Regard insolite sur le jazz dans la cité phocéenne.

Christian Ducasse nous invite à découvrir ses "Mystères de Marseille" (clin d’œil à Zola !). Une suite d’échos en images sur presque un mois de jazz et de rencontres qui pourra aussi servir de guide pour qui souhaiterait s’immerger dans cette ville insaisissable...

Marseille se plaît à cultiver ses paradoxes. Au ralenti dans les beaux jours puis flamboyant quand le vent contrarie les sorties, que l’hiver pointe et éteint les rêves de baignades, quand ses habitants mesurent la pauvreté des transports en commun si précieux pour relier un vaste territoire. Novembre est ainsi devenu, sans crier gare, le grand mois du jazz.

Jeudi 2 novembre : la rue Sainte s’anime chaque soir. L’UPercut y maintient un niveau de propositions fort variées. Au sous-sol, Yuval Amihai guitariste stylé y brille en trio dans un répertoire à la fois classique et exigeant : audience embarquée dans ce club dépourvu de code.
> Yuval Amihai : guitare / Damien Varaillon : contrebasse / Gautier Garrigue : batterie

Samedi 4 novembre : une session héroïque résonne au studio Hyperion (Cinq avenues) sur des propositions escarpées du grand Jacques Ménichetti. Jean-Marc Montera (Fender Stratocaster) personnage clef des musiques aventureuses relève le défi même s’il n’est pas aisé de pénétrer les univers complexes d’un Ménichetti (guitare MSG de sa création) toujours sur la brèche entre aventures musicales ou cinématographiques (son prochain opus « Quick Parade » est attendu pour 2018). Marc Desplans (batterie) garde et propulse maints tempos pour l’occasion. Affaire à suivre …

Mardi 7 novembre : Léo Mérie, saxophoniste émérite me propose une escapade à Salon de Provence. Les festivités de « Jazz sur la Ville » viennent de débuter. Tout au long du mois il y aura promesses de belles opportunités à Marseille et alentour entre Avignon et Hyères dans le Var.
Au « salon de musique » de l’école IMFP, on découvre avec l’ami Léo un talent qu’il faudra suivre. La jeune chanteuse Maud Revol habite des mélodies brésiliennes dotée d’une rare autorité, secondé par Timo Jolivet (guitare) au jeu inspiré. Plat de résistance : le trio du pianiste Sébastien Germain expose plan large sa grande musicalité (Lilian Bencini contrebasse & Fred Pasqua batterie). Ce salon accueillant mérite d’être fréquenté.

Vendredi 10 novembre : Encore une proposition inédite de la Mesón (rue Consolat), un des lieux fondateurs de « Jazz sur la Ville ». À l’affiche : le phénoménal Vinx que l’on déguste ici dans une proximité à la limite de l’indécence. Le chanteur-percussionniste convie Lee Payne, danseur de claquette, dans une conversation passionnée. Un mystère pèse sur les secrets des programmateurs, conduisant de si grands artistes à se produire dans ce local aux atours familiaux ? La Mesón : comme mentionné dans son intitulé !
Pour mémoire Vinx s’est installé en Occitanie et est désormais à portée de main de promoteurs inspirés.

Samedi 11 novembre : À l’écart des chemins balisés existe un Marseille underground foisonnant. Nous voici dans la rue d’Aubagne au local de « Asile 404 » pour une session de musique improvisée.
Vincent Lajü excelle sur bien des terrains musicaux et cultive ceux escarpés qu’affectionnent son invitée et consœur la violoncelliste Soizic Lebrat. Advient ainsi l’émerveillement de la musique de l’instant quand les protagonistes maîtrisent des conventions non écrites sous l’intitulé collectif « Heard of Bears ».
> + François Wong : sax baryton & Ed Williams : guitare

Dimanche 12 novembre : le Cri du Port (Saint-Lazare à deux pas de la Porte d’Aix), association active sans relâche depuis 1981 puis cheville œuvrière (merci Lubat) de « Jazz sur la Ville » présente les sœurs Jensen (trompette & saxophone) en quintet de feu. Le groupe attaque dans une telle densité que l’on craint la chute de tension… qui n’aura pas lieu. Puissance des mélodies, jeu aux vives couleurs, Ben Monder que tout le monde scrute impressionne, ce sera un concert mémorable dans le haut de l’étagère. Le public ne se laisse pas abuser à Marseille mais sait rendre grâce aux beautés incandescentes.
> Ingrid Jensen : trompette & bugle / Christine Jensen : saxophones alto et soprano / Ben Monder  : guitare / Fraser Hollins : contrebasse / Colin Stranahan : batterie.

Lundi 13 novembre : Cité de la Musique (porte d’Aix). Cette salle porte si bien son nom, acoustique de merveille. Les trois garnements de Un Poco Loco resteront assez sages autour du répertoire culte de « West Side Story » déjoué dans la virtuosité, le texte et sans l’ombre d’une partition. Singularité de la soirée : aucune improvisation pendant tout le set !
> Fidel Fourneyron : trombone / Sébastien Beliah : contrebasse / Geoffroy Gesser : clarinette, sax ténor.

