Tu t’attends à découvrir quatorze pupitres disposés as usual pour un big band, tu te demandes où tu vas t’asseoir pour jouir au mieux de ce concert parce que, c’est écrit sur le programme, les quatorze lascar-e-s sont des musicien-ne-s ou gens de la scène et bien non, raté, caramba. Pas de scène déjà prête mais un bric-à-brac digne sinon des puces de la porte de Vanves, au moins d’une joyeuse brocante à défaut d’un foutoir majeur. Qué pasa ? Ils ne sont pas prêts ? Ils font grève, touchés aux aussi par les restrictions budgétaires de l’empire capitalo-néo-libéralo-macrono-cupide ?
Un homme se plante au milieu de ce qui sert de scène (quelques tapis) et entreprend d’expliquer de quoi il s’agit. Rien de moins que : pourquoi Octave Mirbeau et pourquoi Damps ( prononcer « dans », oublier « PS »-un clin d’oeil à Valls ? ). L’homme s’appelle Jean Rochas, c’est lui qui a commis le texte intense des Noces Translucides, jouées ici même hier soir. Et qui d’autre que lui ce soir ? Catherine Delaunay, compositions et clarinettes, Olivier Thomas comédien et chanteur, Marie-Suzanne de Loye viole de gambe, Christophe Morisset serpent et sacqueboute, Pierrick Hardy guitare et banjo, Sébastien Garigniaux banjo, Pascal Van den Heuvel sax baryton, Atsushi Sakaï violoncelle et scie musicale, Guillaume Roy violon alto, Régis Huby violon, Guillaume Séguron contrebasse, Anamaz chanteuse, Timothée Le Net accordéon, Yann Karaquillo comédien. Sans oublier le public qui a préféré l’intimité de l’Atelier du Plateau à la planétaire coupe du monde de foot au pays des droits de l’homme.
Yann Karaquillo s’empare du micro et d’un texte de Mirbeau à propos de Pissaro, avec Sakaï au violoncelle et à l’impro. Et soudain : Euréka !! Bon dieu c’est bien sûr !!! Catherine Delaunay réinvente le salon littéraire : du texte, de la musique, penser, ressentir, l’esprit, le corps !!
Après quoi, nous vivons un exercice de haute voltige musicale, où, à défaut de regarder quatre tableaux du sus-dit Pissaro, on nous donne à les écouter !!! C’est aussi fort que de la musique en braille. Quatre vignettes sonores en petits formats ( du duo au quatuor ) dont un trio banjo-clarinette-sax baryton, qui sent la vase du bayou, la soupe de poisson-chat et le blues originel.
Jean Rochas revient, il est question de Mirbeau encore et de quelques personnages autour de lui : Monet, Auguste Rodin, la journaliste anarchiste Séverine, Jean Grave ( anar lui aussi ) et Mallarmé (difficile de ne pas s’émerveiller de ces fréquentations ).
À nouveau, Yann Karaquillo pour un texte sur Monet, avec Huby à l’impro instantanée. Là, tu te dis, vu la longueur du texte, que tu ne rêves pas : à défaut d’une séance de lecture-dédicace chez Tschann, tu es bien dans un salon littéraire. Et à nouveau cinq mini-concerts pour incarner les personnages cités.
Jean Rochas cadre le final, raccord avec l’époque secouée fin 19è-début 20è : Ravachol, le Père Duchesne. Yann Karaquillo lit un texte sur Ravachol ( Guillaume Séguron et sa contrebasse donnent carrément le tempo d’une décarrade avec les flics au cul), texte court ( il a dû intuiter les commentaires silencieux du public ) avant, c’est inévitable, la chanson du Père Duchesne, celle chantée par Ravachol himself avant de se faire raccourcir par la veuve.
D’un coup, ils viennent tous s’installer qui sur un tabouret bas, qui debout et tu te dis ; ah, j’en étais sûr, j’avais bien lu le programme : si si si, c’est un concert !!! Le temps d’un gag choral et d’une fin musicale. Globalement, le salon a tenu le temps d’un match, mi-temps et bière en fan-zone comprises. Le public en sort non seulement ravi mais avec une liste de courses qui n’a rien à voir avec la lessive de la tenue de sportif en canapé : relire Mirbeau ( prévoir cinq ans au minimum) et apprendre le Père Duchesne par coeur.
Ne pas oublier : « L’homme des Damps » était présenté en première mondiale et unique. Les absents ont eu tort.


Atelier du Plateau
Rue du Plateau, 75020 Paris


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