Écouter Surnatural Orchestra, c’est s’engager dans un parcours initiatique avec tous les risques que cela comporte.

Esquif (Surnatural Orchestra, Cirque Inextremiste et Cie Basinga)
Esquif (Surnatural Orchestra, Cirque Inextremiste et Cie Basinga)
© Sébastien Toulorge 2017

D’abord être coupé de son environnement habituel, perdre ses repères. Par exemple, la salle de l’Ermitage est coupée en deux parties égales : d’un côté la scène immense, de l’autre le vide, pas une chaise, pas une petite table pour poser son godet, ça sent le pogo. Du coup, les arthritiques, arthrosiques, prothésés bioniques et autres publics nés avant mai 68 cavalent s’asseoir à l’étage.
Ensuite constater que le papier doré ne connaît pas la crise, les musiciens en arborent à foison : couvre-casquette, cache-batterie, robe abayesque, justocorps, obi, serre chignon-catogan. À croire qu’ils concurrencent l’obscène consommation ostentatoire des riches, voire qu’ils tentent d’en stigmatiser la cupide avidité illimitée.
Et puis, faut-il le signaler ? Depuis quand un orchestre se conduit-il comme le XV de France dans les vestiaires, à s’accoler, se faire des hugs, des mains tapées et autres attouchements publics ? Heureusement, on ne les entend pas s’encourager avec des « on va les défoncer », « on va leur marcher sur la gueule ». Bref, parcours initiatique dont la seconde étape est sonore avec ce qui ressemble fort à une fanfare de quinze souffleurs augmentée d’une guitare et d’une batterie :
au coeur du réacteur : Brice PERDA sousaphone,
les vents à anches : Camille SECHEPPET sax alto et clarinette, Fabrice THEUILLON saxes alto et baryton, Guillaume CHRISTOPHEL sax ténor et clarinette, Jeannot SALVATORI saxes alto et baryton, Martin DAGUERRE saxes alto et soprano, Nicolas STEPHAN sax ténor,
les vents à embouchures : Bertrand LANDHAUSER trombone basse, Hanno BAUMFELDER et Morgane POMMIER trombone, Guillaume DuUTRIEUX et Nicolas SOUCHAL trompette et bugle, Julien ROUSSEAU euphonium, trompette et bugle,
Clea TORALES flûte et sax alto, Naïé DUTRIEUX flûte et piccolo,
enfin Basile NAUDET guitare et Ianik TALLET batterie sans oublier François ROCHE-JUAREZ au chant.
Et cette étape de la désorientation fonctionne super bien : le format thème-soli-thème a disparu au profit de masses sonores issues d’un pupitre ou de l’autre, de motifs instables qui s’entrechoquent, se concurrencent, se mêlent, s’estompent. On croirait qu’ils tiennent absolument à s’immiscer entre la tempête Ciaran déclinante et la tempête Domingo qui lui succède en soufflant fort puis faible, fort puis faible. Il y a du pilotage en sound painting et subitement, on imagine une mélopée pour éléphant ambulant, un éléphant qui a bu des trucs forts, des motifs s’enchaînent, se déchaînent, s’empilent : comment y retrouver ses petits ? Comme si cela ne suffisait pas, ils se déplacent, les zicos !!! Finis les pupitres permanents et l’organisation pérenne de l’espace : mouvement de l’une, déplacement de l’autre, fusion, défusion, déjà qu’on ne sait qu’écouter, voilà qu’on ne sait quoi ou qui regarder. Il y a tout de même un aperçu de ce vers quoi on aimerait aller, un ailleurs en forme d’attracteur étrange amené par un motif joué au sax alto et répété à l’envie. Phil Glas ? Terry Riley ? La Monte Young ? Ça sonne rond, plein, ça groove, c’est très très beau. Le chanteur s’y colle, en français, SVP, puis en duo avec la flûtiste vocaliste. Et la pièce dans un joli mouvement de retournement, rembobine jusqu’au motif initial du sax alto qui s’éteint délicatement.
L’aperçu d’un ailleurs attirant est vite oublié quand la pièce, la seule au titre annoncée-la minute ressentie- vient nous percuter : musique sous tension au tempo lent du genre introduction qui n’en finit pas de s’introduire elle-même en forme de morceau entier : un moment d’absolue intranquillité où personne ne peut échapper aux effets induits par les dissonances, où la tension ne se résout jamais. Ça râcle dans les coins, ça desquame les oreilles, ça met les nerfs en queue de singe. Avant la pause ( oui, ils osent deux sets quand la norme est devenue un-set-et-au-lit et qui se souvient des soirées en trois sets au petit Op’ ou au Duc ? ), ils donnent un nouvel aperçu ( le toucher de l’ange aurait pu dire Durckheim ) de cet ailleurs à venir : un motif posé par la guitare et le sousaphone, un solo du trombone basse, des envolées percutantes, ils bougent tous et toutes, Cléa Torales s’arrache la bouche dans un solo à l’alto, poussée par les puissants riffs du band : quinze souffleurs bien décidés à vider un verre ou deux dans pas longtemps.

Surnatural Orchestra : une longue histoire...
Surnatural Orchestra : une longue histoire...
Ici en 2012 au festival Sons d’Hiver (Paris)
© Christian Ducasse

Au retour de la pause, le parcours initiatique entre dans la phase Ré-orientation : se sentir appartenir à un monde nouveau où ni les dissonances ni les destructurations ne dé-rangent. Ils oseront un slow avec solo du sousaphone, un quartet de conques grand format ( les imiter avec bulots et bernard-lhermite semble osé ), ils inviteront le public à coloniser la scène avant qu’eux-mêmes n’en descendent. Gros succès et rappel joyeux avec une valse propice à la liesse. Difficile de se quitter, c’est bien le but de toute voie initiatique, non ?


Le Studio de l’Ermitage
Rue de l’Ermitage, 75020 PARIS


Après Z : le disque !

Dans "Albums en ribambelle #17 - novembre 2023" sur CultureJazz (42 albums).

Surnatural Orchestra . Après Z
Surnatural Orchestra . Après Z

Surnatural Orchestra . Après Z

Collectif Surnatural / Absilone & Surnaturalorchestra.Bandcamp.com (à partir du 3 novembre 2023).

Léa Ciechelski : flûtes, voix / Cléa Torales : flûte, sax alto, chœur / Basile Naudet : sax alto, chœur / Jeannot Salvatori : sax alto, cavaquinno, chant / Camille Secheppet : sax alto, clarinette / Nicolas Stephan : sax ténor, chant / Guillaume Christophel : sax ténor, clarinette / Morgane Carnet : sax baryton, chœur / Antoine Berjeaut : trompette, bugle / Julien Rousseau : trompette, bugle, euphonium / Pierre Millet : trompette, bugle / François Roche-Juarez : trombone, chœur / Hanno Baumfelder : trombone, chœur / Judith Wekstein : trombone basse, chœur / Boris Boublil : claviers, guitare / Fabien Debellefontaine : sousaphone / Ianik Tallet : batterie / Sven Clerx : percussions. Enregistré en concert au Studio de l’Ermitage, le 17 avril 2021, dans le cadre de l’émission Le Jazz Club d’Yvan Amar pour France Musique.

> www.surnaturalorchestra.com


https://www.studio-ermitage.com/