Mercredi 14 novembre : Cours Belsunce, à deux pas de la Canebière, siège le plus bel établissement public de la ville dédié à l’art, la connaissance, l’histoire … jadis music-hall (Fernandel, Yves Montand, Bud Powell, Thelonious Monk, …) l’Alcazar navigue sous la bannière Bibliothèque à vocation régionale (BMVR). Ses responsables inspirés présentent un hommage à Dizzy Gillespie (après celui rendu à Thelonious Monk le 8 novembre). En pilote magnifique, Christophe Leloil dévoile les univers du centenaire Gillespie d’où les rythmes multiples rejaillissent cet après-midi par la grâce de Cedrick Bec & Famoudou Don Moye figure providentielle d’une riche histoire (en cours).

Jeudi 16 novembre : Nouveau lieu voué à la photographie, le Bistrographe (boulevard de la Corderie) s’ouvre à la musique vivante au prétexte (il en faut souvent au moins un) du Beaujolais nouveau. Les musiciens s’en donnent à cœur joie et les assiettes sont au niveau de l’hospitalité de Jacques le maître des lieux, homme de qualité tout terrain entre animation et cuisine.
Parmi les joyeux improvisateurs : Stephan Scholler (piano), Paul Adorno (batterie), «  Kem Kem » (sax), Jean-Jacques « Wes » (guitare), Timo Jolivet (contrebasse)…
Le Bistrographe présentait le travail de Yves Jeanmougin, reporter photographe émérite qui avait participé cet été 2017 à l’exposition "Miles & Nous" à la BMVR Alcazar.

Vendredi 17 novembre : Rencontre avec Yves-André Delubac (Samatan / Endoume) au coucher du soleil.
Ce n’est plus un secret, chaque jeudi vers 19 h au Café de la Banque (quartier de la Préfecture) se réunissent des personnages aux palmarès édifiants. Jean Pelle (connu pour son chef d’œuvre le bar le Pelle Mêle), Jacques Ponzio (écrivain & musicien) possèdent des pans précieux de l’histoire locale, des secrets parfois inavouables. Ils ont laissé de précieuses traces écrites. Yves-André Delubac, leur ami, a récemment publié trois romans comme autant de récits en échos de ses riches connivences dans le monde du swing. Pour les plus distraits, Yves-André restera un mystère. Son érudition peut blesser des érudits certifiés, l’écouter demande patience et attention soutenue, le lire relève de la récompense des curieux. Grand trésor encore caché.
Chez l’Harmattan (collection Lettres du Pacifique) : « Tahiti Love Song », « Miss », « Toi, l’Île Nue » de Yves-André Delubac

Samedi 18 novembre : Les musiciens de rue du centre de Marseille offrent toute une panoplie de styles. Au coin d’une place de Notre-Dame du Mont, à deux pas du Cours Julien, un duo de guitaristes célèbre l’universalité de Bob Marley
sur un mode blues & soul. Bienvenu !

Samedi 18 novembre : Difficile de ne pas croiser la figure enjouée d’Henri Fiore. Ce passionné apparaît aux quatre coins de la Cité où vibre le jazz tonique. Hier au Cri du Port, avant hier à l’Alcazar… ce soir à l’Alhambra… et ce matin devant le club associatif Le Jam (rue des Trois Rois) qu’il anime avec une énergie décoiffante. Le Jam est devenu en quelques années un endroit qu’il serait indécent d’ignorer. À suivre …

Samedi 18 novembre : Bien noter pour se rendre dans le quartier excentré de Saint-Henri que le dernier bus en direction du Nord quitte l’ultime station de métro à 19h40… Marseille dans toute la singularité de ses transports en commun brouillés avec les noctambules. Intense soirée « Coltrane » au cinéma l’Alhambra toujours pris d’assaut. On y aperçoit l’inévitable Henri Fiore. En ouverture le duo Francesco Bearzatti - Oscar Marchioni donne une chaleureuse re-lecture du génie américain incluant quelques couleurs proches de Nino Rotta. Le film « Chasing Trane » déniché à grand peine par le Cri du Port et truffé de documents rares bouleversera la salle. Sylvain Ghio (batteur émérite basé à Toulon) accompagné de son complice varois Christophe Dal Sasso (arrangeur grand style) décide de soir même de modifier son set de batterie après les visions hallucinatoires d’Elvin Jones !

Samedi 18 novembre : Sylvain Ghio ramène quelques "excursionnistes" de Saint-Henri vers le centre animé de notre grande ville et note que ce "Jazz Burger" à La Plaine (place Jean Jaurès) est attirant à deux pas du club Le Jam où Henri Fiore s’affaire nuitamment derrière le bar. Sacré Henri !

