Critique du dernier disque de Miguel Zenón saxophoniste portoricain.
Miguel Zenón est né et a grandi à Puerto Rico, dans cet État qui fait partie des Etats-Unis sans en être totalement. L’île, plus que tout autre pays sud-américain, est partagée entre l’attraction du grand frère du nord et la fierté d’appartenir à une langue et à des cultures remarquables. La vie, la musique de ce musicien et plus précisément cet album s’inscrivent dans ce tiraillement.
Miguel Zenón a appris la musique à San José avant de partir en 1996 à Boston pour intégrer le fameux Berklee College of music. A Berklee, ses camarades s’appellent : Antonio Sánchez, Anat Cohen, Avishai Cohen, Jaleel Shaw ou Jeremy Pelt. Il y rencontre le pianiste panaméen Danilo Pérez qui deviendra son mentor et collaborateur.
En 1999, Zenón prend l’habitude de se réunir avec le batteur mexicain Antonio Sánchez, le bassiste autrichien Hans Glawischnig et le pianiste vénézuelien Luis Perdomo pour des sessions informelles dans l’appartement de Glawischnig situé dans l’Upper West Side de New York. Ils y jouent des compositions de Zenón. Le groupe deviendra le Miguel Zenón Quartet. En 2005, Antonio Sánchez part travailler avec Pat Metheny et il sera remplacé par le batteur portoricain Henry Cole.
Sélectionné de nombreuses fois aux Grammy et Grammy latino, le musicien reste très impliqué à Porto-Rico dans le développement culturel. Il y organise des concerts de jazz, offre des cours, des Master-classes dans les zones rurales du pays.
Zenón déclare que le disque « est inspiré par l’Histoire du continent américain. Pas seulement par ce qui s’est passé avant la colonisation mais aussi par ce qui s’est passé à partir de ce moment ». Pendant la pandémie, le musicien a lu ou relu des classiques. L’ouvrage Les veines ouvertes de l’Amérique latines d’Eduardo Galeano, l’a inspiré pour le titre « Venas abiertas ». Le thème « Taínos et Caribes » qui ouvre le disque est une référence à des peuples indigènes de la Caraïbe mais aussi au livre éponyme de Sébastien Robiou Lamarche
« Navegando (Las estrellas nos guían)* » Sans doute un de mes thèmes préférés, est un hommage aux marins de la Caraïbe qui savaient de tout temps se guider grâce aux étoiles. A la fin du morceau le quartet est rejoint par les voix et les percussions du Groupe Los Pleneros de la Cresta.
« Imperios » qui commence au rythme d’une marche cérémoniale, évoque les grandes civilisations inca, maya ou aztèque.
Autre événement important pour l’histoire de l’Amérique latine et pour sa musique, l’arrivée des esclaves venus d’Afrique. « Opresión y revolución » évoque la Révolution haïtienne, la première du continent. La sonorité et les rythmes africains sont mis en valeur par la performance du percussionniste Paoli Mejía. « Bámbula » relate la danse ramenée par les esclaves de leur continent d’origine. Le percussionniste Víctor Emmanuelli y joue du « barril de bomba » un instrument typique de Porto-Rico.
« Música de las Américas » est sans doute à placer tout en haut de la production de Miguel Zenón. Ce disque se distingue par l’ampleur de son inspiration, par la maturité du groupe, par la précision et la force de sa prestation. Zenón marie avec bonheur l’innovation de ses harmonies, la beauté de ses thèmes et de son improvisation avec une tradition qui dit d’où il vient. Les huit compositions nous font voyager dans l’espace et dans le temps en nous plongeant dans l’Histoire de ce continent.
Marc Criado
*En naviguant (Les étoiles nous guident)
Miguel Zenón – Sax alto
Luis Perdomo - piano
Hans Glawischnig - bass
Henry Cole - drums
Featuring :
Los Pleneros de La Cresta - Panderos, Percussion et voix sur Navegando (Las Estrellas Nos Guían)
Paoli Mejías - Percussion sur Opresión Y Revolución
Victor Emmanuelli - Barril de Bomba sur Bámbula
Daniel Díaz - Congas sur Antillano