Le 30 novembre 2023, se produisait au Hot Brass, le quartet du batteur Joe Farnsworth.
Hier soir (30 novembre 2023), se produisait au Hot Brass, le quartet du batteur Joe Farnsworth. Ce nouveau Hot Brass est situé dans une zone commerciale près d’Aix-en-Provence. Vu de l’extérieur, le lieu n’est pas très chaleureux, le soir tombé. A l’intérieur, par contre, on découvre un espace très cosy avec ses habitués autour du bar et une belle scène. La programmation est relancée, des musiciens locaux s’y produisent et ce soir, l’affiche est ambitieuse et prometteuse. Le quartet de Joe Farnsworth un batteur américain qui tourne sur la région. Le groupe rassemble deux excellents musiciens français au piano et à la contrebasse et un soliste invité. Ce soir, il s’agit de Sarah Hanahan au saxophone alto, une musicienne de 26 ans venue de New-York.
En plus du très haut niveau musical, ce quartet se distingue par son énergie, sa générosité et sa volonté d’un partage très fort entre ses musiciens et le public. Ce jazz « de club » que pratique le groupe nous rattache à la tradition et à la philosophie du jazz. Plutôt que de tenter de décrire cette musique et ce groupe de l’extérieur, j’ai préféré laisser Olivier Truchot, le pianiste du quartet, nous en parler. J’ai bien fait !
Culture-Jazz : Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette aventure, comment a commencé cette collaboration ?
Olivier Truchot : Joe venait en tournée près de Lyon avec le grand pianiste Harold Mabern qui, malheureusement est décédé juste avant la tournée. Joe m’a appelé, il voulait venir quand même à Lyon. Moi, je lui ai dit : « j’ai travaillé la musique d’Harold, j’adore ce pianiste. Et, si tu veux on peut le faire ensemble et tu vois je joue déjà avec ton frère Jim Rotondi. » Ils étaient tous les deux sous le même label. En fait, tous ces musiciens new-yorkais forment une équipe autour d’un club qui s’appelle le « Smoke ». Le Smoke rassemble des musiciens comme Eric Alexander, Vincent Herring, David Hazeltine, Jim Rotondi, Joe, le bassiste Peter Washington et bien d’autres. Quand Jim Rotondi est arrivé en Europe en 2012, j’ai joué avec lui et donc sachant ça, Joe a dit OK et nous avons formé un trio pour un hommage à Harold Mabern. Le soir, le trio est allé manger dans un restaurant après le concert et Joe a dit : « les gars, on continue l’histoire. Moi je viens jouer avec vous et on organise des tournées chaque année et on forme une équipe. » Nous, nous étions enchantés et du coup, depuis 2016, j’essaie de monter des tournées pour quatre : le trio et un soliste invité.
CJ : Et comment est choisi le soliste ?
OT : Joe me propose, à chaque fois, des solistes différents. Le premier a été le guitariste Mark Whitfield, le deuxième Wallace Roney Jr à la trompette qu’on a vu à Marseille au mois de juin et puis là, c’est Sarah Hanahan au sax alto. Et après Sarah, je pense que la formule va continuer parce que le groupe vit vraiment quelque chose de fort, nous formons une équipe et nous passons du temps ensemble.
CJ : Je voulais vous interviewer parce que la dernière fois que le quartet s’est produit à Marseille, quand à la fin de ce concert extraordinaire, vous avez dit quelques mots, le public a senti à votre voix, à votre attitude, qu’il s’était passé quelque chose de très spécial sur scène.
OT : En fait c’est ça ! Comment dire, on ne sait jamais, Joe vient avec des solistes différents donc des répertoires différents et on commence la tournée, on ne sait pas trop ce qu’il va se passer. On a quelques idées de morceaux et, en fait, ça prend forme dès la première date. Comment dire, chacun est très à l’écoute et essaie de faire sonner au mieux l’orchestre. Avec des musiciens de cet acabit-là, les morceaux prennent de l’ampleur. Il peut arriver que même dans une ballade, le tempo varie et s’emporte ! Ce qu’on appelle les Interludes, la fin des morceaux, il arrive que cela dure plus que le morceau lui-même. Nous sommes souvent surpris par ce qu’on vient de faire. Le groupe a appris, moi j’ai appris depuis 5 ou 6 ans maintenant. J’ai appris à suivre Joe. J’essaye, parce que je peux vous dire que parfois, il nous pousse dans nos retranchements, j’essaie de le suivre et c’est chouette car il se passe des choses incroyables !
CJ : A l’écoute, le public a vraiment l’impression que tout se crée sur scène, qu’il y a quelques bases et qu’ensuite ça se construit. Pour moi, la soirée au Club 27 est une des meilleures soirées que j’ai vécues depuis longtemps. Pour vous, c’est ça le jazz ?