Dimanche 19 novembre : Rendez-vous de mélomanes au Cri du Port (Saint Lazare à deux pas de la porte d’Aix) autour de l’art raffiné d’Eric Longsworth (violoncelle). Les évocations habitées de la musique protestante dans son versant populaire attestent du lyrisme d’un violoncelliste aussi inspiré que bien entouré : Julie Campiche (harpe) Cedric Chatelain (hautbois) & Habib Meftah Boushehri (percussions & voix). Public d’excellence d’un dimanche après-midi et lieux accueillant où trône la photographie du maestro Philippe Levy-Stab "Great Day in Paris".

Dimanche 19 novembre : Aimanté par la trace féconde d’Henri Fiore, retour attentif au Jam (proche du Cours Julien) pour la session dominicale. Au centre de vifs débats, John Massa préside, son sax alto envoyant des fusées syncopées. À ces côtés quelques pointures dont l’invité de la semaine le saxophoniste japonais Hirokazu Ishida de passage en France, secondé de la guitare de Bruno Bellemin. Rytmique locale et torride. John Massa forme avec Henri Fiore la paire gagnante du club associatif Le Jam. John & Henri possèdent une foi impressionnante.

Lundi 20 novembre  : Chaque lundi, fin d’après-midi et début de soirée, se tient à la Friche (de la Belle de Mai) un marché paysan (très bio), prétexte à des rendez-vous et réunions d’ami(e)s. Brigitte Artin-Balian est le guide précieux de cet espace incroyable où l’ébullition peut échapper aux non-initiés. Ainsi de l’association Ami-Centre connue pour son festival remarqué de juillet : le Mimi. Elle héberge en toute saison des chercheurs de sons et de mots qui à l’occasion (il convient vraiment d’être au parfum) présentent le fruit de leurs travaux. Ceux du trio FUR cultivent la veine d’un rap occitan dans la fécondité du Hip Hop marseillais toujours pertinent.

Mardi 21 novembre : Le trio du pianiste Yaron Herman est en ville. Nulle affiche ou flyer mais le théâtre du Gymnase (Canebière) fait le plein, il le fait depuis des lustres. Des moments mémorables jadis : Monk, Jimmy Giuffre, Sun Ra… un Bourgeois Gentilhomme mis en scène par Marcel Maréchal incluant Henri Florens, Jacques Ménichetti et Vincent Séno…
Fortes résonances, Yaron a-t-il était informé ? Un set très libre, dénué de toute concession et la foule du jour qui ne ménagera pas des rappels sans fin.
> Yaron Herman : piano & électronique / Ziv Ravitz : batterie / Bastien Burger : basse

Jeudi 23 novembre : Dans le cadre recueilli de la galerie Ars Nova (rue Saint-Jacques), Jacques Ponzio donne à entendre son Africa Express dont le dernier disque « Experience » offre un répertoire conçu pour les grands voyageurs. Ce quintet
mérite tous les égards.
> Africa Express : Alain Venditti : saxes / Patrick Gavard-Bondet : guitare / Fred Accart : basse / Nicolas Aureille : batterie & Jacques Ponzio : piano, balafon & compositions (disque édité par Acm jazz label)

Vendredi 24 novembre : Initiative audacieuse que celle de l’association Ose l’Art (assistée par celle du festival des 5 Continents) : réunir de multiples énergies pour que vivent les "Impatients du Jazz". Traditionnellement on distribue des calmants dans ces établissements, mais au Centre hospitalier Valvert (Les Caillols) on a donné carte blanche au turbulent Fred Pichot (version swing de l’électrochoc) faisant flèche de tout bois avec des familiers de l’établissement (soignants, patients, amis musiciens). Résultat : toute une série de tableaux hauts en couleur rendus possibles par la bienveillance de beaux acteurs locaux dont Cyril Benhamou et Christophe Leloil omniprésents dans leur générosité.
Cerise sur le gâteau, nos impatients convient en final Glenn Ferris (trombone), Eric Legnini (piano) et Jérôme Regard (contrebasse).

Vendredi 24 novembre : Un des derniers bars possibles du centre ville (à deux pas de Noailles), le Dieudé (angle des rues Dieudé et La Palud) accueille selon les désirs des uns et des autres des jams variées. Vibrations bon esprit garanties pour les visiteurs ou habitués. Ce soir sans prévenir le grand Henri Florens éblouit son audience en compagnie de musiciens aussi amateurs qu’inspirés. Un "Round Midnight" fera le bonheur de ce début de nuit.

Samedi 25 novembre. Le Roll studio, créé par Claude Norbert, dans une rue peu fréquentée du Panier, étincelle chaque samedi vers 18 heures, au fil des semaines le miracle se renouvelle dans une grand économie de moyen. Pour cette soirée d’adieu au riche mois de novembre dans Marseille, Henri Florens pilote un piano de haut de gamme dans la dévotion de Monique Zuppardi chanteuse de forte autorité. Au Roll les connivences sont la règle pour les musiciens et les très nombreux spectateurs de la cave accueillante.
À écouter le captivant disque solo d’Henri Florens édité par la Mesón "Missing Chass".