelle débutent leur prestation par une pièce de Gabriel FAURÉ. Quoi ? Des lieder, ils vont nous interpréter des lieder ? Et Leïla en chanteuse lyrique ? Ah, mais non, c’est une ruse, elle nous endort avec son joli texte plein d’amour avant de l’abandonner pour rejoindre ses démons et angelots, ses petites voix qui la colonisent. Fauré était-il un joyeux drille ? Aurait-il souri de cette variation martialesque exceptionnelle qui allie le sensible, l’émotionnant et le vivant ? Aucune afféterie, aucun effet, rien que du bio en circuit court, d’elle à nous, on en frémit.
Avec la pièce suivante, du Purcell pour de vrai ( let me freeze again ? ) puis revisité, penchée sur sa petite machine à fabriquer des effets. on dirait une sorcière en train de touiller son bouillon magique. Et elle et nous, on est loin de refroidir.
Ensuite, sur une musique de Valentin inspirée du triptyque Le Jardin des Délices, elle a choisi d’écrire un texte à propos de Éve donc de toutes les femmes. Là, elle s’envole vers un ailleurs qu’on ignore, on peut juste constater qu’au retour, il lui faut un temps certain pour retrouver la pesanteur et la gravité de notre monde. On est dans l’indicible.
Marlène ROSTAING prend la place du violoncelliste pour ce second duo. Que dire si ce n’est qu’on assiste à une performance incroyable. Ni danse ni sketch ni clownerie ni stand up ni dinguerie mais tout à la fois.
Deux objets ( transitionnels forcément ) lieront les précédentes aventures de Éve à ce moment : une banane (mangée en live avec moult commentaires) et une pomme chacune. Impossible d’imaginer qu’elles ont répété, préparé des effets, choisi un angle particulier. Deux gamines effrontées, farceuses, libres, emportées dans le flow et flottant au-dessus dans une géniale et gigantesque impro, une tranche de vie goûtue, dodue, velue, où rien ne manque. On est tellement sous le choc qu’aucun applaudissement ne salue la fin de leur duo et le retour de Valentin pour un dernier chant.
Standing ovation.

Est-il nécessaire de dire et redire que l’Atelier du Plateau est un lieu unique et primordial pour les créateurs et leurs créations sans oublier le public qui prend le risque d’y accueillir ce qui advient ?

Atelier du Plateau
Impasse du Plateau
75019 PARIS