Inlassablement, et contre vents et marées en cette période incertaine pour le disque (“matériel”, solide, concret) – et je ne parle pas du reste – Leo Feigin nous a offert, entre avril 2019 et mars 2020, vingt CD, dont un double et un quadruple, d’une qualité rare pour la plupart, et même exceptionnelle. Mais n’est-ce pas l’habitude de ce catalogue, l’un des plus importants et créatifs européens (et pas seulement) depuis 40 ans !
Sans chercher à coller à l’actualité des nouveautés, qui souvent disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues, il est néanmoins temps de faire le point et de les passer en revue. Ils sont distribués régulièrement en France par Orkhêstra et donc facilement disponibles. Et parmi ces productions, qui nous font voyager de la Russie aux États-Unis, et de l’Italie du Sud à la Finlande, près de la moitié sont l’œuvre de musiciens suisses ! C’est par ce pays, de petite surface mais de grand rayonnement [1], que nous allons commencer notre voyage musical.

  Pleins feux sur la Suisse

On ne compte plus les travaux, et les disques qui en font écho, du pianiste, compositeur, créateur et metteur en scène musical irlando-suisse John Wolf Brennan. Depuis plus de quarante ans, il a bâti une œuvre considérable, tant dans le domaine orchestral qu’en solo, duo, trio, rencontres improvisées, groupe Momentum, trio Pilgrims... et le formidable quartette Pago Libre (parfois augmenté d’invités) documenté par près d’une dizaine de disques depuis 1997. C’est précisément un enregistrement de Pago Libre inédit réalisé en 2000, comprenant “treize bandes sonores pour un cinéma imaginaire” qui nous ramènent vers les débuts du groupe qui comprenait l’époustouflant soliste russe Arkady Shilkloper au cor, le violoniste allemand Tscho Theissing, qui ne lui cède en rien, et le contrebassiste italien Daniele Patumi. Éclectisme, trouvailles, formes musicales inattendues – chacun a mis la main à la pâte pour les compositions – mélodies entraînantes voire emballantes, plaisir de jouer... un feu d’artifice d’un bout à l’autre ! Trois plages enregistrées en public en 2004 alors que Georg Breinschmid a remplacé Patumi, complètent cette découverte enthousiasmante. “Cinémagique 2.0” (LR 863). OUI !

As de l’arrangement et maître de la mise en forme, John Wolf Brennan est également un soliste remarquablement inventif, se renouvelant constamment, auteur de thèmes toujours intéressants, variés et accrocheurs pour l’auditeur dont l’attention ne retombe jamais, grâce à un jeu volontaire, affirmé et un sens évident des contrastes. Notons que Brennan joue également du mélodica, de l’arcopiano, du pizzicatopiano et du piano préparé. Ce nouvel opus enregistré en 2009 (et qui mériterait un OUI), s’ajoute à une dizaine de précédents solos. « Nevergreens ». (LR 865).

Comme on l’entend dans le disque précédent, Brennan est un musicien ouvert et curieux qui va chercher son inspiration dans de multiples directions et cultures. Ainsi, au sein du trio Sooon (sans leader), il rencontre l’étonnante chanteuse suisse Sonja Morgenegg et le multi-percussioniste palestinien Tony Majdalani, membre du bien nommé trio Pilgrims. Ce disque entièrement chanté, qui nous fait voyager des Alpes au Moyen-Orient et à l’Asie centrale (et même ailleurs), pourrait (presque) être rangé dans le rayon world music – il est d’ailleurs annoncé “Alpine Worldmusic with Global Yodeling”. Il n’est pas produit par Leo Records mais par le label suisse Narrenschiff. « Youchz Now ». (NAR 2019137).

Le Trio Gasser 3, formé en 2009, se compose du saxo-ténor Jürg Gasser, du contrebassiste Peter K. Frey, et du batteur et bugliste Dieter Ulrich, trois pionniers de la free music improvisée à Zurich. Une musique pointilliste, qui évolue par petites touches, volontiers hésitante et retenue. Une promenade intergalactique en neuf étapes un peu monotone mais néanmoins vive et aérée. « Espresso Galattico » (LR 845).

