Reverso ? Un trio fort de Vincent COURTOIS au violoncelle, Franck WOESTE au piano et Ryan KEBERLE au trombone, un trio chambriste qui joue ses pièces inspirées de l’esthétique de Lili BOULANGER, première femme Grand Prix de Rome, à la vie fulgurante et brève.
La Muse, morceau d’introduction, ouvre une porte-fenêtre sur un jardin ( relire Le seuil du Jardin par André Hardellet ) : imaginer un vaste salon où l’on tient salon, au sein d’une maison bourgeoise planquée derrière de hauts murs, maison de maîtres à forte domesticité-les premiers de corvée sans qui le possédant-dominant ne sait pas où se trouvent et son cul et le sel fin-, atmosphère, atmosphère, il flotte dans l’air un je ne sais quoi d’oisif qui ignore l’attente et se suffit à lui-même.
Il y a cette valse ( Résilience ? ) malmenée dont le tempo varie au gré d’une course à l’aveugle derrière les hautes haies labyrinthiques où se cachent des amours interdites ( relire La garçonne de Victor Marguerite )
Le piano ruisselle le temps d’un Nocturne et son flot accompagne les nuages qui défilent, se déchirent et s’effilochent au-dessus de l’étang, là-bas tout au bout du parc-jardin, pendant que le trombone et le violoncelle étirent des sons soyeux. On peut hésiter entre la rêverie spontanée et les flash-backs induits, une chose est sûre : cette musique émotionnante n’invite pas se projeter dans un sous-marin nucléaire, un chantier avec marteau-piqueur, cris et autres grincements de grue ou une banale et bruyante scène de carrefour urbain. Point de lavandières à souffler sur leurs engelures, à genou sur la pierre froide ( merci Gauguin ), point de raboteurs de parquet en train de se niquer le dos, les mains et les poumons ( merci Caillebotte ), la rondeur capiteuse du trombone qui ne se laisse jamais aller à des effets fanfaresques, le piano tantôt percussif tantôt ruisselant et le cello dont le chant s’épand du murmure à la scansion obstinée évoquent plutôt le monde de l’otium, l’oisiveté qu’on pourrait résumer à « Aujourd’hui je ne fais rien, si je n’ai pas fini, je continuerai demain ».
Il y a Ma jolie, introduite par Woeste, a capella, qui s’étonne lui-même des accords inouïs qu’il ose, avec un genre de fox-trot récurrent où trombone et cello galopent à l’envie, puis un groove presque bluesy. On rit avec cette musique bourrée de clins d’oeil.
Le temps d’un Requiem pas du tout triste, on regarde la vapeur s’élever au-dessus d’une tasse de pu-erh, on tue le temps qui nous tue. Et Lili Boulanger a droit à son blues, Lili’s blues, sans doute un blues hongrois : hongrois que c’est un blues mais ils jouent en dehors, juste à côté de la note bleue, tout en tension, un blues qui énerve et crée une attente jamais résolue.
On a regardé des soleils se lever, d’autres se coucher, on s’est laissé hypnotiser par la peau de l’étang à peine ridée, on a goûté le plaisir de ne rien faire tout en vivant intensément chaque ici-et-maintenant, nos tripes se sont nouées et dénouées au gré des improvisations savoureuses.
Merci pour ce moment.


Le Triton
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