Du 8 au 10 février dernier, au Cafe Oto de Londres, Gérard Rouy a assisté à trois jours de musique dédiés au saxophoniste allemand récemment disparu.
Peter Brötzmann (6 mars 1941 - 22 juin 2023) disait que les musiciens les plus importants dans un orchestre sont les batteurs. Il aurait tout à fait été satisfait de la présence de Sven-Åke Johansson, Steve Noble, Camille Emaille, Hamid Drake, Paal Nilssen-Love et bien sûr Han Bennink au cours de cet hommage que lui a rendu le londonien Cafe Oto. Tout au long de sa carrière il avait également joué avec (les batteurs) Louis Moholo-Moholo, Günter Sommer, Willi Kellers, Andrew Cyrille, Yoshisaburo Toyozumi, Rashied Ali, Tony Oxley, Ronald Shannon Jackson, Shoji Hano, Anton Fier, Michael Wertmüller, Michael Zerang, Peeter Uuskyla, Walter Perkins, Milford Graves, Nasheet Waits, Takeo Moriyama, Sabu Toyozumi…
J’avais entendu le saxophoniste pour la première fois en 1971 au cours du Festival de Jazz d’Avant-Garde à Gand (Belgique) et je fus submergé par l’ardeur et la fougue du “Peter Brötzmann Large Group” qu’il présenta cette année-là — je n’avais jamais entendu parler de lui auparavant. Au cours de ces quarante-cinq dernières années, nous nous sommes maintes fois croisés dans de nombreux festivals en Europe, dans des cafés enfumés ou autour d’une table chez lui à Wuppertal. Et nous avons finalement réalisé ensemble le livre de conversations (épuisé !) “We Thought We Could Change The World” (Wolke Verlag, 2014) qui évoque en profondeur sa vie, ses amitiés, sa double activité de musicien et de plasticien (peinture à l’huile, gravure, pastel, collages, assemblages, affiches, pochettes de disques…), etc.
Tous les musiciens présents au cours de ces trois jours ont joué et/ou enregistré avec le maestro de Wuppertal, à l’exception, sauf erreur de ma part, de la saxophoniste Zoh Amba et du pianiste Pat Thomas. Ces intenses rencontres trans-générationnelles exceptionnelles pourraient être qualifiées d’historiques, ne serait-ce qu’en considérant qu’un demi-siècle sépare les plus âgés des artistes présents sur la scène (les pionniers de l’improvisation « libre » apparus en Europe au même moment que Brötzmann dans les années 60 : Han Bennink, Sven-Åke Johansson, Alexander von Schlippenbach, Evan Parker) et les plus jeunes (Zoh Amba, Camille Emaille). Les groupes inventés par Cafe Oto pendant ces trois jours témoignaient de l’inventivité, de l’énergie et de la passion créative remarquables de ces trois ou quatre générations de musicien(ne)s invité(e)s à Londres. Plusieurs artistes, Bennink, Johansson, Hamid Drake, McPhee, Parker , évoquèrent au micro différents souvenirs de leurs rencontres avec le saxophoniste disparu, le Britannique rappelant également l’importance de Free Music Production (FMP), organisation et compagnie discographique basée à Berlin au siècle dernier inventée par Brötzmann et Jost Gebers, lui aussi décédé, quelques mois après le départ du saxophoniste de Wuppertal. FMP, il en fut également question lors de la conférence de Markus Müller consacrée à son histoire, en parallèle à la sortie l’an dernier de son sensationnel épais livre « Free Music Production - FMP : The Living Music » (34x25 cm, 397 pages, rempli d’analyses, témoignages, photographies, documents, reproductions d’affiches et de pochettes de disques…) toujours disponible aux éditions Wolke Verlag.
Historiques, ces rencontres le furent incontestablement — presque soixante ans après les insurrections décisives apparues dans le champ de la musique improvisée au milieu des années 60 en Europe, principalement aux Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne — autour de la commémoration de Peter Brötzmann.
Texte et photos : Gérard Rouy
Café Oto
18–22 Ashwin street
Dalston, London