Soit une semaine de fanfares, d‘animations de rue, de résidences, de chanteuses, de Dutronc , de créations, et donc de jazz comme il se doit pour cette 38ème édition
Tout avait donc commencé le samedi 24 et nous avons pris nos marques à mi-temps, au risque d’oublis, de chevauchements d’horaires et d’arbitraire aussi.
Mercredi 29 mai, salle M. Hélie,
Moutin Factory quintet
Les deux frères Moutin respectivement, Louis à la batterie et François à la contrebasse, donnent le la, non seulement par leurs compositions mais aussi par l’assise rythmique qu’ils installent d’emblée, plutôt rock mais efficace à partir de laquelle les trois musiciens qui composent le quintette vont pouvoir broder. Broder, le mot n’est pas tout à fait juste pour un Christophe Monniot qui joue plutôt les Pénélope d’Ulysse en tricotant, détricotant à son gré les thèmes avec une large place faite à sa fantaisie du moment. Prolixe, le saxophoniste laisse peu de place, en revanche, au discret Manu Codja et au pianiste Paul Lay qui ont pourtant, tous les deux, quelque chose à dire mais peu d’espace pour l’exprimer. C’est un peu dommage. En un sens Moutin Factory pourrait être un trio.
Joshua Redman & trio Michel Reis / Marc Demuth / Paul Wiltgen
Seconde partie de la soirée dans la continuité, un trio luxembourgeois constitué (comme le duo des frères jumeaux Moutin) et un saxophoniste américain renommé. Dans la continuité du moins en apparence car le trio luxembourgeois préexiste par lui-même avec son répertoire et son univers personnel qui n’est pas sans rappeler cependant le trio suédois EST dans sa référence à la fois pop et jazz. Sa cohérence, son énergie séduisent. Joshua Redman s’insert donc dans un espace déjà largement balisé. Pas question ici de sortir de sentiers du trio sinon pour y ajouter sa propre ligne mélodique, ce qu’il parvient très bien à faire : improviser dans un contexte contraint .Le trio tisse sa toile, le saxophoniste y ajoute son motif. Cela donne un tour plus écrit à l’ensemble. N’était le son de Redman, on se serait parfois presque cru dans la musique du saxophoniste norvégien Jan Garbarek. Succès garanti.
PS Pitié avec les jeux de lumière intempestifs braqués n’importe où (et surtout sur les spectateurs) à l’instar de projecteurs de batterie aérienne. Certes une dotation du fonds européen bénéficie à cette régie- apprend-on dans un article de Paris Match du 16-22 mai 2019 consacré à la ville de Coutances- mais de grâce, pitié pour nos pauvres yeux !
Jeudi 30 mai, salle M. Hélie
Sophie Alour Exils (création)
La saxophoniste l’avoue : les musiciens ont souvent dans leur tiroir des projets qui sommeillent, celui d’une association jazz/ musique orientale est l’un de ceux là. Il suffit d’une demande de résidence ou de création pour qu’il prenne vie. L’association avec l’oud de Mohamed Abozékry auquel est venu se joindre pour quelques titres le joueur de derbouka et de bendir Wassim Halal en est un exemple parmi d’autres et de ce fait infléchit le cours du quartette dans sa forme habituelle (Donald Kontomanou batteur, Damien Argenteri pianiste, Philippe Aerts contrebassiste) et cela même si les compositions sont originales (Sophie Alour). Alors trois possibilités s’offrent aux protagonistes : l’une à la manière des peintres orientalistes qui consiste à reprendre des motifs orientaux , l’autre en s’en imprégnant, la troisième enfin en les représentant tels quels. Le sextette alterne ces trois manières, l’une avec une succession de chorus jazz et de soli de l’oud, la seconde sur le mode fusionnel du genre Olé de Coltrane ; la dernière enfin reconnaissant que les deux mondes ne sont pas totalement solubles fait cohabiter les instruments à tour de rôle : silence piano lorsque parle l’oud…Pari réussi et public conquis dans tous les cas.
Cécile McLorin Salvant The Window
Joy était le dernier titre de Sophie Alour, Cécile McLorin Salvant à l’élégance de lui adresser le plaisir pris à son écoute. Venue dans son plus simple appareil, sa voix et son pianiste Sullivan Fortner, elle va se livrer en toute intimité.
Le parti pris est risqué dans une salle (8OO places, plusieurs niveaux) que rien ne dispose à un tel ressenti. Elle prend le temps d’installer cette complicité avec le spectateur tandis que le pianiste bat le rappel. Voix tout en dentelles, pianiste extraverti. Le duo non seulement fonctionne à merveille mais ce partage des rôles est l’un des clefs de sa réussite : faire vivre les compositions de Cécile Mc Lorin Salvan avec un piano influencé par le new orleans et le stride. Une précédente prestation en trio au théâtre de Caen (2018) nous avait laissé quelques regrets tandis que son troisième album Dreams and Daggers faisait montre d’une inventivité et d’une subtilité peu communes dans les différentes reprises. Ici, dans ses propres compositions aussi bien que dans ses rares reprises, toutes ses qualités se révèlent sans fard.
