Le batteur Makaya McCraven était à Coutances le samedi 4 mai à la tête d’un quartet de haut vol. L’esprit de la Great Black Music était bien présent avec un langage et une esthétique de notre temps.
Samedi 4 mai 2024 à 22h00
Théâtre de Coutances / festival Jazz sous les pommiers
Autant le dire tout de suite, je ne voyais guère de sujet d’inspiration dans la programmation du festival Jazz sous les Pommiers, mouture 2024. Comme pour une majorité des "grands festivals français" qui fonctionnent en circuit (quasiment) fermé, la curiosité, l’audace, l’esprit d’aventure artistique sont largement absents de cette 43 ème édition. Bref, je pensais laisser le clavier au repos et passer moins de temps devant mon écran par la même occasion.
Eh bien non ! J’avais bien flairé que la présence de Makaya McCraven pouvait valoir le coup d’acheter un billet (30 €, le jazz n’est plus bon marché !). On annonçait à ses côtés le trompettiste Marquis Hill, Junius Paul (basse) et Matt Gold (guitare). Pas des tâcherons recrutés à bas-coût pour une tournée européenne : une vraie bande d’amis habitués à jouer ensemble du côté de Chicago.
Et voilà qu’en dernière minute, Marquis Hill était remplacé par Corey Wilkes !
Alors là, l’histoire prenait un tout autre sens puisque cet ensemble s’ancrait indiscutablement dans la Great Black Music chère à l’AACM de Chicago [1]. Rappelons-nous que Corey Wilkes succéda à l’irremplaçable Lester Bowie en 2003 au sein de l’Art Ensemble of Chicago et y fit forte impression au point d’intégrer dans la foulée le quintet de Roscoe Mitchell (l’autre pilier de l’AEC avec Famoudou Don Moye désormais). Quant à Junius Paul, le bassiste (également contrebassiste, polyinstrumentiste ailleurs), c’est aussi une des recrues des dernières éditions de l’Art Ensemble élargi. Un des deux ou trois contrebassistes (avec Silvia Bolognesi et Jaribu Shahid) pour remplacer le regretté (encore) Malachi Favors.
Des arguments assez forts pour aborder ce concert avec curiosité et intérêt.
Fils de Steve McCraven, fidèle batteur d’Archie Shepp, Makaya est né à Paris. Il a cependant grandi Outre-Atlantique bien guidé aux baguettes par son père pour ensuite s’établir à Chicago en 2007. Indiscutablement, ce quadra possède un solide bagage technique qui a impressionné le public coutançais. Son jeu d’une grande densité n’exclut pas la sensibilité et les nuances. Il se révèle en compositeur subtil. Mélodies simples et rythmes complexes pour offrir des espaces de jeu collectif avec un vrai sens du groupe.
Brillant trompettiste à la sonorité très maîtrisée, improvisateur aguerri, Corey Wilkes vient habiter les mélodies épurées concoctées par Makaya McCraven. Il passe de son instrument aux petites percussions pour renforcer la palette de couleurs d’une musique qui se construit dans le jeu collectif, sans partitions.
Et lorsque sa boîte d’effets électronique se met à hurler sans prévenir, il réagit dans l’instant et vient poursuivre son propos à la trompette sur le devant de la scène, à l’ancienne et sans micro, soufflant avec une énergie qui rappela immédiatement le son et la manière d’un Lester Bowie.
Du côté des cordes, Matt Gold et Junius Paul font la paire. Le guitariste brode des lignes mélodiques inspirées sur les solides lignes de basse de son complice. Là encore, la musicalité et la maîtrise des couleurs et des effets contribuent fortement à enrichir la construction collective de la musique en action avec, toujours le recours aux petites percussions [2].
On peut penser que le disque "In These Times" qu’a signé Makaya McCraven (paru fin 2022) aura incité les organisateurs coutançais à le programmer. Seulement, cette musique assez polissée, mélodique, dans l’air du temps est le résultat d’un travail de production studio de plusieurs années (chronique ici...). En concert, on retrouve une base thématique semblable mais la forme est autrement plus dépouillée et vivante et ce fut plutôt réconfortant à défaut d’être surprenant. Ces musiciens ont avant tout la passion du jeu collectif. L’esprit de la Great Black Music est encore vivant même si les codes esthétiques sont mouvants comme le prouve également à Chicago la percussionniste JoVia Armstrong, protégée de la grande musicienne et flûtiste Nicole Mitchell sur son label Black Earth Music.
J’avais eu l’occasion d’écouter Makaya McCraven dans le contexte bien différent d’une tournée "The Bridge" intitulée Twins, à Brest en 2017. Ce groupe d’improvisateurs était composé de deux saxophonistes et deux batteurs. Makaya McCraven se trouvait "confronté" à Edward Perraud ! Pas de conflit mais une belle complémentarité. Le tempo robuste de l’un complété par l’exubérance coloriste de l’autre arbitrée par deux saxophonistes (Fred Jackson Jr. et Stéphane Payen) : sacrée rencontre France/USA !
À travers ce concert coutançais en 2024, Makaya McCraven s’impose évidemment comme un costaud du rythme mais il confirme aussi son talent de compositeur (simplicité, efficacité !) à la tête d’une formation qu’il pilote avec une bienveillance complice. Il sait impulser la force du groupe, indiscutablement !
Double ovation et double rappel : que dire de plus...
Makaya McCraven : batterie
Matt Gold : guitare, petites percussions
Junius Paul : basse, petites percussions
Corey Wilkes : trompette, effets, petites percussions
[1] Association For The Advancement of Creative Musicians créée à Chicago en 1965 - www.aacmchicago.org/...
[2] On pense encore à l’Art Ensemble de Chicago qui habillait généralement ses espaces musicaux d’une multitude de percussions... de l’Afrique antique.