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Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises de l’Ensemble 5, dirigé par le percussionniste Heinz Geisser, nous propose The Collective Mind en deux volumes, accompagné par ses complices réguliers, les excellents Fridolin Blumer (contrebasse), Reto Staub (piano), et Robert Morgenthaler (trombone). Soit une musique improvisée exigeante, très maîtrisée, jouée avec grande concentration, respiration, observation, retenue, sans cri ni paroxysme, mais dense et prenante. «  The Collective Mind  » (LR 858) et « The Collective Mind Vol.2 » (LR 864)..

Autre quartette, aussi improvisé que sa musique, qui réunit le Suisse Urs Leimgruber (saxos soprano et ténor), l’Allemand Andreas Willers (guitare électrique et autres appareils), l’Italien Fabrizio Spera (batterie), et une surprise (pour moi), l’Americano-Italien Alvin Curran (piano et sampler), bien connu autrefois dans les musique expérimentales (dont Music Electronica Viva avec Karl Berger, Steve Lacy, Frederic Rzewski, etc.). Enregistrée en public à Rome, cette suite en quatre parties d’inégales longueurs quasiment enchaînées est en fait une longue improvisation libre extrêmement maîtrisée où apparaissent des alliages de sonorités très variées, des bruits, des frottements, des approches à tâtons, tout cela dans une grande écoute réciproque. Une musique de haut vol, difficile et exigeante. « Rome-Ing » (LR 872).

Deuxième disque en solo pour Leo Records (le premier en 2004) du guitariste Vinz Vonlanthen qui effectue un gros travail sur le son (effets divers, re-recording), et nous fait voyager plutôt tranquillement dans des contrées parfois étranges. Cela progresse doucement car le musicien, qui intervient vocalement à plusieurs reprises, est un amoureux de la belle note et du travail bien fait. « No Man’s Land » (LR 873).

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Avec ce trio piano-basse-batterie “classique”, encouragé par Gerry Hemingway, nous découvrons Alvin Schwaar, Bänz Oester et Noé Franklé dans une belle “relecture” de huit standards (Gershwin, Kern, Whiting) ou thèmes de jazz (Ellington, Hancock, Evans, Coltrane), ce qui constitue un contre-pied à une tendance actuelle largement répandue qui veut que chaque musicien se reconnaisse comme compositeur. Alors qu’il y a encore toujours beaucoup à faire avec le fonds inépuisable que nous ont laissé les grands anciens. Et ici, les thèmes sont tellement décortiqués qu’il est parfois difficile de les reconnaître, et la mélodie que l’on fredonne habituellement n’existe plus, sauf celle du Prelude to a Kiss final. Mais, en les tirant dans tous les sens, les trois musiciens vont au cœur de chaque morceau et leur redonnent une nouvelle vie. Passionnant. Un beau travail à encourager. « Travellin’ Light  » (LR 875). OUI !

Le trio Nucleons comprend d’une part la vocaliste Franziska Baumann, entendue déjà avec son mari, le pianiste Christoph Baumann, en duo ou en trio (Potage du Jour). Ici pas de piano puisque ses deux partenaires sont le contrebassiste Sebastian Rotzler et le batteur Emanuel Künzi. Tantôt une sorte de free primitif, souvent “bruitiste”, parfois plus sophistiqué (relativement), le disque laisse entendre un gros travail vocal que l’on pourrait inscrire dans une lignée Maggie Nicols-Annick Nozati par exemple, sans chercher à les comparer. Intéressant. « Hunting Waves » (LR 876).

  De l’Italie aux États-Unis

Le contrebassiste, compositeur et arrangeur italien Enrico Fazio est un musicien dont les disques n’encombrent pas les bacs (s’il en reste !). Celui-ci, enregistré en 2017, n’est que le quatrième réalisé pour Leo Feigin depuis 2003. Affectionnant les formations d’une certaine envergure, il réunit un octette, Critical Mass, composé de musiciens de premier plan, et publie Shibui en 2013 (LR 678). Dans un même esprit, il nous propose cette fois six belles compositions, fort bien écrites et orchestrées, aux harmonies subtiles, où le swing est omniprésent, cette respiration si souvent négligée dans nombre d’ensembles contemporains. Une large palette instrumentale est utilisée par un nonette composé, en grande partie, des mêmes musiciens que dans le disque précédent, dont le grand trompettiste/bugliste Alberto Mandarini, compagnon de Fazio depuis les débuts, et auxquels s’ajoutent sur certains morceaux trois autres participants. Tous sont multi-instrumentistes (violon, mandoline, clarinettes, trombone, tuba, flûte, saxophones, percussions, claviers, etc., ce qui permet de somptueux alliages colorés) et la plupart prennent d’excellents solos. Le jazz est-il encore possible ? se pose-t-on souvent la question. En voici une réponse éclatante ! «  Wabi Sabi  » (LR 862). OUI !

