Salle comble dans cet espace propice à l’esprit des salons du 18è siècle et occupé ce soir par le Jacky MOLARD-François CORNELOUP quartet, le premier au violon et compositions, le second au sax baryton et compositions, avec Catherine DELAUNAY à la clarinette et Vincent COURTOIS au violoncelle. Deux instruments à vent, deux instruments à cordes, chaque binôme étant complémentaire avec un continuum épatant de la tessiture du grave à l’aigu ( et lycée de Versailles). Sans sonorisation, donc en mode acoustique, ce qui va constituer un défi permanent de se faire tous entendre.
On entre dans le vif du sujet avec une motif lancé à l’unisson par le violon et la clarinette, motif résolument répétitif, vif, sautillant, qui sent le début du bal, au moment où on s’échauffe les mollets, les tendons, les arpions, solo du baryton solo du cello, hop hop hop : Irlande ? Bretagne ? Non, Chypre, la musique populaire ne connaît ni les frontières ni les camps de rétention.
En écho avec cette intro, ils cloront le concert avec une danse plinn ( Plinn ar mora-plinn de la mort ) au tempo survitaminé qui rend impossible une danse en rond et sent davantage la course éperdue des amis navrés et essoufflés derrière le corbillard qui fonce de l’église au cimetière.
Entre ces deux bords, il y a ce morceau étrange-trois pieds pour une marche- où le rythme boiteux, casse-gueule, déhanché, évoque la rééducation d’un qui s’est pété la hanche et marchotte appuyé sur une béquille le long d’un chemin qui n’a pas connu le bitume depuis longtemps. Même les musiciens donnent l’impression d’hésiter ici ou là, ornière, trou de taupe, pierre branlante.
Il y a Entre les Terres, titre éponyme du CD tout frais sorti, introduit par les pizz des cordes, avec un thème très doux susurré par les vents. Le baryton et sa grosse voix grave pose ses pêches émoustillantes avec une rigueur métronomique ( quand est-ce qu’il reprend son souffle, Corneloup ? ), encore une musique à danser au galop, c’est très beau, plein, rond, très très beau et ils retrouvent le calme avec le retour des pizz du début.
Il y a cette pièce au tempo de ouf, dont la virtuosité nécessaire oblige Delaunay à la respiration circulaire sauf à se mettre à l’envers (on pense Galliano-Portal dans l’étourdissant Chorinho Pra Ele). Est-ce un chant de travail ? Pour quel travail dû à une extension de la loi Travail revisitée façon Les Temps Modernes accélérés sous amphétamines avec la retraite à 70 ans ?
Il y a cette complainte, typique chanson bretonne endless où s’accumulent les anecdotes à raconter et raconter encore ( penser kan-ha-diskan n’est pas faux ), une histoire qui se murmure volets clos, à voix basse, entre personnes de connaissance, quelqu’un souffre et le raconte, quelqu’un s’attriste et le partage, très beau solo de baryton puis de cello au cours de cette complainte proche presqu’en forme de lamentation.
Au bout du bout, à force d’apnées hautes où chacun est resté comme suspendu, à force de grands soupirs de relâchement à la fin de chaque morceau, on les a tous entendus, un par une, par deux, par trois, à quatre et le mélange musique populaire ( au sens noble de populaire )-musiques jazzy-improvisées est un régal : il câline en chacun un petit quelque chose de connu et régressif, venu de bien longtemps avant et aussi, titille l’oreille et les sens pour des intrusions dans ce qui n’est pas encore devenu populaire.
On les rappelle avec grand plaisir.


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