pour la sortie de Cullinan, leur dernier CD

Jeudi 2 mai 2019

Sylvain Cathala ne se prive de rien, il regroupe six gros calibres, du .45 ACP avec munitions chemisées, outre lui-même au sax ténor et compositions, Guillaume Orti sax alto, Bo Van Der Werf sax baryton, Gilles Coronado guitare et bidouilles électro, Benjamin Moussay claviers, Sarah Murcia contrebasse et Christophe Lavergne batterie et leur propose de jouer ses compositions. À bien y regarder, on a devant les yeux un trio de souffleurs, un trio piano-basse-batterie et la guitare qui passerelle entre les deux. Sans oublier les possibles vingt-trois duos potentiels.

Ils ouvrent le bal avec un joli thème lent qui met en valeur la contrebasse devisant en-dessous des souffleurs et le Fender qui clochette. Ça sonne comme un big-band de chambre, puissant, homogène, intense. Le baryton puis le ténor racontent leur histoire, ils prennent leur temps, rien ne les presse, quand ils mollissent, le band les pousse au derrière, fort. Lavergne, as usual, se montre un écouteur-relanceur brillant.
La seconde pièce, introduite par un solo de batterie époustouflant est mémorable. Époustouflant solo de batterie non par la vélocité vishnuïque de Lavergne mais par sa construction usant du silence et des résonances. Comme si chaque coup, chaque frottement ne trouvaient leur fin que dans le retour attendu de l’écho. Le thème quasiment à l’unisson, puis le duo guitare-contrebasse puis le Fender : c’est superbe.
On devine comme une intention de mettre un instrument en valeur dans chaque morceau. Coronado introduit le suivant, une musique qui respire au large entre détente et tension. Rythmiquement, c’est piégeux et casse-gueule ; compter les temps n’est pas inutile, regarder le public déconseillé sauf à se mettre à l’envers. Orti envoie un monstrueux solo, entre rien et tout, entre rasoir d’Ockam et fulgurances véloces qui se termine dans un souffle, sans son, un souffle oui, pffff, ffff, fff, ff, f.. Le public écoute de tous ces pores. Il y a du Tantric College dans tout ça.
Sortent Lavergne et Murcia, restent les acousticiens et les électroniciens pour une musique mystérieuse, pas du tout usuelle, inouïe même. La guitare et les claviers mêlent des sons venus de machines, les souffleurs alternent tenues brèves, longues, puissantes, discrètes ; on baigne dans une musique intrigante nourrie d’intrigues. Elle n’est pas répétitive au sens musical du terme, elle l’est dans la durée par sa forme globale. C’est vachement beau, le public est en suspension.
Faces of gravity clôt le premier set, un genre de quintessence de tout ce qu’ils viennent de donner à entendre. Magnifiquement écrite, cette pièce sonne terrible, particulièrement bousculée rythmiquement (on pense à Brilliant corners et ses ruptures rapide-lent ), il s’agit bien de gros calibres, pas des Lanceurs de Balle de Destruction, des utopistes constructifs dans l’instant.
Donc un second set-qui se souvient de l’époque où les musiciens enchaînaient trois sets avant de conclure par un boeuf avec les zicos de la salle ?, un second set donc, à l’ancienne. Bloody renverse nos habitudes : groooosse intro-solo de contrebasse, solo aux claviers puis solo de baryton puis trio Lavergne-Moussay-Murcia ( ce trio mériterait de prendre une forme officielle et de venir nous raconter ses histoires tant la connivence est flagrante, l’immixtion de l’un dans l’autre profonde, la solidarité exemplaire ) puis le sextet pour clore par le thème. Renversement ravissant ( oui, qui ravit ), comme lire un livre en partant du dénouement, de la chute.
Autant dire que la suite, c’est pour le fun de tous, musiciens, public et techniciens de l’ombre. Hallucinantes structures rythmiques, survitaminé solo de Moussay pas loin de l’électrojazz agité des seventies-eighties, Orti à nouveau, Cathala, Bo, bref : chacun-chacune à fond. Que dire si ce n’est que ce sextet envoie du très-lourd-très-beau, ne cesse de prendre des risques et en plus, ils se marrent !!!

Grand plaisir, comme il est dit dans le Traité de sexualité chinoise à la position 32.


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Le Triton
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