Entre jazz et classique dans une abbaye landaise.
Le Festival des Abbayes des Landes est consacré à la musique classique, même si l’amour local pour les cuivres oblige à quelques écarts (Quintette de cuivres Aquitain, Octotrip). Cependant entre un magnifique concert d’Alexandre Kantorov, prodige du piano, et de Thibaud Garcia, nouvelle figure de la guitare, a été donné “Le concert des parfums”, un programme annonçant du chant grégorien, des musiques des 16ème et 17 ème siècles, ainsi que des oeuvres de Michel Godard (Héricourt 1960). Ce concert étant mentionné dans la notice du Nouveau dictionnaire du Jazz consacré à ce musicien, nous en ferons le compte-rendu.
Dans le chœur de l’église abbatiale d’Arthous -désaffectée et maintenant propriété du département des Landes-, une estrade a été installée, à laquelle accédèrent par un escalier latéral du côté jardin, Bruno Hellstreffer (théorbe) et Airelle Besson (trompette en sib). D’une chapelle latérale du côté cour, on commença à percevoir le son d’un instrument grave et acidulé, le serpent que jouait Michel Godard, bientôt rejoint par une chanteuse, Natasa Mirkovic ; il joue un chant grégorien, puis elle chante une mélodie séfarade du 14ème siècle. Ils rejoignirent les autres musiciens sur l’estrade. Éloignez-vous puristes, une trompette moderne joue du Cavalli ! Airelle Besson a une belle sonorité dorée comme le vernis de son instrument, un son voluptueux -peu habituel dans nos contrées de bandas où l’on joue extraverti. Plus tard Michel Godard jouera de la guitare électrique, des accords faiblement amplifiés en consonance avec le théorbiste. La chanteuse chante en bosniaque, en italien, en ladino, mais on ne comprend guère. Les pièces du lideur se mêlent parfaitement avec les musiques anciennes.
Parcourant l’allée centrale, des jeunes filles habillées de candeur, portant des hampes soutenant des drapeaux verticaux d’un blanc écru, imbibés de parfum, les agitent sur nos têtes. Comme un entr’acte, Michel Godard nous explique que les parfums ont été composés d’après les musiques et que les différents passages constitueront le parfum final imaginé par Ursula S. YEO.
Airelle Besson commence une pièce a capella, belle musique subtilement rythmique, qui le devint ouvertement quand les autres instrumentistes la rejoignirent, beau solo de Godard. Ce fut de plus en plus jazzeux, avec un petit passage free. La trompettiste a une belle technique qui lui permet d’exprimer sa sensibilité artistique [un bref passage de sauts d’octaves fondé sur une pédale, ce que je n’avais jamais entendu en concert, sinon en disque par l’incroyable Bohumir Krill en 1905 au cornet dans les Variations sur le Carnaval de Venise].
Ce concert était envoûtant, le temps a passé comme un charme, un songe parfumé, 90 minutes hors du réel, et cette impression s’est longtemps prolongée. Revenant lentement dans le crépuscule, c’est en passant devant une mairie fermée qui était ouverte à l’aller que le réel m’a saisi. Nous étions un jour d’élection, le dimanche 12 juin 2022 [Dans mon village chalossais, 70% de participation !].
Philippe Paschel