Interview de Manu Guerrero sur sa tournée avec les Alliances françaises d’Équateur.
Si les musiciens et plus largement les fans de jazz connaissent bien les festivals, les salles de spectacles, ils méconnaissent les circuits des Alliances françaises (AF) à l’étranger. Pourtant, ces organismes proposent des spectacles d’artistes français en tournée ou de musiciens locaux ouverts à tous. Les 800 AF du monde organisent des résidences d’artiste, des concerts, des ateliers ou des événements (fêtes de la musique) souvent à des prix très abordables et même parfois gratuitement. Les musiciens doivent proposer un projet qui sera choisi par les organisateurs en fonction de leur budget, mais aussi en fonction de leurs attentes qui sont différentes d’un spectacle franco-français. Les Alliances sont attentives au lien, aux échanges entre « Culture française » et « culture du pays ». Culture jazz a pu poser quelques questions à Manu Guerrero en tournée avec les AF d’Equateur pour mieux connaître ce circuit et ce musicien.
Culture jazz : Pouvez-vous présenter votre tournée en Equateur ?
Manu Guerrero : Il y a 5 concerts prévus en 10 jours. J’ai commencé par Quito, Loja, Cuenca Guayaquil pour finir à Portoviejo. J’avais déjà fait une tournée en trio avec les AF du Pérou en 2018 avec deux musiciens péruviens pendant laquelle nous avions joué mes compositions de mon album Nuevo Mundo. A cette époque, j’avais contacté Antoine Lissorgues, le Directeur de l’Alliance de Cuenca, pour voir si je pouvais prolonger la tournée jusqu’a Cuenca en Equateur, mais cela n’a pu se faire pour des raisons logistiques. Puis Lore Criado-Engel (Directrice culturelle de L’Alliance de Cuenca) que je connaissais à Paris, est arrivée à Cuenca et mon nom est revenu sur la table pour le mois de la francophonie en Equateur. C’est comme ça que le projet a pris forme.
Culture jazz : Comment s’organise la tournée ? Comment se fait le contact ?
Manu Guerrero : J’avais donc déjà un contact avec Antoine puis Lore a pris le relai dans le contexte du mois de la francophonie en Equateur. L’idée du piano solo s’est imposée naturellement pour des raisons de logistique et de cout mais j’avoue que le challenge d’être seul sur scène m’a immédiatement séduit. J’avais déjà joué en piano solo, en première partie de Michel Sardou en 2018 mais c’était que 20 minutes par concert. Dans cette tournée équatorienne, je joue environ une heure et le challenge n’est pas le même C’est très excitant !
Pendant la pandémie, je me suis replongé dans le travail du piano et de son histoire, notamment dans le jazz, et j’ai écouté énormément de disques. Le piano solo représente un grand chapitre de l’histoire du jazz. La plupart de mes héros ont enregistré en solo, de Art Tatum à Thelonious Monk en passant par Chick Corea, Keith Jarret, Brad Mehldau et tant d’autres. C’est une approche qui peut être effrayante mais qui représente en même temps une très grande liberté. Alors quand on m’a proposé cette tournée, j’ai immédiatement saisie l’opportunité de vivre cette expérience, inspiré par tous ces disques que j’ai écoutés !
Culture jazz : D’un point de vue personnel que vous apporte une telle tournée ?
Manu Guerrero : Ça m’apporte beaucoup de bonheur ! Je rencontre des gens, je vois un des lieux magnifiques même si le temps passe vite. Aujourd’hui, c’est le premier jour off de la tournée alors j’en profite pour visiter la ville. La promenade de ce matin au Parc naturel du Cajas était superbe. J’ai la chance d’être chouchouté par ces gens qui me reçoivent.
Cela m’apporte beaucoup d’inspiration et de souvenirs. Le jazz consiste à raconter des histoires et un tel voyage, de telles aventures me donnent des choses a raconter en improvisation et en composition.
Culture jazz : Comment avez-vous organisé le répertoire de la tournée et le fait de jouer en Amérique du sud a-t-il influencé votre répertoire ?
Manu Guerrero : Pas vraiment. Des le départ je voulais me servir des standards de jazz, que je joue depuis longtemps, comme structure pour improviser, malaxer le temps, l’harmonie, réinterpréter ces magnifiques thèmes et avoir un maximum de liberté.