Le duo s’impose sans conteste.
Vendredi 31 mai, Salle M. Hélie
SFJAZZ Collective
Collectif à la double mission sociale et musicale, SFJAZZ se caractérise par un répertoire spécialisé variable, et cette édition devait rendre hommage à Antoni Carlos Jobim après celui précédemment consacré à Miles Davis. C’est au saxophoniste portoricain et épris de musique latine David Sanchez que revenait d’emmener (diriger) cette formation émanant de San Francisco. Rien de folklorique ni de passéiste dans tout cela. Au contraire, une large part est faite à des compositions personnelles proposées par l’ensemble des musiciens de la formation tandis que les thèmes du compositeur honoré font systématiquement l’objet de réarrangements. Le résultat : une musique forcément originale qui est par là –même l’occasion d’apprécier les différents soli, aussi bien ceux du saxophoniste lui-même que du batteur Obed Calvaire ou du superbe vibraphoniste Warren Wollf…. Au même moment (ou presque), le saxophoniste Pierrick Pedron en quartette fait un tabac dans l’enceinte du Théâtre !
Samedi 1er juin, Salle M. Hélie,16h
1,2, 3 pianos
Inaugurée l’an passé ( ?), la formule un solo, un duo, un trio, bâtie autour du piano fait florès. Entamée par le pianiste espagnol Marco Mezquida, la série des trois concerts révèle un musicien généreux certes mais qui semble emporté par sa création. Entre jazz et classique le déluge sonore et rythmique déferle près d’une demie heure sur le spectateur, ébahi ou abasourdi, c’est selon. Pour mieux laisser place à une courte pièce tirée d’un air populaire que le jeune pianiste arrange avec beaucoup de grâce, de subtilité et d’humour. On préfère !
Place au Duo Kevin Hays (piano)-Grégoire Maret (harmonica)
Conservatoire de Genève, départ pour New-York et rencontres avec Path Metheny, Brad Mehldau…un enregistrement pour son propre compte avec la présence de Cassandra Wilson et de son aîné et confrère Toot Thielmans : à la mort de ce dernier Grégoire Maret semble son successeur désigné. Rien d’immérité après avoir écouté ses compositions et ses improvisations superbes. L’harmonica reste un instrument rare dans le jazz et Grégoire Maret est un interprète précieux. Les retrouvailles avec le pianiste américain Kevin Hays a supposé que chacun reprenne ses marques avant de retrouver une complicité. Harmonica /piano : la formule est peu commune. Elle est l’occasion, pour nous, de découvrir ses deux solistes émérites dans leur étrange duo.
Et de trois avec Yaron Herman trio
Le jazz retrouve ses rivages avec cette forme académique. Rien de moins académique pourtant que cet attelage autour du pianiste Yaron Herman. L’art du trio réside dans l’obligation d’inventer dans une forme contraignante suggère le pianiste israélien formé à New-York et résidant à Paris. Le plaisir de l’invention sans épanchements excessifs,, c’est, en quel que sorte,le parti-pris de la mélodie et des échappées improvisatrices compte tenu du trio. En effet, l’univers personnel qui en résulte doit aussi beaucoup aux précieux partenaires que sont Ziv Ravitz (batterie) et Sam Minale (contrebasse). Sens de la mélodie, (l’une des marques de fabrique du pianiste), swing, groove sont le tiercè gagnant du Yaron Herman trio que certains ont regretté d’avoir trop peu entendu faute de temps de jeu, comme on dit au football (la formule « Un, deux ,trois piano"oblige !)
Salle M.Hélie, 21h15
Ron Carter Foursight
Finir par le jazz et par celui qui incarne une large part de son histoire vaut comme bouquet final. Ron Carter droit dans chaussures de ville, élancé comme sa contrebasse ou comme une flèche de là cathédrale de Coutances n’a pas failli à sa mission. Standards, hommage à son ami Miles Davis, chorus du contrebassiste pour une Suite pour violoncelle seul de JS.Bach ; le tout entrecoupé d’improvisations de ses comparses Jimmy Greene au saxophone et de sa pianiste canadienne, Renee Rosnes (qui a d’ailleurs elle –même accompagné le SFJAZZ Collective pendant plusieurs années pour des hommages à différents musiciens) , sans oublier le batteur Payton Crossley.
Cette 38ème édition du festival Jazz Sous Les Pommiers s’achevait donc dans la ferveur des compositions interprétées par Ron Carter et ses musiciens et la moiteur de l’arrivée de l’été sur la côte normande.
Bonne nouvelle : l’éclairage a fini par s’assagir : une ambiance lumière par morceau !
Bonne nouvelle (bis) : la direction annonce 41000 entrées !
Bonne nouvelle (enfin) : la parution de l’ouvrage photographique Dreaming drums (éditions Parenthèses) consacré aux batteurs de jazz par notre ami Christian Ducasse en compagnie d’un texte de Franck Medioni. Christian Ducasse a eu l’occasion de le présenter durant le festival en compagnie d’Anne Pacéo (en résidence à Coutances) comme il se doit.
Photos:Sébastien Toulorge