Qui aurait pu prédire la rencontre de ce concert avec la manif’ nationale ? Manif’ nationale tellement réussie qu’à l’heure où le concert commence, une jeunesse joyeuse, disruptive et enthousiaste fait toujours courir les CRS du côté de la Bastille, pour les maintenir en forme jusqu’à l’âge de leur retraite. Du coup, le trio, Catherine DELAUNAY, clarinette, Christiane BOPP trombone et Atsushi SAKAÏ violoncelle, offre un concert d’appartement à la grosse poignée d’auditeurs qui ont préféré la position assise aux galopades urbano-flicardes.
Le trio démarre par une conversation à trois monologues, toutessembleu-toussembleu et ça tintamarre grave. C’est à qui n’écoutera pas l’autre et tout de même, tout compte fait, s’écouter, pourquoi pas ? On ne souffre pas de la surdité macroniaise, nous, non ? Alors la clarinette la raconte, son histoire, aux deux autres. Elle insiste avec le cello qui empathise avec le trombone. Vazy, dis-nous tout : t’es triste ? T’en as gros sur le coeur ? C’est le trombone qui lui répond sur fond de pizz au cello. Moi aussi, quand j’étais petite, tu sais c’était pas …. et le cello confirme que pour lui aussi, mais pas si grave. On y est déjà, mais on ne le sait pas encore, il faudra attendre la confirmation : c’est un trio qui fait dans l’intime, tant par sa proximité spatiale que par son propos.
Delaunay désosse sa clarinette et souffle dans deux becs en même temps, ça frotte plus que les choeurs bulgares, dissonance qui tente d’éviter la tierce majeure avant de revenir au mélodique résolvant la tension ; le cello chante, ses potesses groovent et pulsent façon boléro de Ravel. C’est tendre, doux, nostalgique.
Le seul morceau titré-Jacqueline- est inspiré d’une réflexion de cette Jacqueline : « Je dis tout à mes canaris, eux, ils ne répètent pas ». Ce à quoi il s’attellent dans des duos où le propos de la clarinette est reformulé d’abord par le trombone dans un copié-collé décalé, avec ce petit quelque chose qui tient de l’écoute et de l’ajout du grain de sel, puis avec le cello. Oui, Delaunay teste ses canaris. C’est très très beau, très intime, on git dans le profond de soi.
Un poème de Valérie Rouzaud-la gravité des choses du monde- sert d’incipit à la pièce suivante. Le trio sonne comme une fanfare qui ouvre un tournoi ( on imagine une allée de peupliers au bord de l’eau, et l’espace dédié à la joute doté d’une flore biodiverse). Bopp joue-chante en même temps dans son trombone, alterne un chant doux intérieur et un cri puissant, un chant de gratitude qui exulte ?
On a droit à deux moments en suspension, ces moments qu’on attend sans le dire : la clarinette et le cello se lancent dans une improvisation osmotique, une variante du je te tiens par la barbichette à toi à moi. Moment exceptionnel où ils ne jouent pas de la musique mais c’est la musique qui joue avec eux et se joue d’eux. Le cello et le trombone s’y colleront à leur tour dans une intimité totale où, les yeux fermés, comment repérer qui dit quoi tant le propos est fluide, synchronisé, à peine décalé quand l’un ajoute un petit quelque chose auquel l’autre réagit aussitôt. Ce trio fabrique une douceur intense plus efficace que les lacrymos du jour pour faire monter les larmes.
Le petit dernier pour la route sera raccord avec ce jour historique : un piano jouet amélioré de boîtes à musiques susurre Le temps des cerises prolongé par une valse langoureuse façon guinguette et vinaigrée par le son métallique du piano gravement dissonnant : vive la Commune !! crie un spectateur qui a souhaité rester anonyme. Cette première mondiale nous laisse emplis de nous-mêmes, pantelants et bénaizes.


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