En quelques mots, Régis Huby pose le contexte : béatitude, prendre le temps de ressentir, méditation, vie intérieure. On est prévenu, on va baigner en nous-mêmes, chacun et chacune avec sa baignoire virtuelle. Et pour nous y plonger, rien de mieux qu’un quatuor à cordes fort de HUBY violon électronisé et compos, Séverine MORFIN violon alto, Clément PETIT violoncelle et Claude TCHAMITCHIAN contrebasse, augmenté de Matthias MAHLER trombone et Michele RABBIA batterie, percussions, électronique. La pièce introductive de la suite est résolument planante : une nappe en fond sonore derrière les sons graves et paisibles du violon, une clochette vibrant sous le frottement d’un archer, le méditant laisse son poids glisser vers le sol, s’ancre dans son bassin, constate que son souffle va et vient sans qu’il s’en préoccupe. On croirait écouter un raga du soir. Violoncelle et contrebasse installent une pulse tranquille, le violon et le trombone s’en mêlent comme si les bruits extérieurs s’invitaient dans la méditation démarrante, ce qui n’a rien de drôle. Les pizz des cordes ajoutent à la confusion du méditant qui s’accroche à une pensée galopante, se sent submergé par la séquence divagation où le sextet la joue chacun-pour-soi-RDV-au-point-d’orgue, avant que le solo de contrebasse aiguisé par la scie musicale de Rabbia ne l’aide à se recentrer. On est loin de la béatitude béate et du grand soir de la vacuité : laisser aller ses illusions, ressentir ce qui est là, rien que cela, c’est l’enjeu du moment. Le trombone soloïse : sons filés, calmes, le méditant se recentre sur son rituel répétitif : écouter, ressentir, écouter, ressentir. Nada mas (oui, cette chronique est bilingue). Pourtant rien ne lui est épargné quand le violoncelle s’emporte dans un solo limite flamenco à tout le moins guitaresque ibérique : va rester centré quand une gitane virevoltante dans sa robe à volants tape le sol de son pied nu et t’énerve avec sa cambrure élastique. Il est rappelé à l’ordre malgré lui par le sextet entier qui pousse et souffle et nettoie son mental chahuté. Alors le trombone a capella prend son temps, tout son temps, pour une impro déchirante qui demande beaucoup à ses poumons, on l’entend souffler et inspirer, on souffre avec lui, ses poumons resteront-ils dans sa cage thoracique ? Ou pas ? le méditant y est presque, son mantra fonctionne ( « home, sweet home  » ), le quatuor cordiste revient dans la partie, Rabbia, en minutieux et exigeant dentellier du son, invente et s’immisce et ponctue avec tant de justesse qu’il faut tendre l’oreille pour saisir ses créations ; ils prennent leur temps, un temps long, long, au point qu’on se demande si le méditant pique un roupillon ou est entré en phase de contemplation. Un second épisode de divagation-oui, l’impermanence des choses de la vie n’est pas une ânerie- survient : tous et toute en improvisation chacun pour sa pomme avant que Huby n’impulse une pièce dansante, ternaire. Le méditant qui a tout compris-suivre les « ici-et-maintenant » suffit- se lance dans une giration soufie du plus bel effet ; au tour de l’alto de raconter son histoire, et on sent bien que la béatitude touche à sa fin avec une dernière pièce ardente, pêchue, rythmée, scandée, tonitruante et le volume qui oscille entre plein les oreilles et à peine audible. Le méditant se relève de son coussin, on les applaudit fort fort.


Le Triton
11bis, rue du Coq Français - 93260 Les Lilas