Après un premier The Last Taxi in Transit (Leo LR 836), le pianiste américain Pat Battstone en propose un second volet avec un personnel tout différent à l’exception du bassiste Chris Rathburn. Il s’entoure cette fois de musiciens de l’Italie du Sud où il réside souvent, et en retrouve deux, Adolfo La Volpe (guitare) et Giacomo Mongelli (batterie) avec qui il avait enregistré Elements (LR 821). S’ajoutent la chanteuse Chiara Luizi et la multi-flûtiste Giorgia Santoro. Ces deux musiciennes occupent une place de choix dans ces treize pièces composées par tous. Il en ressort une musique très originale, délicate, aérée, résonnante, où les ajouts électroniques des uns et des autres apportent une grande profondeur de son. Un très joli disque. « The Last Taxi – New Destinations » (LR 853).

Encore plus “joli”, ce qui n’est pas péjoratif, le duo Battstone-Santoro s’inscrit dans une même atmosphère “zen”. S’y déroule un paysage sonore improvisé calqué sur une série de peintures (reproduites dans le livret), soit onze pièces diverses, mélodieuses, jouant sur les effets (voix/flûte) et aux ambiances presque romantiques. « Dream Notes » (LR 874).

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Nous sommes désormais habitués à l’intense production discographique du duo Ivo Perelman-Matthew Shipp. Cette année 2019 encore, une série de quatre disques réunis en un seul coffret, s’offre à notre écoute.Ils ont été enregistrés à la suite l’un de l’autre, sur une thématique florale, Efflorescence, et les quarante-neuf courtes pièces portent toutes un nom de fleur. On constate rapidement, pour peu que l’on soit familier d’un duo pratiquement inséparable depuis quinze ans, la complicité, l’échange, les réactions, l’à-propos dont font preuve les deux amis. Le saxophoniste, toujours très lyrique, sensible, possède une rare maîtrise de son instrument : le son, le souffle, le grain du ténor. Son discours torturé voire tourmenté, presque plaintif, mais aussi parfois mélodieux, se développe toujours sur la corde raide. Mais le pianiste est, offrant sa base/sa basse profonde, solide et enrichissante, stabilisatrice et facteur d’équilibre. Jamais de solos proprement dit, les deux musiciens jouent ensemble continuellement. Une certaine mélancolie transparaît parfois, lorsque la promenade devient plus paisible, méditative, introspective... Je n’ajouterai pas d’autres commentaires, conseillant simplement à ceux qui ne connaissent pas encore ce duo exceptionnel, de se procurer ce coffret, la musique qu’il contient a atteint sa pleine maturité. « Efflorescence » (LR 866/869).

  La Russie : futuriste en 1920, futuriste en 2020 ?

Pianiste et compositeur russe, personnalité de premier plan dont nous avons souvent vanté la qualité du travail, Simon Nabatov quitta l’Union Soviétique en 1979 avec sa famille ; il avait 20 ans. Il poursuivit ses études musicales d’abord en Italie, puis aux États-Unis où il entama sa carrière professionnelle. Installé depuis des années à Cologne, il n’a jamais perdu de vue la musique et la culture russe en général, en particulier celle des débuts du XXe siècle, concomitante de la Révolution soviétique. Il s’est ainsi attaqué à deux projets d’envergure liés à cette histoire.
Le premier, présenté dans une superbe présentation graphique constructiviste, est consacré au mouvement futuriste russe des années 1910, qui réunit de grandes figures littéraires, picturales et musicales, et particulièrement au cercle d’artistes Gileia, au travers de deux figures : le poète, écrivain et dessinateur Alexeï Kroutchnykh (lié à Maïakovski et Malevitch), et l’écrivain et dramaturge Velimir Khlebnikov. Avec l’aide des instrumentistes Frank Gratkowski (saxo-alto et clarinettes), Marcus Schmickler (live electronics) et Gerry Hemingway (batterie), et le vocaliste performer hollandais Jaap Blonk pour les textes, Nabatov a composé ce “Readings – Gileya Revisited”, une œuvre hors du commun, essentielle, dont le disque, absolument étonnant, est considéré par Leo Feigin (qui, rappelons-le, est aussi un émigré russe), comme étant la cime de son catalogue ! « Readings – Gileya Revisited » (LR 856). OUI !