OT : Clairement, on ne répète pas, on s’envoie quelques idées. On arrive sur scène, ils appellent des morceaux et normalement on les connaît. Avant, On s’est quand même donné deux ou trois idées directrices. J’ai étudié le jazz, je vais dans les bars et les restos depuis que j’ai 16 ans et j’ai travaillé cette musique pour justement ces moments-là. Cette manière de jouer fait appel à ta connaissance, à ta culture. Tout à l’heure par exemple, nous avons joué Old Folks. Cette ballade-là, n’était pas prévue. Sarah est venue me glisser dans l’oreille à la fin du morceau précédent : « j’aimerais bien jouer Old Folks. » Donc, il fallait se souvenir de ça. Juste avant on a joué Star eyes, c’est pareil, j’ai revu la grille vite fait à l’hôtel, il y a deux jours parce que j’ai entendu qu’elle aimait bien ce morceau. C’est comme ça que le groupe fonctionne, et puis après, moi j’en profite pour travailler. En fait tous les grands pianistes avec qui Joe a travaillé jouaient comme ça. Il joue les répertoires à la Harold Mabern, à la McCoy Tyner et surtout Cedar Walton qui est vraiment son maître, des morceaux comme Bolivia de Cedrar Walton ou Ojos de rojo, et d’autres morceaux un peu hispanisants. Et là, ce soir, vous avez remarqué que c’était les morceaux de Coltrane comme Welcome, Olé et puis d’habitude nous jouons un morceau de McCoy Tyner qui s’appelle Walk Spirit Talk spirit. J’aurais aimé qu’on le joue car il est incroyable, ce morceau. Ce morceau, Joe m’a demandé à la fin du premier concert : « demain je voudrais bien jouer Walk Spirit Talk spirit. » Je suis rentré chez moi, j’ai relevé le morceau et je l’ai un peu travaillé au petit-déj’ avec mes enfants et mes enfants ont chanté sur le thème « tartine au chocolat, tartine au chocolat ! » du coup, maintenant, à chaque fois avant de prendre le tempo je pense « tartine au chocolat… »
CJ : Et donc, l’expérience va continuer ?
OT : Encore aujourd’hui, Joe me disait qu’il prenait vraiment du plaisir. Bizarrement, il a toujours été Sideman de très grands musiciens et c’est la première fois qu’il dirige un groupe, sous son nom, et en fait, ça lui plaît ! Il nous dit qu’on est dans le même bateau, qu’on est une équipe et voilà ! Nous sommes très contents, très heureux.
Cj : Et le fait de jouer deux jours suivis à chaque fois ?
OT : C’est vraiment la générosité et la gentillesse de Jean-Paul (Artero, le propriétaire du club). Il a accepté de nous programmer deux jours suivis. Pour nous c’est que du bonheur. Rester deux jours au même endroit, sans être obligé de voyager nous offre une qualité de vie et de travail. Joe, il arrive en France avec à chaque fois un artiste différent, ils ont très envie d’en profiter, de visiter, dans la journée on va se promener à Notre-Dame de La garde à Marseille. Ils adorent visiter les grandes villes et la journée nous en profitons. On arrive un quart d’heure avant de jouer et boom, tu ne vois jamais de micro sur sa batterie ! Profiter un maximum et après une fois que le quartet est sur scène, c’est parti ! Cela nous permet d’être détendu, d’être généreux dans notre jeu. Le public le sent et apprécie énormément.
CJ : Je confirme, vous pouvez nous dire deux mots sur Sarah ?
OT : Avec Sarah, on a vraiment l’impression d’entendre la continuité des grands saxophonistes comme Jackie Mc Lean. Elle a suivi les cours de la Jackie Mc Lean Institute. Elle a 26 ans et elle n’a peur de rien. Elle a une oreille incroyable. Elle peut tout jouer, elle n’a jamais besoin d’une seule partition. Je l’ai vue aller faire le bœuf à Paris avec Vincent Herring et Eric Alexander quintet. Elle est arrivée, c’était un morceau qu’elle ne connaissait pas mais elle entend très vite l’harmonie du morceau et elle y est allée. Elle n’a peur de rien et c’est ce qui plait à Joe. J’ai deux fois son âge et je sens sa force. Je me concentre pour la suivre, pour mettre son jeu en valeur. Elle a 26 ans et c’est déjà une patronne. Elle vit la musique d’une manière très intense.
Cj : Merci à vous.
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Joe Farnsworth : Batterie
Sarah Hanahan : Sax alto
Olivier Truchot : piano
Patrick Maradian : Bass