Mercredi 05 octobre 2022

Deux ans après son mémorable concert au Pan Piper, revoici le Grand Impérial Orchestra fort de : Damien Sabaatier sax sopranino, alto et baryton, Gérald Chevillon, sax basse, ténor et soprano, Fred Roudet, trompettes Bb, Eb et bugle, Aymeric Avice, trompettes Bb, piccolo & bugle, Simon Girard, trombone, Aki Rissanen, piano, Joachim Florent, contrebasse et Antonin Leymarie, batterie.
Pour faire court, un quintet à vent et un trio classique. Un octet qui remplace avantageusement un big band, un octet en forme de fanfare fortement augmentée et cela sans aucune quincaillerie électro : des mains, des bras, des poumons, de quoi foutre la honte aux délirants transhumanistes.
Le cri du trombone secoue tous ceux qui se préparaient à une intro gentillette. Ben non, c’est un hurlement sauvage « Écoutez-moi, tous !! » et le solo volubile qui suit laisse à penser qu’il était temps que Girard nous raconte son histoire, elle devait mourronner depuis un moment. Une structure complexe, chacun joue deux ou trois notes qui forment une cellule répétitive, bonjour la mise en place, ce n’est pas le moment de respirer à contre-temps sauf à rater le placement de ses notes ; la cellule court, s’étire, tourne de l’un à l’autre, se répète, s’installe dans la durée sur un groove délibérément funky. On croirait une marche funèbre survitaminée qui cavale, qui cavale et se barre vite fait. Où ? Pourquoi ? Les flics courraient derrière et après ? Ça cavale, le bassiste s’emploie à pleins doigts à pousser le groove et la cavalcade de la procession, le trombone continue de la raconter son histoire, se grouiller, se dépêcher, ne pas perdre une minute. Les autres vents poussent, poussent puis les deux sax basse et baryton en mettent un coup aussi, grave et dodu. Ça grouille encore plus et le trombone n’en a pas terminé avec son solo et son histoire, il hurle encore. Jusqu’au riff lent, empathique, solidaire et final de tout l’orchestre.
Voilà, on est prévenu, ils ne sont pas venus pour faire dans la figuration vaine, le showcase étriqué ou la prestation en playback. Du vrai, de l’intense, du biosourcé.
A cançao de grilo s’ouvre à la manière du Willem Breuker Kollektief avant un enchaînement de soli où chacun y va de son propos ; c’est chaud bouillant, enlevé, costaud. Puis le piano, a capella, en totale rupture d’ambiance, carrément disruptif lui, y va d’un quelque chose de paisible, bucolique, aérien, majestueux, il laisse les sons s’épuiser, use du silence, on entend la piano respirer. C’est très très très beau.
Leur musique foisonne d’idées, bouscule les attentes, passe d’un tempo énervé à une valse lente, du murmure discret au rugissement, fabrique des duos inattendus et exploratoires. Il y a la grosse voix du sax basse qui nous ramène dans nos godasses, nous pousse au creux des reins, et le sax alto ( Sabatier ) qui s’envole dans des contrées dignes de Moniot.
Avec Gomora Pulse, on a droit à une réécriture de la musique répétitive ( Steve Reich of course ) pour fanfare déjantée sur un tempo de marche chaloupée qui invite à se faire, chacun-chacune, son petit court métrage perso : polar ? balade romantique ? Avec, là aussi, un break qui laisse place au trio cb-dms-p sur un tempo pépère : la contrebasse à l’archet, le piano en roue libre, c’est chaud, doux, calme et profond avant le retour de tout le monde : il y a du chacun pour soi (sauf le trio), jusqu’à l’impulsion amenée par les sax basse et baryton groovy de chez groovy pour en finir sur une valse.
Il y a tant à écouter dans cette musique aux conversations multiples, aux variations de rythme quasi incessantes, aux couleurs rutilantes. Personne n’est laissé de côté côté solo et vers la fin, Chevillon au ténor, se fendra d’un solo simple, tout simple et déchirant-poignant. Voilà un concert qui nous a fait galoper d’un bout à l’autre de la palette des émotions sans rien nous épargner et sans nous laisser une seconde de tranquillité routinière.
On les rappelle bien sûr.


Le Studio de l’Ermitage
Rue de l’Ermitage, 75020 Paris
https://www.studio-ermitage.com/