Second volet qui constitue une suite au premier disque, “Readings – Red Cavalry”, réunit les mêmes musiciens les deux mêmes jours de décembre 2018. Seul changement : le vocaliste est Phil Minton, différent mais aussi présent, impliqué et “délirant”. Le sujet central est cette fois Isaac Babel, l’écrivain juif originaire d’Odessa, protégé de Gorki, engagé dans l’Armée rouge en 1920 et correspondant de guerre lors du conflit russo-polonais. Inquiété par le stalinisme dans les années 30, ce francophile qui effectua plusieurs séjours à Paris, est arrêté en 1939 soupçonné d’espionnage, torturé et fusillé en 1940. Son recueil de nouvelles “Cavalerie rouge”, publié en 1926, sert donc de fil conducteur au projet. Les extraits de cette œuvre s’appuient sur de très belles parties instrumentales, en particulier dans la nouvelle Gedali (Guedali), pièce centrale du disque. « Readings – Red Cavalry » (LR 857). OUI !
Sortants totalement de l’ordinaire, ces deux CD complémentaires, enrichis de livrets documentés de Stuart Broomer, sont des compositions narratives et sonores qui s’écoutent comme des créations radiophoniques. Un événement discographique.

Deux parutions récentes encadrent chronologiquement les deux disques ci-dessus. Simon Nabatov se trouve à nouveau en compagnie de Frank Gratkowski (saxo-alto, clarinettes, flûte), un partenaire depuis plus de vingt ans avec qui il s’entend à merveille, pour quatre duos, le batteur Dominik Mahnig (fidèle également) les rejoignant pour quatre trios. Ces huit “histoires de dancings” (drôle de titre pour des musiques sur lesquelles on aurait bien du mal à danser !) sont des pièces savantes aux rythmes constamment changeants qui demandent l’attention et la participation de l’auditeur. On remarquera évidemment la qualité des échanges, la volubilité et à la fois la retenue du discours de Gratkowski, sa virtuosité, son élégance. Le piano le suit comme son ombre le stimule, lui offre de multiples pièges : les à-côtés de la piste ! « Dance Hall Stories » (LR 880).

Plus ambitieux, car il s’agirait pour Nabatov du premier volet d’un projet plus vaste sur la notion du temps, “Time Labyrinth” réunit autour du pianiste-compositeur et de Frank Gratkowski, Matthias Schubert (saxo-ténor), Shannon Barnett (trombone), Melvyn Poore (tuba), Dieter Manderscheid (contrebasse) et Hans W. Koch (synthétiseur). Soit un septette sans batterie pour exécuter une musique de chambre contemporaine particulièrement difficile, à l’écriture puissante et raffinée. Il convient donc d’apprécier le travail collectif impressionnant sur ces six compositions souvent a-rythmiques. Durant le déroulement de ce concert, chaque musicien disposa d’un temps pour développer un solo. « Time Labyrinth  » (LR 881).
Notons que Nabatov présente chaque pièce de ces deux disques à l’intérieur des livrets.

Un “vieux son”, rugueux, une batterie rustique qui frappe un binaire ancien, un saxo-ténor parfois insistant et répétitif du genre Frank Wright, une valse plus que chaloupée, un solo de contrebasse râpeux, quelques interventions vocales rauques, un final after hours nostalgique ... on dirait du free soul des années 60, mais au second degré, et encore ! Ces musiciens croient à ce qu’ils font, et jouent avec beaucoup de générosité. Ce Quartet Red est formé par Vladimir Kudryavtsev (contrebasse), Gregory Sandomirsky (piano), Piotr Talalay (batterie), trois membres du groupe Goat’s Notes déjà remarqué dans ces colonnes (trois disques chez Leo), trois musiciens russes auxquels se joint le saxophoniste français Fred Costa, homme de théâtre, compositeur, performer, parfaitement en phase avec ses camarades. Une musique improvisée comme on n’en fait plus ! Les amateurs apprécieront. «  Quartet Red » (LR 882).

