Un concert éco-responsable : un duo, éclairage naturel, pas de sonorisation, qui dit mieux ? Ce n’étaient rien moins que Dominique Pifarély et Federica Michisanti, un duo sublime un peu marginalisé tout de même dans une prestigieuse manifestation...
Jeudi 18 mai, 14h30
Coutances, Chapelle du Centre d’Accueil Diocésain.
Jazz sous les Pommiers 2023
Passé le porche, il y a l’attente d’avant-concert dans la courette et les discussions qui naissent entre les uns et les autres. Tout autour, le tumulte de la ville saisie par sa fièvre festivalière. Après une courte déambulation le long du cloître, on entre dans la chapelle aussi vaste qu’une église et soudain, on est en retrait de l’agitation pour partager un intense moment de musique.
Un concert sur le mode naturel nous attend. On ne peut guère faire plus éco-responsable. Une contrebasse et un violon, la lumière du jour, l’acoustique du lieu, rien que ça et c’est bien l’essentiel.
Dominique Pifarély poursuivait ce jour-là un dialogue entamé à Rome à la mi-septembre 2022 avec la contrebassiste Federica Michisanti, une musicienne qui partage avec le violoniste un même réseau de complicités musicales. La rencontre était inévitable puisqu’elle joue souvent, comme lui, avec Vincent Courtois et Louis Sclavis mais aussi avec le percussionniste Michele Rabbia pour ne citer qu’eux.
On s’attendait peut-être à une conversation improvisée mais, sur les pupitres, une sélection de compositions d’elle et de lui vont servir de trame à ce concert. Leur cordes tisseront l’essentiel de cette soierie musicale, au doigt et à l’archet au gré des improvisations nées de leur vive imagination.
L’émotion est bien présente. Ce dialogue entre la légèreté affirmée du violon de Dominique Pifarély et la profondeur rebondie de la contrebasse littéralement embrassée par Federica Michisanti ne peut laisser l’oreille indifférente et éveille l’esprit pour susciter des belles images de complicité dans un jeu de couleurs maîtrisées. L’harmonie et le rythme naissent des lignes entrecroisées sans aucun autre instrument pour évoquer l’imagerie du jazz. Et pourtant, l’esprit du jazz est là en filigrane dans le jeu complice qui se développe devant un auditoire conquis. Jeu des doigts sur les cordes, jeu des timbres et des vibrations et surtout, jeu des regards entre les deux musiciens-acteurs, des regards qui en disent long sur l’engagement et le plaisir de créer cette musique, là, à ce moment-là. La musique habite l’espace à l’image de Dominique Pifarély longeant l’arc du chœur, à distance et tout autour de la contrebasse, au centre du jeu.
Certes, écouter un duo violon-contrebasse (s’il ne s’agit pas de jazz manouche !) demande une certaine curiosité et, sans doute, un peu d’effort pour un public neuf et non-initié mais n’est-ce pas le sens d’une vraie diffusion de la culture ? Offrir de la nouveauté, de l’inattendu, de la surprise, confronter le public à des œuvres singulières sans se laisser aller à la facilité du divertissement.
L’attention de l’auditoire pendant le concert, l’ovation finale et le rappel enthousiaste montrent bien que ces musiques apportent aussi du plaisir et le bonheur de l’écoute. L’engagement et l’énergie créative des musiciens est alors complétée par l’écoute active du public. Un vrai moment de partage, en profondeur. Magnifique !
Le concert avait débuté à 14 heures 30. Ici, on relègue les musiques jugées un peu sérieuses à l’heure de la sieste... [1]. Est-ce tout ce qu’on peut offrir à "un très grand musicien" [2] ? Dominique Pifarély mériterait bien mieux que cela. Pourquoi ne pas l’honorer d’une carte blanche sur les vraies scènes d’un festival qui se grandirait à réduire drastiquement sa voilure et à naviguer à contre-courant du lobbying institutionnel et médiatique. On prendrait presque pour du mépris à l’égard des artistes créatifs et créateurs ce qui n’est peut-être, au fond, qu’un manque de curiosité, d’audace et d’ambition culturelle et artistique ? Allez savoir...
Dominique Pifarély : violon, compositions
Federica Michisanti : contrebasse, compositions
À propos de Dominique Pifarély :
À propos de Federica Michisanti :
Et sur CultureJazz.fr :
[1] Pour mémoire, un autre "grand violoniste", Régis Huby, avait vu sa création "Equal Crossing" programmée à 12 heures 30, le 16 mai 2015. Nous avions réagi, évidemment, (re)lire ici......
[2] Je cite Monette, la sympathique présentatrice du jour,membre de l’équipe