Il s’en passe, des choses, juste en dessous du radar, dans les salles confidentielles.
Chut...
Dimanche 8 septembre 2019
Un dimanche, quand le soleil se teinte d’automne et qu’après nous avoir gavés de sa fournaise tout l’été, il se laisse ramollir par l’air frais, « j’aurais dû prendre une petite laine » qu’on se dit, ici ou là, dans la file d’attente devant le Studio de l’Ermitage. Génération Z, génération Y et et papissimes font un mélange savoureux dans le public nombreux que Jazz à la Villette, étiré jusqu’ici sous la rubrique Under the radar, a attiré pour écouter un premier duo, Didier Ithurssary et Christophe Monniot, l’un à l’accordéon l’autre aux sax alto et sopranino. Amateurs de folies poétiques, bienvenue !!
L’intro a cappella par Monniot nous emmène on ne sait où mais elle est si improbable que personne ne peut imaginer le thème qui la suscite. Il inspire, il expire, il respire et il est surtout inspiré. Totalement. Et puis, elles arrivent, peu à peu, les petites notes qui font deviner, reconnaître ah mais oui bien sûr, c’est ça : Parlez-moi d’amour, cette scie romantique chantée par Lucienne Boyer il y a 95 ans et revisitée de manière sublime par ces deux loulous.
On n’assiste pas à un concert où le premier morceau sert à s’échauffer, à se mettre les doigts à l’aise et à prendre ses marques, non non, on est jeté directement du haut de la falaise, dans l’ignorance absolue de la suite par la grâce de leur prise de risque maximale. Pourront-ils tenir à cette altitude ?
Biguine pour Sushi ( hommage à Atsuchi Sakaï ) s’ouvre sur une série d’accords tirés poussés par Ithurssary et son soufflet pulmonaire, poussés jusqu’au thème et Monniot, chaud bouillant, resté perché, ses petits doigts connaissent le chemin par coeur ( l’amour toujours... ) ; là, on ne parle plus de virtuosité, on parle de génie. Ithurssary ne lâche rien, lui donne la réplique sans faillir puis retour au thème et au calme. Parfois, il semble qu’une pause serait nécessaire, un bref entracte pour laisser les émotions retrouver leur étiage automnal, le coeur son pouls ordinaire et la tension sa détente.
Forza ( forçat ? ) d’ Ithurssary a l’air de poser une question toute bête : peut-on s’affranchir de la gravité ? Sa musique sent bon la danse auvergnato-bretonne où le pied cogne le sol pour propulser le corps vers là-haut, tout là-haut, du côté de la demi-lune de ce soir. On imagine sans peine un fest-noz multi régional, autour d’un gigantesque rond-point, pourquoi pas.
On entendra aussi le cultissime Passion de Tony Murena dans une mouture totalement revisitée, expressive, sensuelle, déchirée, ahurissante. Ithurssary se fend d’un solo élégant, émotionnant, beau à pleurer. Et enfin un thème de MIR par ces hallucinés jouant hallucinant. Il règne entre ces deux musiciens une osmose joyeuse, tendre et sans limite qui nous ravit.
Avec le duo Hélène Labarrière-Sylvain Kassap, elle à la contrebasse, lui aux clarinettes basse et sib, changement de répertoire, d’ambiance, de style même si ce duo comme le précédent s’inscrit dans la ligne ( la ligue ? ) des improvisateurs impénitents. « Libertaires » aurait écrit un magazine cultureux.
Ils commencent par un savant dialogue où Kassap pose les questions et Labarrière lui répond. Enfin, lui répond, si elle veut bien. On s’écoute, on parle ensemble, on se trompe de sujet, on se rabiboche à l’unisson, on dialogue, on s’enflamme. C’est beaucoup plus intéressant que le grand débat national macroniais.
Dans une pièce en hommage à Ferdinand et Jean-Jacques Avenel, Kassap, 2 becs en bouche, Labarrière glissant une tringle vibrante entre ses cordes, entament un genre de confession intime. Quand il s’empare d’une espèce de flûtiau amélioré, il lui raconte sa life : d’où il est parti, pourquoi, et elle, elle valide son propos avant de se lâcher comme le feraient deux amis qui savent que l’autre ne les jugera pas. Sa bio à elle c’est du genre agitée, avec son lot de peines, de joies, des déconvenues aussi, tout le toutim mais ça va, je me plains pas. Quand il revient à la clarinette sib, c’est pour conclure : « ah ben dis donc, si j’avais su.. » pendant qu’elle ostinate grave, imperturbable, elle a tout dit, pourquoi en rajouter ?
Après Clairière, une pièce toute tendre, Asphyxie climatique, tempo vif avec un walk à la basse façon y’a plus de temps à perdre grouillons-nous, met Kassap à l’épreuve du manque d’air. Son solo nécessite impose oblige l’emploi de la respiration circulaire sauf à crever comme un poisson dans une mare gentiment arrosée de pesticides à létalité atténuée. Il y a comme une énergie de survie entre eux, écoute, entente, relance, regards soutenus. À la fin, il s’en sort le Kassap. Nous aussi, on respire.
Ils revisitent Jaurès de Brel, on imagine bien le Grand Jacques se marrant en écoutant cette iconoclasterie qui n’est pas sans rappeler la Chanson de Craonne qui fait partie du répertoire de Labarrière. Autant dire qu’on peut jouer aujourd’hui de belles choses improvisées sans oublier d’où on vient, sur les épaules de qui on se hisse et quels espoirs nous animent.
Merci vous deux.
Studio de l’Ermitage
Rue de l’Ermitage, 75020 paris
https://www.studio-ermitage.com