  Rencontre improvisée au sommet en Finlande

The Balderin Sall illustre une rencontre musicale d’envergure, comme on faisait dans les plus beaux jours de la nouvelle musique européenne. Réunis à l’initiative du saxophoniste finlandais Harri Sjöström, onze musiciens de divers horizons et couvrant trois générations d’improvisateurs se sont retrouvés durant deux jours de septembre 2018 dans la salle Balderin à Helsinki, et ont travaillé et échangé ensemble, par petits groupes informels, devant le public. Duos, trios, quartettes et quintettes se sont ainsi constitués pour des séquences dépassant rarement la dizaine de minutes. Cette concision, facteur de maîtrise, montre une écoute réciproque remarquable : personne ne “hausse le ton”, ne tire la couverture à lui, s’échappe dans des explorations hasardeuses, même si les échanges sont parfois vifs et stimulants. Deux Tutti orchestraux, rassemblant les onze protagonistes, ouvrent et referment les deux CD. Les vétérans britanniques Evan Parker (saxos ténor et soprano) et Philipp Wachsmann (violon et live electronics), et allemand Paul Lovens (batterie) participent à la fête, ainsi que les improvisateurs aguerris que sont le tromboniste italien Sebi Tramontana et le contrebassiste allemand Matthias Bauer. Ils sont entourés de musiciens plus jeunes : Emilio Gordoa (vibraphoniste et percussionniste mexicain vivant à Berlin), Dag Magnus Narvesen (batteur-percussionniste norvégien) ainsi que le contrebassiste Teppo Hauta-aho, qui possède une longue carrière d’improvisateur (voir le Trio Nueva Finlandia LR LAB 046), l’accordéoniste Veli Kujala et le pianiste Libero Mureddu (d’origine italienne), qui contribuent à donner un éclairage à une scène finlandaise trop peu connue. Les extraits musicaux choisis pour l’édition de ces deux disques constituent un témoignage de premier ordre et exceptionnel sur la vitalité des musiques contemporaines improvisées issues du jazz «  Variations » (LR 870/871). OUI !

  Final britannique crépusculaire fascinant

Terminons par le disque le plus étrange qui soit : le sixième du duo Paul May (car c’est lui qui se trouve cette fois en tête d’affiche) et Carolyn Hume, duo qui se révéla il y a vingt ans à nos oreilles stupéfaites, et qui nous envoûte une fois de plus. Une figure rythmique complexe du batteur, inlassablement répétée, bâtit la structure à l’intérieur de laquelle – au-delà ? – s’installe un fond sonore à l’horizon infini grâce aux nappes déployées par les claviers électroniques, la pianiste introduisant ensuite quelques notes de piano à l’économie. Un peu plus tard, ce sont les percussions qui semblent s’entendre en écho, et la musique se déploie dans un champ à la fois fascinant, obsédant et presque inquiétant qui repousse la limite de l’espace. De véritables paysages, aux couleurs sombres mais d’une beauté à couper le souffle, se découvrent ainsi, lentement. Les notes parcimonieuses mais résonnantes du piano accentuent la tension et maintiennent l’auditeur en état d’alerte, celui-ci ne pouvant se détacher de cet univers hypnotique et mélancolique (désespéré ?), comme le spectateur, happé par un tableau, ne peut s’extraire d’un paysage de Caspar David Friedrich. L’atmosphère se tend, le ciel se couvre et, enfin, l’orage s’annonce. Mais il passe au loin et tout s’efface devant nous. Plus rien...
Que dire de cette musique qui me hante et me perturbe à chaque nouvelle écoute ? Et qu’est-ce qui pousse Carolyn Hume et Paul May à poursuivre leur exploration sans fin avec le risque d’être happés par leur propre univers ?
Notons que le guitariste Bernd Rest rejoint le duo dans le troisième des six paysages sonores qui composent ce disque hors du commun. « Kill the Lights » (LR 847). OUI !


www.orkhestra.fr . www.leorecordsmusic.com . www.narrenschiff-label.ch

[1Une revue identique réservée au catalogue suisse Intakt est prévue prochainement.