C’était mon idée de départ. J’avais peur que des morceaux trop sud américains ou folkloriques, m’enferment dans leur composition ou dans leur forme et m’empêchent d’improviser librement n’ayant pas beaucoup de temps pour préparer tout ça. Puis j’ai finalement ajouté deux de mes compositions dans le but de dévoiler d’avantage ma sensibilité de compositeur. Par la force des choses, ces compositions étant influencées par ma culture péruvienne, elles ont encore plus collé avec le public équatorien. Le public a adoré !
J’ai également ajouté un morceau d’Atahalpa Yupanqui parce que c’est vraiment la musique que j’écoute et que j’adore. Je pourrais faire ce même répertoire en Asie en Afrique ou ailleurs. Ma musique est influencée par la culture latino américaine, c’est un fait. Je n’ai donc pas fait un répertoire spécialement pour cette tournée. J’ai choisi les morceaux que j’avais envie de jouer c’est tout.
Une petite anecdote, hier, il y avait dans la salle le Consul du Pérou et on m’a rapporté au dernier moment qu’il aurait aimé que je joue un morceau péruvien. Je n’avais pas prévu cela et je n’avais pas envie de m’enfermer dans un morceau que je connaissais mal. Je me suis demandé comment lui faire plaisir puisqu’’il me faisait l’honneur d’être là. Finalement, j’ai décidé de lui dédier ma composition Fresia. En introduction, j’ai présenté ce morceau qui rend hommage a ma grand mère péruvienne sur fond de valse criolla. Ca m’a permis de faire un clin d’œil au Pérou et d’évoquer ces rythmes que les Équatorien connaissent et apprécient beaucoup.
Culture jazz : Pour raconter une histoire, vous partez avec une idée en tête ?
Manu Guerrero : Dans les intros, il peut y avoir des motifs ou phrases que j’ai testé en répétition. Comme une petite composition que je développe. Le reste c’est la mélodie du thème et l’instant présent qui me guident. Ensuite faut se laisser aller !
C’est vraiment comme le langage. On passe des années a apprendre les règles de grammaire, le vocabulaire et toutes sorte de chose pour être capable ensuite de tenir une conversation sur un thème plus ou moins prévu. Mais au moment de cette conversation, tout est improvisé, sur les bases de nos connaissances de la langue et de se qu’on a envie de raconter. On ne lit pas un texte lors d’une conversation. Pour le jazz c’est pareil. On travaille l’instrument pendant des années, on écoute des disques pour s’inspirer, copier et apprendre des maitres puis au moment du concert, on se sert d’une composition comme sujet de « conversation » et on improvise !
Culture jazz : Pour finir, vous êtes à mi-chemin de la tournée, y a-t-il eu un épisode qui vous a marqué ?
Manu Guerrero : Le concert à Loja ! Le piano était très vieux et dans un état difficile a jouer. Il n’y avait plus d’accordeur car celui-ci était parti à la retraite quelques temps auparavant. Un monsieur est venu dépanner avec le matériel pour accorder mais… l’état du piano et le manque d’expérience n’ont pas aidé. Le concert avait lieu dans un très grand théâtre de 900 places, le théâtre Benjamin Carrion. La salle est magnifique, faite pour les concerts de musique classique, opéra et musique actuelles. Mais le piano n’était pas à la hauteur de la qualité de la salle. J’ai vite compris que je devrais faire avec ce piano alors J’ai travaillé tout l’après-midi pour me l’approprier et voir comment offrir au public un concert acceptable. Je me suis dit que je n’allait pas être en force et que j’allais me laisser porter par lui. Improvisation maximale ! Bien sur, je n’ai pas pu jouer certain morceaux comme Fresia. Le soir, j’ai commencé le concert en expliquant la situation au public. Je leur ai dit que j’étais très content d’être là, et que j’avais beaucoup de respect pour ce piano mais qu’il était très fatigué et vieux et pas en état pour donner le meilleur. Je leur ai dit qu’on allait laisser le piano s’exprimer et que j’allais être, ce soir, son instrument et lui l’artiste. J’ai commencé par une improvisation totale et le concert s’est déroulé pendant une heure. Jusqu’à présent, c’est un des meilleurs concerts de la tournée ! La magie a opéré ! Quelle expérience !
Le disque Nuevo mundo sur le site du musicien : https://www.manuguerrero.com/copie-de-musique-1
Propos recueillis par Marc Criado