à mains nues, enfin, presque...

La scène nue, austère, monacale : la contrebasse allongée sur le flanc, un pupitre vide de toute partition, on est dans la décroissance rendue au point zéro : pas de pédales d’effets donc pas de câbles, par de conception assistée par ordinateur, pas de papier donc pas de sanglots d’arbres alentour, rien de rien de rien de rien.
Le trio AMARCO reprend vie avec Claude Tchamitchian contrebasse, Guillaume Roy alto et Régis Huby au violon, en lieu et place de Vincent Courtois au violoncelle. Autant dire trois pointures XXXL de la musique de l’instant venue de nulle part servie toute chaude à peine née pour un usage live unique, éphémère et pourtant mémorable. Une seule chance d’en jouir et de s’en réjouir : c’est maintenant.
Ils ouvrent la séance par des sons longs, tirés à l’archet, avec ce qui pourrait être la contrainte de ce début : ne pas utiliser d’autres intervalles que la seconde. Autant dire qu’ils flirtent avec le style des Voix Bulgares. C’est intense, soutenu, ils dualisent : contrebasse-alto, violon-alto avec une continuité dans le propos de l’un à l’autre. Ils sont trois, seulement trois, on se croirait devant un orchestre à cordes majestueux. Bien sûr, lorsqu’ils ont usé-essoré-laminé une idée, il y a comme une transition, un zone tampon où chacun la ramène, moi je jouerai bien comme ça, non je préfère ceci, ah mais écoutez... Et, va comprendre comment le consensus se fabrique, ils se rallient à l’une des propositions qu’on pourrait appeler un attracteur étrange, et roule ma poule, ils déboulent. Archet tiré, pizzicati, accords à quatre cordes, frotti frotta, ils débordent le cadre ordinaire de l’usage de leurs instruments. On ne le croirait pas mais ce premier « morceau » dure une demi-heure. Un demi-heure sans mollir, sans faire dans la facilité en recyclant un truc déjà entendu, une intense demi-heure de plénitude.
La seconde pièce a tout l’air d’un grand débat, exemplaire celui-là. Ils causent, débattent, se contredisent, se complémentarisent, s’opposent ( tu tires l’archet ? Je frappe mes cordes ; tu joues mélodique ? Je joue out, etc ), on dirait un cercle indien avec bâton de parole. Ça nous vaut des moments somptueux où la musique chante au-delà de la scène, de la salle, partout. Du forte ils passent au diminuendo, ils frottent leurs cordes, réminiscence du début de ce morceau ( soufflerie 2 ). On peut se demander s’ils ont omis l’une ou l’autre des possibilités de leurs instruments et du format trio.
On les rappelle, ils nous achèvent avec une pièce courte émolientissime pianissimo, toute en douceur, une coulée de chocolat noir sur une passe-crassane gorgée de sucre.

Jeudi 13 juin 2019


Le Triton
11bis, rue du Coq Français - 93260 Les Lilas


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