Un tout nouveau quartet se présente pour une première mondiale de son programme à la recherche du grand Charles Mingus, quatre pointures de la scène hexagonale, du genre à tutoyer les dieux du jazz voire à les embrasser sur la bouche avec la langue : Géraldine LAURENT sax alto, Jean-Charles RICHARD sax baryton, Manu CODJA guitare et Christophe MARGUET batterie réunis pour un public venu en grand nombre avec beaucoup de boomers qui ont dû apprécier Mingus au siècle dernier. Qui se souvient qu’en 1956, la France écoutait Tino Rossi chanter Méditerranée quand, de l’autre côté de l’océan, Mingus jouait Pithecanthropus Erectus ?
Et, histoire de nous faire comprendre qu’ils ne sont pas venus pour quelque hommage langoureux ramolli, ils débutent par une pièce enlevée, OP, qui met la barre très haut, année des JO oblige : intro par le duo de sax la poignée dans le coin, chacun son tour dans un faux 4*4 et tout de suite solo de batterie : Marguet, emporté par le réchauffement climatique, allume le feu à combustion galopante. Espérons qu’ils se sont échauffés en coulisse sinon gare au claquage !!!
Il y a Farewell Farewell (tempo medium) où une bribe de thème les réunit après les soli : celui tout simple et mélodique du baryton, celui en forme de dialogue enfièvré guitare-batterie où chacun relance l’autre dans une escalade étourdissante.
Comme en rappel de l’intro du célèbre Moanin’ par Pepper Adams, il y a cette intro a capella du baryton suivie de l’arrivée d’un vif tempo à trois temps avec un solo virtuose et stratosphérique à l’alto et encore, la réunion des quatre dans un quelque chose de contrapuntique. C’est beau, captivant, étonnant. Puis Marguet impulse une clave : un coup de grosse caisse, des claquements de mains, sur fond de tenues guitare-sax : ça dure, ça dure, où vont-ils ? À quoi jouent-ils ? Émerge alors de ce tunnel paisible Better Git Hit In Your Soul. Grand grand plaisir. On se dit qu’avoir choisi un sax alto et un sax baryton n’a rien d’anecdotique tant ils sont présents dans l’oeuvre de Mingus.
Il y a Hatian Fight Song introduit à l’alto. Pfff, que dire ? C’est étourdissant. On est attiré vers le plafond, en apnée haute façon montgolfière portée par un courant ascendant. G. Laurent enchaîne avec un motif repris par la guitare le temps d’une baston entre sax, prolongée par un solo de baryton sur un rythme en accélération jusqu’à doubler le tempo initial. C’est insensé et génial, Mingus jubile.
Il y a cette suite commencée avec Réincarnation of a love bird (Marguet aux mailloches pour un solo dantesque ) et prolongée avec le délicieux Good Pork Pie Hat. Que dire ? Ces quatre-là filent un coup de jeune à Mingus et lui rendent le meilleur des hommages possible : s’en inspirer sans l’imiter. Leurs arrangements du genre déconstruire-reconstruire sont largement à la hauteur de leur recherche.
Et enfin, en miroir à la pièce d’introduction pour son tempo de feu, un morceau ( connu mais lequel ? ), introduit à la guitare par un motif répétitif qui soutient les soli déraisonnables de l’alto puis du baryton avant qu’un dialogue survitaminé batterie-guitare ne nous achève. Rien d’exubérant dans leur comportement sur scène mais leur musique : que dire ? Généreuse, sans limites, épastrouillante. Un pur bonheur.
Ce quartet va faire se soulever les publics là où les tourneurs voudront bien l’inviter.
D’accord, nous n’avons pas entendu le sublime Nostalghia in Times Square mais qu’importe : Mingus is back.


Le Triton
11 bis rue du Coq Français, 93260 Les Lilas


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