« Reverso Suite Ravel » le 1er Février au Triton

Nous le savons depuis bien longtemps, les grands compositeurs de musique classique ont souvent influencé les musiciens de jazz. Ravel n’échappe pas à ce constat. Des musiciens légendaires comme Miles Davis ou Herbie Hancock étaient de ceux qui avaient reconnu en lui un grand intérêt pour le jazz. Il fut d’ailleurs l’un des premiers de sa génération à ne pas négliger les développements harmoniques du jazz et à s’en inspirer. Son œuvre, modeste en nombre d’opus (quatre-vingt-six œuvres originales, vingt-cinq œuvres orchestrées ou transcrites), est le fruit d’un héritage complexe s’étendant de Couperin et Rameau jusqu’aux couleurs et rythmes du jazz et d’influences multiples dont celle récurrente de l’Espagne. Au-delà de son univers qui a inspiré bon nombre de compositeurs de l’histoire du jazz (sur les plans harmoniques, rythmiques et purement formels), nous retiendront ces dernières années les travaux des pianistes Jean-Christophe Cholet (dans le programme « French Touch » avec son ensemble Diagonal) et Andy Emler (disque solo « My Own Ravel ») qui ont su s’inspirer de ce grand compositeur, reconnu comme le principal représentant du courant des impressionnistes du début du 20ème siècle.

Aujourd’hui, par un savant jeu de miroirs inversé, le pianiste allemand Frank Woeste (ex compagnon de route de Médéric Collignon, pianiste régulier d’Ibrahim Maalouf, collaborateur occasionnel de Dave Douglas et You Sun Nah) et le tromboniste américain Ryan Keberle (entendu aux côtés de Maria Schneider, Wynton Marsalis, David Bowie…) lui rendent un hommage respectueux avec le quartet « Reverso Suite Ravel » (album paru en 2017 sur le label Greenleaf Music). Il est ici question de se réapproprier « Le Tombeau de Couperin » (forme spécifique en six mouvements, composée entre 1914 et 1917 sur le modèle des suites de danses de l’époque baroque), en développant le propos de base et y ajoutant une forme de questionnement. Une façon très personnelle de faire du neuf avec du vieux en réinventant des jeux de style, des synergies de sons, des histoires musicales labyrinthiques, à la fois denses et légères, permises par des envolées lyriques très émouvantes et jeux de pizzicato légèrement électrifiés du violoncelliste Vincent Courtois, qui trouve très bien sa place en écho au trombone, que l’on peut considérer comme un « instrument du milieu », capable à la fois de s’échapper en altitude pour tenir des chorus voyageurs et soutenir les lignes mélodiques du violoncelliste.

Cette musique ne serait pas autant mise en valeur sans la présence du jeune batteur Gauthier Garrigue (repéré dans le Sand quintet d’Henri Texier), pour la première fois aux côtés de ses compères, qui s’adapte naturellement à l’univers réinventé de Ravel, de part son jeu riche, fin, subtil, en ne donnant aucune impression de redites de formes rythmiques au cours des thèmes. Il se fond dans la masse orchestrale de cet ensemble à l’instrumentation singulière (pas de saxophone ni de contrebasse) et exclue toute forme de swing pour soutenir le piano, le trombone et le violoncelle, tous capables d’occuper les fonctions de soliste et sideman de façon toujours très personnelle et respectueuse de l’autre.

Avec « Reverso Suite Ravel », Frank Woest et Ryan Keberle nous offrent un projet authentique, pleinement réussi, qui devrait lever les doutes des auditeurs aux points de vue parfois trop rapides sur les artistes de jazz qui rendent hommage aux grands noms du classique, en reprochant quelques fois aux musiciens qui s’en inspirent une certaine forme de facilité.


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